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La résurrection de Keynes : un simple mirage

Publié le 23 février 2010 par Copeau @Contrepoints
La résurrection de Keynes : un simple mirage

Dans les années 1970, Keynes était mort et enterré. Mort sous les attaques de Friedman et Hayek, mais aussi par choc avec la réalité économique (la stagflation). Enterré par Ronald Reagan, Margaret Thatcher et la chute du mur de Berlin. Le monde entier allait penser libéral, même s'il y avait quelques îlots de résistance - comme la France – où les tentations étatistes avaient encore de beaux restes. La crise de 2008-2009 a au contraire marqué le grand retour de Keynes, via les politiques de relance, et nous avions – hélas - titré la conjoncture du 12 décembre 2009 : « Keynes : l'homme de l'année ». Le champagne n'aura pas coulé longtemps chez les Keynésiens et les événements récents - à commencer par la crise grecque - montrent que la résurrection de Keynes était une illusion, qui se dissipe à toute allure, même si elle hante encore l'esprit de la classe politique, notamment en France.

Un retour inattendu en 2008-2009

Face à la crise actuelle, avatar de certains idées keynésiennes sur le crédit et l'Etat Providence, certains ont cru voir dans « la grande récession » la réplique de « la grande dépression » des années trente. La quasi-totalité des gouvernements de la planète réunis dans le G20 ont cru trouver leur salut dans la fuite en avant des dépenses publiques et des déficits publics. Voilà leur revanche sur les années Reagan, marquées par la lutte contre l‘inflation, la baisse des impôts, la déréglementation et donc l'attention portée avant tout à l'offre et aux entreprises : vengeance des socialistes de droite et de gauche, dont DSK est le symbole : il fallait enfin rompre avec le libéralisme, mieux : « l'ultra-libéralisme ».

Mais il y avait aussi tous les « pragmatiques », notre Président en tête, lui qui avait rappelé pendant sa campagne électorale qu'il ne se levait pas tous les matins en lisant les grands économistes. Ceux-ci ont trouvé dans la relance keynésienne une recette politique, facile à comprendre et à expliquer, extrêmement populaire, plus facile encore à mettre en œuvre. Le keynésianisme présente cet avantage majeur : il persuade les gens qu'ils peuvent dépenser sans compter, que l'Etat va distribuer à tous la manne offerte par le ciel, en subventions, augmentations, prestations sociales, équipements publics, emplois publics, et qu'en outre, de ce seul fait, on contribue au bon redressement, rapide et efficace, de l'économie. Dépenser devient une vertu, surtout quand il s'agit de dépenser l'argent que personne n'a gagné par le fruit de ses efforts. De quoi séduire une classe politique soucieuse de sa popularité. S'ils ne mouraient pas tous, tous étaient atteints : un vrai tour de magie.

Une relance totalement inefficace

Voilà Keynes remis en selle, mais on avait oublié de la sangler. Comme dans les années trente : les idées de Keynes avaient déjà connu un succès rapide, sans convaincre la communauté scientifique internationale. Mais il a fallu presque quarante ans pour qu'on se rende à la réalité et que l'on mesure les dégâts provoqués par le stop and go, les déficits, l'inflation et autres fruits « globalement positifs » du keynésianisme. Cette fois-ci, il aura fallu à peine quelques mois pour prendre conscience du désastre.

Le premier élément- dont nous avons parlé la semaine dernière- c'est que la relance keynésienne n'a pas marché. 1% de croissance en Europe avec des déficits historiques de l'ordre de 10% du PIB, on peut difficilement parler d'un triomphe. Ceux qui s'en sortent le mieux, dans les pays émergents, ou en Europe de l'Est, sont ceux qui ont relancé le moins, pariant sur les éléments plus solides, comme la compétitivité à l'exportation, l'investissement des entreprises grâce aux profits ou l'investissement en éducation.

Sur un plan plus technique, nous avions aussi montré dans notre conjoncture du 9 janvier que le grand public lui-même avait compris que la manne publique n'aurait qu'un temps et qu'il avait logiquement choisi d'accroître son épargne de précaution, plutôt que de consommer, s'alignant non sur le revenu courant, mais sur le revenu permanent, à long terme. De plus, ceux qui avaient consommé avaient acheté ce qui était moins cher et disponible, c' est à dire les produits des pays émergents ; effet de relance dans les pays développés : zéro.

