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Le texticule de Lisbonne

Publié le 17 novembre 2007 par Philippe Thomas

Dormez en paix, braves gens ! Grâce au " traité simplifié " de Lisbonne, l'Europe va enfin sortir de l'impasse ! Que de propos lénifiants ou simplement satisfaits n'avons-nous pas entendus ces derniers temps sur l'accord de la haute caste politique européenne qui s'est réunie à Lisbonne ! Avant de ne plus rien entendre du tout, d'ailleurs, l'affaire semblant pliée, classée, enterrée. Oubliée des médias. Et résignés les citoyens. Comme quoi une bonne délocalisation et quelques mots qui changent suffisent à accomplir un beau tour de passe-passe...

Un instant, j'ai cru à la " simplification " lisboète. Je m'attendais à un texte court et ayant tenu compte des débats nourris d'avant le référendum. Mais j'ai été surpris en allant voir de quel texticule avaient accouché nos " sages " ou nos patrons politiques de l'Europe, ou les deux, à moins que ce ne soient les mêmes ? 250 pages ! Et encore plus dur à se fader que le précédent ! Le pire est dans la réponse à la question suivante : Qu'est-ce donc qui change entre le feu projet de Traité Constitutionnel Européen (TCE) et le nouveau projet de Traité Modificatif Européen (TME) ?

Sur le fond, rien ! C'est Giscard lui-même qui le dit avec le culot d'un vieux filou de la politique : " les outils sont exactement les mêmes, seul l'ordre a été changé dans la boîte à outils ". Citons encore Giscard dont le mérite est d'avancer sans masque dans cette vaste entreprise de confiscation d'une décision qui devrait revenir aux citoyens - et qui leur était déjà revenue le 29 mai 2005 : " Le traité de Lisbonne se présente ainsi comme un catalogue d'amendements aux traités antérieurs. Il est illisible pour les citoyens, qui doivent constamment se reporter aux textes des traités de Rome et de Maastricht, auxquels s'appliquent ces amendements. "

Vaut-il mieux en rire ? Le TCE était ainsi lisible, même si ni facile ni marrant à lire, et c'est bien parce qu'un grand nombre de Français ont fait l'effort de le lire qu'ils l'ont refusé par référendum avec le net résultat que l'on sait ! La manœuvre est presque comique : rendons le texte illisible (sinon des seuls spécialistes) pour éviter de la faire voter par ces lecteurs imprévisibles que sont les électeurs ! Restons entre "gens qui savent", experts ou politiques, pour l'adopter avec enthousiasme et dormez tranquilles, braves gens, on s'occupe de tout...

Ce transfert de la décision dans la caste des politiques, certes élus, et de leurs experts affidés est une confiscation qui signe la mort de la démocratie fondée sur le suffrage universel direct. Une caste inamovible, droite et gauche assurant un débat de surface, assoit ainsi son règne sur les citoyens. Je suis allé voir un peu ce fameux texticule de Lisbonne et les analyses de cet irréductible gaulois qu'est Etienne Chouard. Lui, il parle d'arnaque. Sur le fond en effet, rien de changé dans le TME sinon le bizarre abandon des symboles forts et fédérateurs que sont (et resteront, je l'espère) le drapeau européen et l'Hymne à la joie. Il faut aussi relever la suppression des vocables " constitution " et " constitutionnels ", sans doute pour atténuer l'aspect " gravé dans le marbre " que conféreraient ces mots à n'importe quel texte...

Sinon, rien n'a changé excepté la manière de dire la même chose. Giscard le confirme en donnant quelques exemples. Ainsi, l'expression qui fâche "concurrence libre et non faussée" disparaît bien de l'article 2 du TCE pour ressusciter dans une annexe sous la forme : "le marché intérieur, tel qu'il est défini à l'article 3 du traité, comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée"... Et hop, Europe libérale nous y revoilà...

Sur la question de l'adoption du texte, Sarkozy, mais pas seulement lui, a donc décidé de squeezer la validation du TME par les citoyens. Il était pourtant légitime et logique que la " modification " soit validée ou non par les urnes, de la même manière que pour le texte initial. Or, en tel contexte, renoncer à l'onction du suffrage universel revient à changer les règles du jeu en cours de partie. Autrement dit, c'est de la triche en plus du déni de démocratie que cela signifie. Cette manœuvre aurait pourtant pu redonner la main à l'opposition et particulièrement au Parti socialiste. Or, à quelle pantalonnade avons-nous assisté ?

