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obscurité (10)

Publié le 05 mars 2010 par Feuilly

Ils arrivèrent finalement à l’extrémité de la cave et découvrirent alors un escalier d’une trentaine de marches, elles aussi taillées dans le rocher. Bien lisses, usées par des milliers de pas pendant un siècle ou deux, elles étaient mouillées par la condensation et glissantes à souhait. Ils s’y engagèrent prudemment, s’éclairant comme ils pouvaient avec leur unique torche électrique. Tout en haut, ils butèrent contre une porte qui, bien entendu, était fermée à clef. Ce n’était quand même pas possible ! Tout ce travail et ce temps perdu pour rien ! Ô désespoir ! Cette maison était plus inaccessible qu’un château-fort… Découragé pour la première fois, l’enfant s’assit sur une marche humide et courba la tête. Il n’y avait plus rien à faire, si ce n’est dormir dans la voiture et repartir le lendemain matin. Pendant qu’il se lamentait ainsi, Pauline qui, dans ses contes, avait vu plus d’un Sésame s’ouvrir mystérieusement, inspectait les lieux, espérant sans doute trouver une clef magique ou un passage secret. Mais non, il n’y avait rien, absolument rien. Pas la plus petite anfractuosité où on aurait pu dissimuler une clef, pas la moindre formule magique écrite en lettres gothiques sur la paroi et qu’il aurait suffi de prononcer trois fois pour que s’ouvre la porte du paradis. Elle prenait subitement conscience de la dure réalité de la vie. Oui, tous ces contes qui l’avaient tellement fait rêver quand elle était plus petite n’étaient finalement qu’un tissu de mensonges ! Cela avait servi à quoi de lire toutes les histoires racontées par Shéhérazade si cela ne lui permettait même pas d’ouvrir une simple porte ? C’était à désespérer de la littérature et de tous ces auteurs qu’on disait fort intelligents mais qui ne racontaient en fait que des sornettes. Elle allait à son tour manifester son découragement et peut-être même verser quelques larmes quand elle fit une remarque technique qui attira l’attention de son frère. « C’est curieux, ce n’est pas une serrure comme chez nous. Celle-ci n’est pas fixée dans l’épaisseur de la porte. » « Comment cela, elle n’est pas dans la porte ? » « Non, elle est sur la porte, pas dedans ». Il se leva d’un bond et faillit bousculer sa mère, qui ne retrouva son équilibre qu’en se retenant comme elle put à la paroi toute suintante d’humidité. Effectivement, la serrure était fixée sur la porte par quatre grosses vis qui disparaissaient à moitié sous une belle épaisseur de rouille. Mais alors, s’il y avait des vis, on pouvait les dévisser et donc enlever la serrure ! Ils se regardèrent comme les naufragés d’un radeau qui viennent d’apercevoir dans le lointain une île à la végétation luxuriante. Ils étaient sauvés !

Tout, ensuite, alla très vite. Mais ils devaient d’abord trouver un tournevis… « Il y en a un dans la trousse de secours de la voiture » dit la mère, rayonnante. Bon, il allait falloir rebrousser chemin, mais ce ne serait que pour mieux revenir. Bien entendu, aucun d’entre eux n’avait envie de rester seul dans l’obscurité profonde de la cave et c’est donc à trois qu’ils refirent tout le parcours en sens inverse, en essayant de ne pas glisser. Quand ils parvinrent à l’extérieur, le soir était déjà tombé et il faisait noir. Ils contournèrent la maison et tentèrent de retrouver la voiture, ce qui n’était pas facile car le rayon lumineux de la torche commençait à faiblir dangereusement. Hélas ! Ils avaient beau aller à droite et à gauche, ils ne trouvaient rien. Mon Dieu, la voiture ! Et si on la leur avait volée ? D’ailleurs personne n’avait pensé à fermer les portières à clef, mais c’était un peu tard pour s’en souvenir. Heureusement, à force de tâtonner, ils butèrent sur le chemin d’accès et, en le suivant, finirent par retrouver le véhicule. Leur erreur était simple : en sortant de la cave, ils avaient contourné la maison par la gauche au lieu de prendre à droite. Désorientés, ils avaient erré pendant un quart d’heure dans le noir absolu, cherchant d’un côté ce qui était de l’autre. Ouf, ils l’avaient échappé belle quand même ! Pauline sentait son petit cœur qui battait à se rompre et quant à sa mère, même si elle n’en disait rien, elle avait eu la peur de sa vie. On prit le tournevis, on ferma la voiture à clef, on revint au moins trois fois sur ses pas pour vérifier et on repartit. Il ne fallait pas traîner car le faisceau de la torche se montrait de plus en plus timide. Personne, assurément, n’avait envie de se retrouver perdu dans l’obscurité du souterrain ! Il n’aurait plus manqué que cela ! Rien que d’y penser, ils en avaient tous des frissons.

