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Vital Bender ou l'indomptable rage au coeur

Par Alain Bagnoud

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Le poète Jacques Tornay (voir ici, ici et ici) rend hommage sur ce blog à son ami Vital Bender, poète décédé en 2002 (voir ici, ici et ici). Ci-dessous, la dernière partie de son texte. (La première est ici, la deuxième ici, la troisième ici).

En 1995 Vital reçoit le Prix d'encouragement de l'Etat du Valais. Je siégeais alors au Conseil de la culture et, dossier à l'appui, j'avais proposé son nom, estimant le temps venu pour lui d'obtenir une reconnaissance officielle. Aujourd'hui, je le dis sans vanité, c'est l'une de mes satisfactions personnelles que d'avoir contribué à l'avancement d'une œuvre authentique, ce qui me console un tant soit peu des gestes que j'aurais pu avoir pour d'autres et dont je me suis bêtement abstenu par manque d'attention ou de jugement.

La cérémonie terminée depuis un moment, vers midi je remonte à pied en direction de la salle Supersaxo quand je croise en chemin Vital Bender entouré de plusieurs charmantes jeunes filles. Visiblement, ils avaient déjà pris l'apéro... Et ce joyeux petit monde descend la rue de Conthey bras dessus bras dessous. J'imagine Vital en prince de la Renaissance régalant sa cour d'admiratrices, les divertissant jusqu'à plus soif de péripéties réelles ou imaginaires devant un festin préparé à leur intention. Ce rôle d'amuseur généreux lui allait à merveille.

Il aimait pérorer. Ses vantardises ne me gênaient pas, je les prenais au deuxième degré. Je me souviens qu'un après-midi au Salon du Livre de Genève, agacé par ses fanfaronnades au sein d'un groupe d'amis et de connaissances je le qualifiais de «Rimbaud des Alpes». Je crois qu'il n'avait pas tellement apprécié. Il venait de publier aux Editions Eliane Vernay Le deuil du hibou, une longue nouvelle aux accents surréalistes. Comme la plupart des poètes à un stade de leur parcours, il penchait vers la prose. À un moment, écrire en vers peut paraître dérisoire, on a l'impression de tourner en rond, pire : de piétiner. La prose ouvre des horizons qui semblent plus vastes, du moins est-elle mieux accueillie par les éditeurs et assure-t-elle une meilleure visibilité publique. Même Paul Verlaine a songé à poursuivre les deux carrières parallèlement. Vital répondra à l'appel du roman avec La sève du temps, un volume dense, épais, déroutant, écrit dans un refuge de haute montagne au cours d'un hiver d'absolue solitude. L'avant-veille de son départ il était chez moi et je l'engageai à choisir des bouquins sur mes rayonnages en vue de son séjour de neige. «Non merci, je compte surtout écrire, mais si tu as Poètes, vos papiers de Léo Ferré, je le prends. Je ne l'avais pas. En revanche il emporta une cassette audio de Jimi Hendrix.

Kerouac aussi avait été gardien de cabane sur les hauteurs, un été en Californie.

Depuis quelques années, chaque automne nous avions coutume de partager une brisolée dans un bistrot. C'était l'occasion de brasser trente-six sujets, et une façon de se souhaiter mutuellement longue vie et bonne santé. Un soir de novembre 2002 je lui téléphone pour fixer notre rendez-vous rituel. Impossible de l'atteindre. Aucune réponse nulle part. Ce silence n'était pas dans ses habitudes. Quelques jours plus tard, au lendemain du drame, l'éditeur Roger Salamin m'annonce que Vital n'est plus de ce monde.

J'essaie parfois de reconstituer en pensée sa dernière heure. Il est en goguette avec des amis au village de Saxon. Soirée ordinaire au demeurant, classique, semblable à tant d'autres. Avant que la bande ne se disperse, l'un d'eux propose à Vital de l'accompagner jusqu'à La Botsa toute proche pour un ultime verre. Non, il préfère rentrer seul et se coucher, demain il part au Catogne avec corde et piolet. Dans les vapeurs de l'alcool il prend le chemin qui longe le Rhône, ou suit la voie ferrée, en direction de Charrat. Il s'arrête, fixe son casque de baladeur, se met sur les rails et attend le train.

Aujourd'hui encore je me demande quelle musique il écoutait.

Jacques Tornay



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