Une relance extrêmement dangereuse, aux effets négatifs

Mais il y a eu deux coups de grâce. Le premier est venu d'où on ne l'attendait pas, le journal Le Monde, il est vrai sous la plume souvent avisée de Pierre Antoine Delhommais, dans sa chronique du dimanche, intitulée « De la dette à la Lune », par allusion à la décision d'Obama d'abandonner le programme de la NASA à destination de la Lune puis de Mars. « Retour sur terre » dit-il. Et la terre, c'est la nécessaire réduction des déficits. Mais le plus intéressant, c'est que cet article évoque une étude faite par deux économistes américains, Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart, dont voici la conclusion : « L'endettement d'un Etat produit des effets catastrophiques sur la croissance ». Cette étude est plus complète que celle qu'avait menée le Professeur Patrick Minford pour l'IREF dès 2007, mais elle va dans le même sens.

Elle a été menée sur 44 pays et sur une très longue période. Si l'on prend les deux derniers siècles, lorsque la dette publique a dépassé 90% du PIB, la croissance du PIB a été de 1,7% en moyenne ; lorsque la dette était entre 30% et 90% du PIB, la croissance était de 3% ; et pour une dette publique inférieure à 30%, la croissance du PIB passait à 3,7%. On peut corroborer cette conclusion en observant les chiffres de la France : entre 1890 et 2009, avec une dette en dessous de 30%, le PIB a progressé en moyenne de 4% ; avec une dette entre 30 et 90% du PIB, la croissance tombe à 2,75% ; et quand la dette dépasse les 90%, elle s'effondre à 1,9%. C'est encore plus net aux USA de 1790 à nos jours ! Il parait clairement que la relance par les dépenses publiques est non seulement inefficace, mais néfaste. Voilà pourquoi le Monde se rend à l'idée « qu'un endettement public excessif nuit gravement à la santé de l'économie ». De quoi tuer Keynes à nouveau.

« C'est à qui promet de réduire son déficit plus vite et plus fort que le voisin »

Mais il manquait le vrai coup de grâce. Il est venu de la crise grecque, première étape de la grande crise des finances publiques. Conseillés par Stiglitz, les Grecs ont foncé dans la relance keynésienne. Ils en paient le prix : 113% du PIB de dette publique, un déficit de 12,7% du PIB en 2009. Ils ont des difficultés à trouver un financement, ils empruntent à un taux d'intérêt qui intègre une prime de risque, ce qui leur coûte environ 4 points de plus qu'en Allemagne. Et Bruxelles leur impose un plan d'austérité, de toutes façons nécessaire : gel des salaires des fonctionnaires, baisse de 10% des primes, diminution de 30% des heures supplémentaires, arrêt total des embauches, recul de deux ans de l'âge de la retraite.

Le Portugal, l'Irlande, l'Espagne vont faire de même. Dans ce dernier pays, le plan de rigueur sera de 50 milliards d'euros, les recrutements seront gelés dans la fonction publique et la retraite passera à 67 ans. C'est pourtant bien un gouvernement socialiste qui est en place, ici comme en Grèce ou au Portugal ! L'Allemagne, pour sa part, est passée des hausses de dépenses aux baisses d'impôts. On pourrait faire ainsi le tour d'Europe. En dépit des exhortations de Bruxelles la France attend encore. Les optimistes envisagent un changement après les élections régionales, mais les pessimistes observent que le grand emprunt est bien lancé. Hors d'Europe, l'Inde vient de renoncer à son plan de relance, l'économie étant repartie toute seule et l'inflation menaçant. Quant à Obama, s'il renonce à la lune, il s'accroche à son plan santé ; il soutient l'emploi, mais gèle les dépenses discrétionnaires et arrête d'un coup 120 programmes de dépenses. Il ferait bien de choisir, car il est question de diminuer la note AAA de la dette publique américaine.

Conclusion du Monde : « C'est à qui promet de réduire son déficit plus vite et plus fort que le voisin (…) Un vrai et beau concours international de vertu budgétaire ». Ne soyons pas dupes : la religion keynésienne a encore des adeptes, et ses prêtres démagogues. Mais dans une économie mondialisée, la secte est désemparée. Comme on le voit aujourd'hui la sanction des marchés des changes et des marchés financiers rappelle au sens des réalités.

La tentation sera toujours là, aussi longtemps que le pot de miel sera sous la garde de l'ours et que des règles institutionnelles n'interdiront pas la relance, si tant est qu'elles soient respectées par les politiciens (on voit ce qu'il reste du pacte de stabilisation et le funeste sort des fameux seuils de 3 % pour le déficit budgétaire et les 80 % pour la dette).

Le mirage keynésien à nouveau dissipé : quel plaisir d'assister à un tel retournement en quelques semaines ! Malheureusement Il faudra de longues années pour réparer quelques mois de relance. La cure de désintoxication keynésienne aura eu un prix élevé.

Analyse reprise avec l'aimable autorisation de Jacques Garello, directeur de publication de la Nouvelle Lettre. Image : John Maynard Keynes (à droite) et Harry Dexter White (à gauche) (1946), image libre de droits du FMI

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