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« 5.7 millions de personnes vaccinées, c’est probablement un échec»

Publié le 24 février 2010 par Delits

grippe AEn septembre dernier, Délits d’Opinion faisait le point sur la gestion de la grippe A (H1N1) et le ressenti de la population française1. Six mois plus tard, l’Assemblée Nationale discute de la création d’une commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination de la grippe A (H1N1) à l’initiative de Jean-Luc Préel (Député NC de Vendée et vice-président de la commission des affaires sociales), Jean-Christophe Lagarde (Député NC de Seine-Saint-Denis) et Maurice Leroy (Député NC du Loir-et-Cher).

Délits d’Opinion a rencontré Jean-Luc Préel.


Délits d’Opinion : Avec Jean-Christophe LAGARDE et Maurice Leroy, vous proposez une résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne contre la grippe A (H1N1) ? Pouvez-vous nous en expliquer les raisons et l’intérêt de cette démarche ?

Jean-Luc Préel : La démarche découle de la réforme constitutionnelle votée l’année dernière qui donne un droit de tirage à tous les groupes pour pouvoir disposer d’une commission d’enquête par session. La commission d’enquête sur la grippe paraît importante parce que l’épidémie de grippe semble avoir débuté en mars 2009 au Mexique et à l’époque on s’interrogeait sur sa virulence, elle était comparée avec la grippe espagnole qui avait entraîné en 1918 des millions de morts. Le problème de la contagion était également posé et troisième point, les possibles mutations du virus.

Ces trois questions étaient posées et inquiétaient le monde entier. Devant le développement de la grippe au Mexique l’OMS a déclaré le niveau 6 de la pandémie au mois de juin 2009. Assez rapidement le Gouvernement français a pris les mesures souhaitables de santé publique. Très vite, étant donné le risque de diffusion de cette pandémie, le Gouvernement a commandé des masques chirurgicaux destinés aux malades, ainsi que pour les professionnels de santé. 33 millions de traitement anti-viraux ont également été commandés assez rapidement. Des actions d’information du public et de formation des professionnels de santé ont ensuite été mises en place.

Pour la prévention a été décidé le lancement d’une grande campagne de vaccination à l’échelle nationale. Comme à l’époque le vaccin n’existait pas, des contacts ont été pris avec des laboratoires pharmaceutiques. A ce moment, on pensait qu’il fallait deux injections, pour cela 94 millions de doses ont été commandées et la France était ainsi pourvue pour pouvoir vacciner l’ensemble de la population.

Les mesures ont donc été prises au départ dans une crainte d’une grande pandémie.

La campagne de vaccination a débuté le 20 octobre, pour les professionnels de santé et été étendue à l’ensemble de la population à partir de fin octobre. 11 000 lieux de vaccination ont été réquisitionnés. Il a été décidé de ne pas utiliser les modes de distribution habituels de médicaments par les grossistes répartiteurs ou les pharmaciens et de ne pas faire appel aux médecins libéraux pour la vaccination. C’est un des points sur lesquels on veut se pencher. A la fin de cette campagne de vaccination fin janvier, on constate que seuls 5.7 millions de Français ont été vaccinés. On peur donc parler d’échec ou de non-succès de cette campagne.

Il ne s’agit de juger a posteriori de la gravité de l’épidémie virale. Heureusement le virus n’a pas été trop violent. Il y a environ 296 morts, bien sûr c’est trop mais la grippe saisonnière fait entre 3.000 et 6.000 morts. De plus des études étrangères ont montré qu’il y avait probablement dix fois plus de porteurs d’anticorps que de maladies cliniques déclarées, ce qui tend à renforcer l’impression de manque de virulence du virus.

Il ne s’agit pas non plus de critiquer les mesures qui ont été prises de commandes de vaccins car le Gouvernement a fait ce qu’il pensait nécessaire en cas de pandémie grave, mais de poser un certain nombre de questions : la première c’est pourquoi avoir choisi un vaccin multidose ? Comment ont été gérés les bons de vaccination ? Pourquoi a-t-on fait vacciner dans les écoles primaires dans l’école et dans les collèges et lycées les enfants étaient envoyés sur des lieux de vaccination ?

Ce sont des questions qui méritent d’être posées.

De notre point de vue, 5.7 millions de personnes vaccinées c’est probablement un échec par rapport au total de la population : si demain il devait y avoir une nouvelle pandémie, il y en aura sûrement une autre, comment faire pour avoir une vaccination satisfaisante de l’ensemble de la population. C’est dans cet esprit là que l’on souhaite mettre cette commission d’enquête. Il y a une enquête qui est faite au Sénat à l’initiative de communistes mais elle cherche à creuser la question de la commande des vaccins et les relations entre le Ministère, l’industrie pharmaceutique et les experts. C’est un problème que l’on pourra évoquer mais selon moi ça n’est pas le problème majeur.

