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L’imprécateur

Publié le 03 mars 2010 par Jlhuss

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« Vils chiens, buvez la honte ! Valets de souillure ! Crachat du monde ! La mort copule en vos crânes creux, vidés d’âme ! »

La foule s’était massée au pied de la tour-clocher du haut de laquelle vociférait l’imprécateur. Il était apparu brusquement, et l’attroupement n’avait pas tardé en ce pays de la parole contrainte. Nul ne le connaissait. Certains le disaient enfui de la prison lors du cataclysme ; d’autres, infiltré par l’ennemi pour la subversion ; d’autres, jailli des ténèbres pour les tourments ; quelques-uns crurent reconnaître en ce hurleur d’effroi le neveu du Libérateur, réfugié en Europe après l’échec du coup d’état. On regardait sidéré l’inconnu dansant un piétinement d’incantation sur la rambarde, brandissant le bras pour attester le Ciel et pointant sur le peuple un doigt justicier. Chaque homme de la foule, chaque femme, chaque enfant sur la place, regard tendu vers le forcené, sentait monter dans ses veines une lame de haine qui balaierait tout.
« Nabots de destinée, ravalez les cris du pardon en vos gorges purulentes ! Tombent vos dents aux festins d’abjection ! Rebut de l’espèce, entends bourdonner à tes oreilles la fin du sang ! Peste, lèpre et tous les chancres, rentre au ventre dont tu ne devais pas  sortir ! Débarrasse le plancher du monde ! »

Les phrases claquaient comme des fouets, brûlaient comme des fers rouges ; la foule bouillonnait sous l’insulte et l’on sentait qu’il ne ferait pas bon au forcené de tomber entre ses mains.

«Fils de l’ordure, tes poumons noircissent l’air, ta vessie pourrit l’eau. Il n’est plus de fleuve sans le fiel de tes reins, plus de plante sans l’odeur de ta fiente. Ton regard saigne le beau, ta salive tue le vrai.  Pars ! Meurs ! Rends la maison à la pureté du matin. »

La foule s’ouvrit pour donner passage à l’un de ces brise-émeute qui la tenaient en respect les jours de nostalgie, mais cette fois on applaudit l’engin comme l’instrument urgent du salut. Sur la tourelle tournante, cinq tireurs d’élite ; à la proue, le lance-flammes ; au flanc gauche, le canon à eau dont le jet renversait un buffle à trente mètres. L’échelle de l’avant-pont commença de se déployer contre le fronton tandis que le haut-parleur sommait l’homme de se rendre. La foule voyait avec stupeur un nuage s’amasser sur la cathédrale, des oiseaux s’assembler en tournoyant autour de l’inspiré.

« Engeance de glu, le glapissement de ton coït sonne le glas. Que ta jouissance coule à l’égout comme une rinçure. Finis ta race toujours plus laide, plus vile, plus grimaçante de désir, ahurie de fracas, insinuant son oeil cupide jusqu’au cœur des pierres.   Vermine du monde,  jusqu’où crois-tu pousser ta bouche  rapace ? jusqu’à quand dévorer le corps vif de la terre, le cœur battant de l’amour ? Entends monter la colère des astres, vois venir l’ultime heure de ton règne ! »

Les gardiens du peuple sur l’échelle étaient déjà à mi-hauteur ; les tireurs dans la tourelle se tenaient prêts au signal, mais ordre était donné de capturer le fou vivant.. Or c’est précisément quand le premier gardien allait l’atteindre qu’on vit l’homme se lancer de la tour avec un long rugissement de victoire, suivi de la nuée des oiseaux au devant des cents bras dardés pour le saisir, cents mains pour l’arracher, cent bouches pour dévorer sa chair palpitante. Ce fut une curée formidable, une sorte d’eucharistie sauvage jusqu’au dernier lambeau de peau. Puis la fièvre tomba, la pluie de déluge fut accueillie comme une eau lustrale, bras levés, avec un long murmure d’action de grâce. Les tireurs vidaient en l’air leurs chargeurs, les gardiens dansaient avec des femmes de la foule. Le lance-flammes tua les derniers oiseaux, et le soleil reparut derrière la flèche.

Arion


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