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La petite vie rêvée des jeunes

Publié le 23 février 2010 par Argoul

Etonnante série d’articles que publie Le Monde en ce moment, sous le titre « Vies de France ». L’on y voit à fleur de terre le no future des générations actuelles, leur rêve de bulle retranchée du monde, un monastère égoïste en couple ou à quelques-uns.

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Yohan et Gaëtan ont de beaux prénoms qui renouvellent le stock « entendus à la télé ». Ils ont tous deux 18 ans, d’origines modeste, ils n’ont pas l’esprit aux études. Ils sont apprentis, dans de solides métiers manuels où subsiste la tradition du travail bien fait : l’un menuisier, l’autre garagiste. Leurs loisirs ? Boites, moto et VTT. Presque la trilogie des jeunes Anglais : bière, bite et baston. Mais, pied de nez aux conventions télé, « tous deux détestent le foot ». Sans doute trop de fric, trop de putes, trop de strass.

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Ils ont vu et ils voient encore leurs parents galérer pour obéir aux règlements en gagnant trois sous à produire du lait qu’on jette ou qu’on vend sous le prix de revient, ou à dissuader les petits délinquants comme agent de sécurité en usine. Ils sont d’accord avec le volontarisme du Président lorsqu’il déclare que si l’on veut gagner plus il faut travailler plus et que pompier est un métier à risques. Comme menuisier, Gaëtan gagne plus que ses parents…

Quitter son village de Haute-Loire ? Pour quoi faire ? Se terrer dans un quartier sensible à Paris ou Marseille ? Devenir anonyme en usine ? Pas du tout : rester chez soi et copiner entre potes. Les filles ? S’il y en a dans le coin, sinon rien.

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Telle est la jeunesse majoritaire des campagnes françaises. Aucune ambition, aucun horizon, aucun avenir. Que reproduire indéfiniment le modèle : rigoler, s’accoupler, élever. Et que tout recommence. On comprend mieux, vu de la ville et du monde, l’aspiration « écologiste » qui se fait jour à chaque élection. Sauf en Ile-de-France où ce sont les bourgeois branchés qui sont en pointe pour préserver leurs maisons de campagne, le sentiment écologique diffus n’a pas grand chose à voir avec le climat ni les ressources de la planète. Mais bien plutôt avec ce no future.

Certains évoquent le pétainisme éternel, Alain-Gérard Slama à droite, Alain Badiou à gauche, Philippe Sollers chez les bobos catho-libertins. Ils traduisent pour l’élite ce tranquille égoïsme de clocher, étroitement local, pour cela un brin xénophobe. Tout extérieur au village est déjà « étranger », alors un basané… Ce n’est pas ce que disent Yohan et Gaëtan mais – et c’en est significatif – ils n’en parlent pas. Sinon Gaëtan : « je ne vois pas du tout ma vie à Marseille ou à Paris ». Pas du tout veut bien dire : pas de déracinement, pas de métissage urbain, pas d’ouverture culturelle.

Il y a ce repli identitaire - sur soi, sur son clan, sur son terroir étroit - dans la vie rêvée des jeunes. Vie rurale mais surtout vie tranquille. Vie solidaire mais surtout vie locale. Vie étrangère au monde et qui s’en fout, du monde. Déjà la gauche en 1981 tablait sur « la force tranquille » du vieux Mitterrand contre le libéralisme mondial du jeune président Giscard. En 2007, c’est la droite anti-ENA de Nicolas Sarkozy qui a symbolisé cette protection d’Etat contre les incursions du monde.

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Mais les grands mots des politicards, il faut les prendre pour ce qu’ils sont : du théâtre pour bobos, de la pose pour le 20-heures, de l’illusion que la France a encore quelque chose à dire d’universel. Il n’en est rien et la jeunesse des provinces s’isole en tranquille indifférence. Pétainiste, peut-être, mais si Pétain a été si populaire, s’il revient sans cesse - n’est-ce pas parce qu’il incarnait quelque profondeur française ?

Je le déplore, moi qui ne suis pas comme eux ; je le constate.

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