Pour moi le problème majeur est qu’on a choisi un système de vaccination par réquisition des salles et de médecins : cela a abouti à un échec. Comment faire pour que demain ça se passe bien ?

Délits d’Opinion : De nombreux spécialistes évoquent un retour possible de la grippe au mois de mars. Comment votre commission pourra-t-elle se faire entendre si le risque d’épidémie se déclenche ?

Jean-Luc Préel : C’est effectivement un point qui a été abordé par certains qui estiment que ça n’est pas le moment de faire une commission d’enquête. Je suis d’accord pour dire que la pandémie A (H1N1) n’est probablement pas terminée mais notre problème est centrée sur la campagne de vaccination déjà survenue ; est-elle un succès ou un échec ? Je serais étonné que demain il y ait beaucoup de nouveaux vaccinés. Je n’ai pas l’impression que nos concitoyens se précipitent aujourd’hui vers leurs médecins.

Délits d’Opinion : D’un point de vue informatif, les pouvoirs publics ont corrigé les manques soulignés par le grand public lors des épisodes de la canicule ou de la grippe aviaire. Dès lors, comment expliquer les débats sans fin sur la vaccination et les bugs organisationnels parfois mis en avant ?

Jean-Luc Préel : Je ne voudrais pas apporter de conclusions avant que la commission d’enquête ne se réunisse. Je ne connais pas toutes les réponses avant le travail de la commission. Cependant l’impression que je peux avoir aujourd’hui c’est que le choix ne de pas faire appel aux médecins libéraux a joué. Beaucoup n’ont pas poussé à la vaccination et ont participé à la relative défiance vis-à-vis des vaccins. Beaucoup de professionnels de santé hésitaient à se faire vacciner et même dans les hôpitaux quelque fois il n’y avait que 10 à 15% de professionnels de santé qui se faisaient vacciner. Quand les professionnels de santé ne se font pas vacciner, ça n’est forcément pas très incitatif.

Parmi les points que j’aimerais voir abordés se trouve le problème des lobbys anti-vaccins que l’on retrouve régulièrement, surtout en France, depuis la vaccination contre l’hépatite. Il ont profité du débat pour parler de l’adjuvant et demander si celui-ci pouvait poser des problèmes avec des nouvelles maladies neurologiques comme des équivalents de la sclérose en plaques. C’est vrai que lorsqu’un vaccin n’a pas eu le délai suffisant pour creuser la question d’éventuelles complications, c’est très difficile de savoir. La question avait été posée aux spécialistes de l’époque : aucun n’osait dire que la vaccin serait totalement anodin car c’était impossible de l’affirmer. D’autant qu’habituellement lorsqu’on fait des tests sur des médicaments, c’est d’ailleurs le problème de toutes les études sur les médicaments, on les fait sur quelques centaines de personnes, voire quelques milliers de personnes ; on peut ne pas voir d’effets pervers. Quand on l’étend sur des millions de personnes, on voit apparaître des complications que l’on aurait pas imaginées avant. Il semble que l’étude a été faite mais la commission d’enquête verra s’il y a eu des complications suite aux vaccins. Je n’en ai pas entendu parler, je n’ai pas vu non plus d’articles dans les journaux médicaux mais c’est une question qu’on pourrait poser.

Délits d’Opinion : En septembre, 8 Français sur 10 déclaraient ne pas être inquiets ; estimez-vous que la menace était à la hauteur des moyennes mis en place et de la communication qui en a été faite ?

Jean-Luc Préel : Il s’agit là de la question qui a été évoquée sur le rôle de l’OMS et sur les déclarations au début sur une épidémie  répandue avec un virus très virulent. C’est ce que j’évoquais tout à l’heure avec la référence à la grippe espagnole. Il faudra que l’on pose la question au directeur de la santé et à la Ministre, mais au départ l’explication des mesures qui ont été prises et de la campagne de communication était liée à la présentation d’une épidémie grave où l’économie serait même touchée,/ Il avait même été évoquée la possibilité que les gens ne pourraient plus aller travailler… puis quand l’épidémie est arrivée on a constaté rapidement que la plupart des malades avait de la fièvre pendant deux jours et que ça n’était pas dramatique.

L’alerte a-t’elle été surdimensionnée ? Le virus était finalement moins virulent, même moins que celui de la grippe saisonnière avec un autre avantage, si l’on peut l’exprimer de la sorte, que constitue l’absence de mutation du virus. Le Gouvernement est parti, avec le principe de précaution, probablement la crainte du sang contaminé, la crainte de se voir reproché a posteriori de ne pas avoir fait tout ce qu’il fallait, sur une grave pandémie et finalement on s’est rendu compte que l’épidémie n’était pas très grave, que la vaccination n’était finalement pas nécessaire face à une maladie ne présentant pas de dangers imminents. C’est probablement ici que réside le problème.

Propos recueillis par Olivier et Raphaël Leclerc.


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