Magazine Beaux Arts

Ion Bârlădeanu

Publié le 04 mars 2010 par Marc Lenot

De temps à autre, dans l’art brut, un artiste inconnu surgit, éblouissant, chargé d’une histoire lourde et triste, clochard, interné ou prisonnier, et porteur d’un travail artistique récemment découvert par un “passeur”, galeriste ou psychiatre. C’est presque un topos qui se renouvelle régulièrement, qui alimente le courant et le marché, avec les amateurs émus tant par l’histoire malheureuse de l’artiste brut que par la fraîcheur et l’inventivité de son travail.

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Le dernier avatar de ce schéma est le Roumain Ion Bârlădeanu, à la galerie Anne de Villepoix jusqu’au 3 avril. Né en 1946, viscéralement anti-communiste dans la Roumanie de Ceaucescu (et fils de communistes convaincus), il vivait depuis 22 ans sur un matelas en plein air au fond d’une impasse au milieu des ordures d’un ensemble immobilier de Bucarest. Un film, projeté à la galerie en avant-première, sortira en Avril dans un festival lyonnais pour conter son histoire. Le galeriste Dan Popescu le découvre et l’expose en 2008 dans sa galerie de Bucarest. Ensuite, c’est la gloire, la foire Volta à Bâle, maintenant Paris. Ion Bârlădeanu, présent à la galerie les premiers jours, se prête merveilleusement au rôle de l’artiste miraculeusement découvert, visiblement heureux d’être sous les projecteurs, et frayant avec les ‘people‘.

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Ceci dit, son travail est particulièrement intéressant, car il fabrique des collages à partir de photos de magazine, et ces collages sont au croisement du surréalisme et du pop-art. Bon nombre d’entre eux sont politiques et férocement anti Ceaucescu (mais sans doute n’ont-ils été réalisés qu’après 1990). D’autres ont un fort parfum sexuel, consommant et digérant des images dénudées de magazine. D’autres enfin évoquent tous les stéréotypes sur les Carpates, comme un décalque balkanique de Borat. C’est drôle, bien fait et plutôt distrayant.

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L’intérêt de cet artiste est aussi que la photographie n’a historiquement guère été reconnue comme faisant partie de l’art brut (Dubuffet l’excluait catégoriquement). La première inclusion de photographes parmi des artistes bruts date de 2004 à San Francisco (Create and be recognized); certes, en en refeuilletant le catalogue, Bârlădeanu manque un peu de densité face à un Alexandre Lobonov qui se met en scène dans ses propres collages, ou bien sûr face aux compositions obsessionnelles et narratives d’Henry Darger.

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Le contraste ici vient de la confrontation de ces collages expressifs et colorés avec les photographies en demi-teinte de l’autre artiste présenté en même temps par la galerie Anne de Villepoix, Miroslav Tichý, qui, lui, sort des Beaux-Arts et a une connaissance artistique encyclopédique. Tichý, s’il a lui aussi été un paria sous le régime communiste (et l’est encore d’une autre manière), refuse catégoriquement de se prêter à la comédie du monde de l’art, refuse d’être exposé, refuse quasiment tout contact et n’est jamais allé à un vernissage de ses oeuvres depuis 1956. Le psychiatre qui l’a “découvert” a tenté de le faire entrer de force dans la camisole ‘catégorie art brut’, mais ce fut un échec total : depuis sa présentation par Harald Szeeman en 2004 à Séville, Tichý est un artiste contemporain. Il y a ici une dizaine de belles photos grises, aux antipodes des couleurs éclatantes de Bârlădeanu, et une absence de l’artiste tout à fait révélatrice des deux versants de cette exposition. 

Photos courtoisie de la galerie.


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