On repassa devant les herses, les fléaux et les bocaux à conserves, on courut presque le long des niches à fromage et après avoir un peu dérapé sur les marches glissantes, on se mit en devoir d’enlever la serrure. Pauline, qui avait tenu le tournevis tout le long du trajet, voulut essayer la première, mais elle passa vite l’outil à son frère, lequel ne se montra pas plus habile. C’était une question de force, en fait. Les vis étaient particulièrement rouillées et seule la mère parvint à les décaler et encore, ce ne fut pas sans mal. A la fin, elle enleva la serrure et la porte s’ouvrit comme par enchantement. Enfin, on y était !

On était où au fait ? Dans une autre cave tout simplement, mais celle-ci devait être celle de la maison car elle n’était plus taillée dans le roc mais ses murs étaient constitués de gros blocs de granite mal équarris. A part quelques cageots dans un coin, elle était vide. On poussa une autre porte, heureusement sans clef et sans serrure celle-là et on se retrouva dans une deuxième cave, laquelle donnait dans un petit corridor d’où montait un escalier en bois. Les marches craquèrent sous leur poids d’une manière inquiétante. On sentait qu’il y avait longtemps que les vieilles planches de chêne n’avaient plus été soumises à la moindre contrainte et on aurait dit qu’elles protestaient et qu’elles se révoltaient contre l’intrusion de ces visiteurs inconnus. Ils faisaient tellement de bruit, à eux trois, qu’ils en étaient intimidés, comme s’ils avaient craint de réveiller quelque fantôme assoupi ou même d’indisposer l’âme plusieurs fois centenaire de la maison.

C’est qu’elle existait depuis si longtemps, cette demeure, qu’elle avait fini par vivre de sa vie propre, indépendamment des humains qui l’avaient habitée. Il faut dire qu’elle en avait vu, des générations défiler sous son vieux toit. On ne comptait plus le nombre d’enfants qui étaient nés ici, y avaient grandi, s’y étaient mariés, avaient travaillé d’arrache-pied dans les champs, avant de s’éteindre dans le lit d’une des chambres, sous le grand crucifix de bois. Ils étaient tous venus du néant et y étaient retournés, sans laisser beaucoup de traces de leur passage à vrai dire, si ce n’est de temps en temps un nouveau meuble, un bibelot de cuivre ou quelques-unes de ces machines agricoles qui rouillaient maintenant dans la remise.

Elle, par contre, la maison, était toujours debout, traversant les années et même les siècles comme si elle avait dû être immortelle. Il faut dire qu’elle avait été bâtie sous l’Ancien Régime encore, peut-être par quelque fermier enrichi dans la collecte des impôts. Elle n’avait pas connu les guerres de religion proprement dites, cela non, mais la révocation de l’Edit de Nantes, certainement. Les soldats du Roi avaient sans doute fouillé ses vieux murs à la recherche de quelque Huguenot récalcitrant et le sang de ce dernier avait dû laisser sur les pierres brutes quelques taches rouge sombre, que la pluie des automnes ou la neige des hivers avaient effacées insensiblement. Puis cela avait été la Révolution et l’un ou l’autre comte ou baronnet local avait sans nul doute été pendu à un des grands chênes le long du chemin. Quant aux comtesses et à leurs filles, on n’ose même pas imaginer quelle fin dut être la leur, quand on voit le nombre de caves et de recoins sombres que comporte la bâtisse. Il vaut bien mieux oublier tout cela. Plus tard, on peut imaginer que certains fils du fermier sont partis se battre pour l’Empereur, là-bas, tout là-bas, de l’autre côté du Don et du Dniepr, dans les grandes plaines de la Russie. On ne sait pas bien pourquoi ils sont partis en fait, abandonnant leurs terres et leur jolie fiancée. Tout ce que l’on sait, c’est qu’ils ne sont jamais revenus, ensevelis sans doute sous les neiges du grand hiver continental. Puis ce furent d’autres enfants de la maison qui s’en allèrent vers d’autres guerres, plus proches celles-là, sur les frontières du Nord et du Nord-Est. Quelques-uns rentrèrent un jour avec des cartouches vides plein les poches en guise de souvenirs. Les autres, on ne les a jamais revus, ils sont restés là-bas et ils dorment dans la terre de Champagne ou d’Argonne.

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