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Macbeth en noir et noir

Publié le 21 février 2010 par Belette

La scène nationale des Gémeaux à Sceaux (92) accueille chaque année le metteur en scène anglais Declan Donnellan ; après les comédies Cymbeline et Troïlus and Cressida, suivies d’un détour par Racine avec Andromaque, il présente l’une des tragédies les plus sombres de Shakespeare, Macbeth.

Macbeth en noir et noirDès l’entrée dans l’immense salle des Gémeaux, on est happé par la profondeur de la scène, encadrée par des caisses de bois qui sont autant de passages pour les acteurs, mais aussi pour la lumière : une légère fumée habite l’espace, et derrière cette fuyante blancheur, n’est que le noir. Murs, sol, costumes, tabourets, caisses, tout est noir. Seule Lady Macbeth, par sa machiavélique blondeur, illumine un peu la scène.

L’ambiance est posée, ce sont les lumières qui se chargeront de la nuancer. Les sorcières sont dans l’ombre, silhouettes faiblement éclairées par la fumée ; une douche au fond, blafarde, éclaire les entrées et sorties créatrices de tensions (Macbeth montant à la chambre du Roi, Macduff revenant au combat, etc) ; la lumière rouge, elle, illustre la folie et la menace des ombres. Les contrastes lumineux sont ainsi producteurs de sens, mais ne font que compléter la noirceur générale.

Declan Donnellan montre la descente aux Enfers d’un couple tiraillé entre ambition et culpabilité, il met l’accent non sur l’acte du meurtre mais sur ses conséquences dans l’esprit. D’où la quasi-absence d’accessoires : jamais d’épées (désignées dans le combat final par un bruitage), de dagues, d’objets utilitaires. Il n’y a que des tabourets pour habiter la scène. Tout se passe dans la tête. Les taches de sang sur les mains du couple sont invisibles.

Une seule scène intervient comme une sorte d’interlude comique au beau milieu de la pièce : une insolite portière ouvre l’entrée du manoir de Macbeth à Macduff. Elle lit Voici, mange des sucettes, écoute la radio et ne cracherait pas sur une gâterie… Cet éclat de lumière drôlatique vient apaiser la tension le temps de quelques minutes. Maus aussitôt après, c’est la replongée dans la noirceur, dans le sentiment de la faute, dans la folie obsessionnelle…

Macbeth en noir et noir

Crédit photographique : Johan Persson

L’une des particularités de la compagnie de Declan Donnellan, Cheek By Jowl, se situe dans le traitement des scènes de groupe. Alors que les Français (au théâtre comme au cinéma) sont extrêmement frileux face au collectif (impossible de montrer une scène de groupe qui ne soit créatrice de tensions), les Anglais n’hésitent pas à faire éclater une fête au milieu de la folie individuelle. Tandis que Macbeth voit des fantômes, les autres chantent et dansent sans complexes. ici c’est une ronde qui se fait et se défait, là un repas bruyant et joyeux… Ces scènes allègent pour le spectateur la torture individuelle et secrète de l’individu tout en souligant la descente aux abymes, le cercle infernal dans lequel sont engagés les Macbeth. Le collectif n’est pas synonyme d’affres moraux ou de tensions entre individus, il n’est pas encore, comme en France, complètement atomisé…

Le collectif se resserre finalement autour de Macbeth comme un étau : les acteurs restent sur les côtés et écoutent sa folie, en se rapprochant insensiblement au fur et à mesure de la pièce, comme la forêt qui causera sa perte se rapproche du manoir. Des âmes observent une conscience en train de se produire comme telle : Macbeth tue le Roi, le père, Dieu, et la rançon de ce meurtre symbolique, c’est la conscience de son crime, c’est-à-dire la conscience de soi. En utilisant les acteurs comme des miroirs pour les spectateurs, Donnellan place la naissance du sujet au centre, assujetti par son acte aux deux sens du terme : asservi et produit comme sujet.

Le passage à l’âge moderne, présent dans toutes les pièces de Shakespeare, est ici particulièrement mis en valeur par le contraste scénique entre collectif et individu : la naissance du sujet se fait contre le groupe, par le groupe, avec le groupe. Il est totalement dépendant du regard que le groupe lui renvoie de lui-même. Sans les autres, Macbeth ne se sentirait pas coupable. Sans nous, il ne tomberait pas dans la folie. Aussi sortons-nous de là empli de frissons et de tension, atteint par la souffrance et l’horreur, le sang et l’obsession, comme si tout cela ne nous était pas si étranger…


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