Magazine Régions du monde

"Cynique" (3)

Publié le 28 février 2010 par Vivreenislande @vivreenislande
Les premières pages
Extrait 1

(...) Il dénicha sa première cible par un radieux dimanche de décembre. Il faisait aussi beau que froid. Pal s’était installé sur le vieux port de la ville, adossé à la façade d’un bâtiment en rénovation. Cela faisait une bonne demi-heure qu’il attendait. La mort patientait, immobile et fébrile, telle une jeune fille amoureuse cherchant son fiancé. Il s’apprêtait à partir quand il aperçut un homme âgé qui se promenait. Emmitouflé des pieds à la tête dans une large combinaison polaire, un enfant d’à peine 4 ans l’accompagnait. Le gamin marchait lentement, les bras immobiles,en se dodelinant, tel un pingouin boudiné, à deux mètres à peine derrière le probable grand-père. De temps à autre, l’homme s’arrêtait et se retournait pour s’assurer que l’enfant le suivait. Touchante promenade familiale s’était dit Pal en observant les deux formes déambulant près du quai. Il se décida à agir au moment où l’homme reçut un appel sur son téléphone mobile. Le déroulement de la scène ne dépassa pas une minute. Il toussa pour attirer l’attention du mini palmipède et, faisant mine d’avoir découvert quelque chose, lui fit signe de le rejoindre en désignant du doigt un recoin de la façade. Confiant, le petit bonhomme s’exécuta et franchit rapidement les quelques mètres qui les séparait. Lorsqu’il fut dissimulé, cherchant vainement le trésor invisible promit par Pal, ce dernier ramassa une grosse brique, la jeta dans l’eau du port, puis cria. Le vieil homme fit 270 degrés en moins de trois secondes. Un quart de tour vers Pal, qui feignait une surprise hébétée, un bras impuissant pointé vers l’horizon, puis un quart de tour vers la dernière position identifiée du gamin, et encore un quart de tour en direction du port. Il se rapprocha du bord, se pencha et sauta sans réfléchir à l’endroit précis où l’eau décrivait encore les cercles croissants de la chute supposée du bébé manchot. Comme la première fois, Pal s’assura qu’ils étaient seuls. Il réfléchit quelques instants tout en tendant l'oreille du côté du port, de crainte de voir ressurgir un vieillard frigorifié mais en vie. Il se tourna vers l’enfant, s'accroupit et lui expliqua que son grand-père avait plongé dans l'eau du port ; il l’attendait pour attraper des poissons magiques. L’improvisation n’offrait pas toujours la présence d’esprit de justifications appropriées. Loin de remettre en doute l’explication fournie, la bouche grande ouverte et la narine humide,  le petit bonhomme observait le grand gaillard. Pal tentait d'imaginer la petite machine cérébrale s'activer. « Grand-père veut que je viens » ; « l'a trouvé poissons magiques dans l'eau » (sourire) ; « mais l'eau c'est froid, et l’eau c’est mou » (grimace) ; « mais, j'ai le bonnet de maman et grand-père va pas me laisser  m’enfoncer dans le mou » (sourire précédant l’action).  Pal observait avec intérêt la petite langue rose s’efforçant de récupérer la mucosité nasale qui dégoulinait. Un peu d’eau salée dans les narines lui ferait certainement le plus grand bien. Le morpion hésita encore un instant, tout en cherchant son grand-père, puis reparti en sens inverse. Confiant dans les capacités de magicien du vieil homme, enthousiaste à l’idée de l’assister, il s’élança, engoncé comme à l’aller, en se dandinant vers le port et en criant « tiens le poisson magique, grand-père ! J’arrive ! ».Il disparut d’un coup, dans un curieux froissement aqueux à peine perceptible. Pal s’approcha du bord. "ça mord ?", marmonna-t-il avant de s’éloigner, satisfait.
(...) 

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