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Haïti: Ni restitution, ni réparation La visite express,...

Publié le 23 février 2010 par 509

Haïti: Ni restitution, ni réparation
La visite express, de moins de cinq heures, du président français Nicolas Sarkozy n'a pas provoqué de grands remous en Haïti. Pris par le quotidien, l'Haïtien moyen n'en a pas fait un plat. Dans les conversations on en a un peu parlé. Pas plus. «Ah, il vient», « oh, il est venu », ont été les commentaires les plus entendus.
Un président français en Haïti, il n'y a pas de référence historique pour comparer. Cela ne s'est jamais fait. Des contentieux ouverts, entre les deux pays, il n'y en a plus, depuis que Jean Bertrand Aristide a laissé le pouvoir en 2004. Poussé par la France qui encourageait les manifestations et embarqué par les Etats-Unis d'Amérique qui a fourni l'avion.
Cette année 2004 ramenait le 200e anniversaire de l'Indépendance d'Haïti. Au détriment de la France. Après une guerre sanglante contre un corps expéditionnaire envoyé par Napoléon Bonaparte et commandé par le général Leclerc, beau-frère de l'Empereur.
Cette raclée et la déroute qui s'en suivit, la France nous les ont chèrement fait payer. Un isolement destructeur pendant des décennies et une indemnité de 150 millions de franc-or, une fortune à l'époque pour un petit Etat naissant. Une somme colossale aujourd'hui si on ajuste au taux du jour.
C'est ce calcul actualisé du prix de l'Indépendance, avec les intérêts d'usage, qu'Aristide a osé faire en 2002 avant de demander restitution et réparation à la France. Sur une chanson entraînante, toute une campagne avait été menée. Une gifle pour l'ancienne métropole.
En 2004, les fêtes du 200e anniversaire de l'Indépendance ont été gâchées. Beaucoup y ont vu la main de la France. De son ministre de l'Intérieur d'alors, Nicolas Sarkozy.
Tout ce passé, que beaucoup en Haïti veulent oublier pour regarder l'inquiétant avenir qui nous attend, était pourtant présent lors de la visite du ministre devenu président.
Il y a eu une manifestation de quelques centaines de partisans de Jean Bertrand Aristide devant le palais national que visitaient Sarkozy et René Préval le président haïtien, et une attente muette d'un tournant dans les relations entre Haïti et la France.
Même ceux qui ont conduit ou soutenu la bataille de la France contre Aristide en 2004, espéraient une image forte, un engagement significatif.
Cela n'est pas venu.
Les trois centaines de millions d'euros annoncées ne font pas le poids. Ce ne sera ni la restitution, ni la réparation. Rien que quelques notes dans la valse des millions qui berce le malheur des Haïtiens depuis le tremblement de terre meurtrier du 12 janvier 2010.
La façon dont le président Sarkozy a détourné une question sur le sujet en indiquant que la France a effacé la dette d'Haïti, comme pour demander qu'Haïti en fasse de même, a provoqué un rire jaune. Deux pays aussi imbriqués l'un dans l'autre depuis quatre cents ans et une dette de 56 millions d'euros, cela n'éclaire que le peu d'intérêt que la France a en Haïti, pour Haïti.
Autre sujet de raillerie, la jalousie maladive de la France envers les Américains dès qu'il s'agit d'Haïti. Une surprotection des intérêts haïtiens pour que ce grand voisin n'abuse de ses pouvoirs. Ces derniers jours, on en rit aussi. Les Américains font trop ici et les Français pas assez pour que cela ne se voit pas. Alors les petites phrases sur la mainmise américaine sont de moins en moins efficaces.
La France, sa culture, ses belles manières, son chauvinisme, les Haïtiens aiment bien le mélange, mais tout un chacun se demande si cet amour se concrétisera un jour et ira plus loin que les déclarations d'intention.
Il n'y a en Haïti aucun grand projet où des investissements français se font voir. Aucune grande firme française n'exerce ici. L'Institut Français d'Haïti, vitrine de la culture française, n'est plus que l'ombre de lui-même. Les projets de formation se résument à quelques bourses d'étude. Fini les professeurs français dans nos Universités. Les touristes français ne viennent plus sur nos plages. La petite communauté qui vit dans le pays, autocentrée sur ses peurs et ses façons de voir, bloque les nouveaux arrivants.
Il faut dire que toutes les célébrations officielles en Haïti sont tournées vers notre passé glorieux qui encense nos exploits contre les armées françaises. Nos monuments historiques ont leurs canons braqués contre un retour offensif des Français. Le cruel bourreau de notre imaginaire est le général Rochambeau.
Que pouvons-nous construire ensemble dans ces conditions.
Depuis des années des efforts se font. Christine Taubira a eu un discours fondateur. Rama Yade, lors de son passage, a fait la différence. Sarkozy, à sa façon, a fait avancer le débat. Tous ont parlé vrai. Avec leurs mots. Du passé comme de l'avenir. Gérard Latortue, Premier ministre de la transition après la chute d'Aristide et le président René Préval ont bu le café de la paix à l'Elysée. Mais rien ne dégèle vraiment les relations.
Il y a encore des non-dits qui gardent la France dans un rôle de grand ami aux petits gestes et Haïti dans celui de la mal-aimée qui rêve d'un autre destin.
On attend des ambitions. Des projets. Un nouveau regard. Une nouvelle vague. Une nouvelle France. Pas celle qui accoure lors des désastres, mais celle qui voudra bâtir l'avenir avec nous.
Une nouvelle ère dans les relations entre les deux pays pour finir avec la tradition des grandes déclarations.
Pour dépasser notre héritage commun d'un passé meurtri.
Frantz Duval

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