Le Bureau national du PS a donné quitus à Sarkozy en approuvant et le TME de Lisbonne et sa ratification par voie parlementaire par 36 voix contre 20 et quelques abstentions. Or, quand on relit les propositions du PS et de sa candidate s'engageant devant les électeurs, il y a de quoi tomber de sa chaise : " Négocier un traité institutionnel soumis à référendum pour que l'Europe fonctionne de manière plus démocratique et plus efficace " (Proposition 91 du Pacte présidentiel de Ségolène Royal) et " Nous proposons l'élaboration d'un traité strictement institutionnel [...] Une fois renégocié un tel traité sera soumis au peuple par référendum " (Relancer l'Europe, in Projet socialiste).

Je sais bien qu'une certaine plasticité est nécessaire en politique et que tout dogmatisme est mortifère (mais en l'espèce, il ne s'agit nullement de positions dogmatiques). Mais là, il y a de quoi rire, histoire de conjurer un fort sentiment de trahison en considérant le comique de situation ! Il y a aussi de quoi rager devant une faute stratégique étonnante : la revendication d'un référendum (nullement gagné à l'avance, pas plus pour les anciens " nonistes " que pour les anciens " oui-ouistes ") eut permis de reprendre la main face à un Sarkozy omniprésent. Mais la défense du principe d'un référendum, à peine amorcée par Fabius, Mélenchon et quelques autres, a été étouffée par cette décision de conclave socialiste.

Le bon sens, pour un parti qui s'était clamé exemplaire en organisant un référendum interne sur le TCE, eut pourtant commandé de revendiquer un nouveau référendum, ne serait-ce que dans l'exigence habituelle à gauche du respect de la démocratie...
Le PS a raté une occasion, peut-être en préférant parier sur la récupération des mouvements sociaux plutôt que sur le débat institutionnel et européen. Dans le genre justification grand-guignolesque, on a entendu -entre autres- Vincent Peillon, ancien partisan du non, énoncer cette argutie dont la subtilité dialectique m'échappe : " Je crois que la bonne solution, et je le dis en tant que partisan du non, c'est de dire oui, aux conditions du oui socialiste, qui n'est pas le même que le oui de Sarkozy. Cela avait du sens de dire non en 2005, il y avait un plan B, vous l'avez vu, Nicolas Sarkozy a renégocié le traité. Mal, mais il l'a renégocié, c'était donc possible. " (sur France-Inter, lundi 12) Pour la peine, ce brave garçon qu'on a connu mieux inspiré se voit décerner une fraise d'honneur bien acide pour cette acrobatie clownesque !

Globalement, on préfère donc au PS enterrer le débat et jouer petit bras, en remettant à plus tard une possible amélioration des institutions communautaires quand la droite n'y sera plus... Et éviter dans l'immédiat de " se diviser ", du moins au grand jour. Et se concentrer sur ces objectifs prioritaires que sont les prochaines municipales et cantonales. Il s'agit de faire vivre ou plutôt survivre la boutique.

Dans cette optique, Clochemerle envahit tout l'horizon et l'Europe devient soudain un continent bien lointain. Mais qu'on ne s'étonne pas ensuite si la boutique socialiste est de moins en moins fréquentée...

Le texticule de Lisbonne

À propos de Fraise des Bois

Vous en une ligneUn chroniqueur de plus en plus poétique...BiographieCe blog apparu fin 2004 fut d'abord le journal de mon aventure politique au Parti socialiste (de 2004 à 2008). Cette expérience militante s'est achevée et s'avéra finalement fort décevante en tant que telle. J'en suis arrivé à la conclusion qu'il est parfaitement vain de militer, à moins d'être ou de vouloir devenir un professionnel de la politique (élu ou collaborateur d'élu ou de collectivité), ou de se sentir " client " de tel ou tel baron local, ou encore de se complaire dans le rôle de supporter. Heureusement, il existe bien d'autres formes d'engagement où l'on peut se réaliser et œuvrer utilement ! Restent le blog et le livre qui constituent un document toujours actuel où beaucoup se sont reconnus ou ont cru reconnaître telle ou telle section socialiste. Mais le blog fut riche de rencontres lumineuses concrétisées notamment lors des différents Conseils des ministres du Blogouvernement et le temps d'un France Europe Express mémorable avec... François Hollande ! Désormais, le blog continue principalement sur la voie poétique des " Poésies du samedi ", frayée initialement en contrepoint des textes composant mon témoignage sur les mœurs politiques au PS. Cette chronique poétique est un divertissement et aussi une quête de sens, à travers la mosaïque de pépites littéraires que j'aime faire partager, attentif aux échos, résonances ou harmoniques qu'elles peuvent susciter... Mes aventures professionnelles : cueilleur de pommes, secrétaire occulte d'un éditeur véreux, formateur, professeur (français, philosophie), journaliste, chargé d'assistance... Mes responsabilités aventureuses : Premier ministre du Blogouvernement dont le pays est la Blogosphère (capitales : Montcuq, Bazoches-en-Morvan, Guyancourt, Coulon) Centres d'intérêtLa vie exactement (comme ça, j'oublie rien !)


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