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Ma Granny, mon amour de grand-mère.

Publié le 07 mars 2010 par Reenco

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Granny, quand je suis née, elle avait les cheveux gris.

Aujourd'hui, elle a les cheveux blancs.
Quand je regarde les photos de ses 30 ans, avec ses cheveux noirs, je ne la reconnais pas.
J'ai du mal à réaliser qu'elle a été jeune.
Ma Granny, c'est ma grand-mère, et une grand-mère, on a l'impression qu'elle a toujours été comme on la connait.

Aujourd'hui, elle a 83 ans.
Et toute ses dents.
Et toute sa tête.
Et tout son amour pour sa famille.

Ma Granny, je la partage avec 25 autres petits-enfants, avec ses 5 enfants, et même ses 10 arrière-petits-enfants.
Pourtant, j'ai l'impression qu'elle n'est rien qu'à moi.

C'est ma deuxième Maman. Mes soeurs et moi avons eu la chance, depuis notre naissance, de vivre près de nos grands-parents. A 3 minutes d'eux, tout au plus. Jusqu'au jour où notre Maman a fait construire sa maison dans le jardin de ses parents, il y a dix ans. Nous sommes devenues voisines de notre Papitou et notre Granny, pour le plus grand bonheur de chacun.

Quand nous étions enfants, ils venaient presque chaque jour nous chercher à l'école le midi et le soir, soit dans la 2cv orange de Papitou qui donnait l'impression de s'envoler au moindre dos d'âne, soit dans la 309 toujours propre de Granny. Papitou cueillait des salades dans le jardin et Granny préparait une vinaigrette tellement merveilleuse qu'elle est devenue légendaire dans la famille, et que personne n'a jamais réussi à reproduire.
Granny était la seule à réusir à nous faire manger, voire adorer les courgettes, les aubergines et les épinards. C'est pas compliqué, tout ce que Granny faisait et fait, c'est parfait.

Le soir, pendant que Papitou disait bonne nuit à ses plantations et s'occupait de tous ses animaux, Granny nous faisait faire nos devoirs. Elle connaissait nos points forts, nos difficultés, nos moyennes, nos histoires de coeur, d'amitié, nos déboires de cour de récré, nos envies pour l'avenir. Elle connaissait tout de nous. Dés que les devoirs étaient terminés, nous nous installions sur le canapé, chacune à sa place autour de Granny et son tricot, Papitou dans son fauteuil. C'était l'heure de Questions pour un Champion.
Elle connaissait toutes les réponses, et nous lui disions sans arrêt "Granny, t'es trop forte, tu veux pas jouer au jeu à Paris?".
Elle souriait tendrement, tout le temps, dès qu'elle posait les yeux sur nous.

Après le diner, un de nos parents venait nous récupérer pour retourner à la maison. Et le week-end, nos grands-parents venaient chez nous. On leur vendait pour 2 francs les magazines qu'on fabriquait, on leur faisait des spectacles de GRS, de danse, de cirque avec nos chats ...
Pendant l'enfance, Papitou nous apprenait à planter des fleurs, à s'occuper des animaux, nous faisait faire des promenades en brouette, nous emmenait à la pêche ... Granny, elle, nous achetait des tas de livres, en nous mettant toujours un petit mot sur la deuxième de couverture,  nous tricotait des robes, des pulls, des gants ... Lorsque ma dernière soeur vivait ses derniers moments bien au chaud dans le ventre de notre Maman, Granny nous a acheté des petites aiguilles à tricoter dorées avec les bouts rouge. Elle nous installait sur lit parental, où notre Maman était obligée de rester, et nous apprenait à tricoter.

Adolescentes, nous avons été conduites partout par nos grands-parents. Granny, du haut de ses 75 ans, pétait la forme. Dès que nous avions besoin, elle sautait dans sa 406 toute neuve et nous trimballait partout. Papitou, lui, avait opté pour une 4L encore plus branlante que la deudeuche, alors on préférait demander à notre grand-mère. C'était un peu plus classe, surtout pour arriver devant le lycée.

Le soir, après le repas avec ma mère et mes soeurs, j'adorais traverser le jardin en pyjama, caresser les chiens au passage, monter les marches qui menaient à mes deuxièmes parents. Je les trouvais assis dans le canapé, à finir de regarder les informations. Dès qu'elles étaient terminées, Papitou regardait un match de foot ou un documentaire animalier. Moi, je fonçais dans la chambre avec Granny, nous nous installions sur le lit, je me collais contre elle et je lui demandais de me raconter sa vie, qu'elle m'avait déjà conté des dizaines de fois, mais j'en voulais encore. Alors on partait de l'Indochine, en passant par la Guerre de 39/45, l'Algérie ...  Je posais à Granny des tas de questions, au fil des ans de plus en plus précises.
Et au fil des ans, les réponses se sont faites de plus en plus précises. Les détails sur la vie pendant la Guerre, mes arrière-grands-parents, son premier mariage, son union avec Papitou  contestée par leurs familles, la fuite en Algérie pour le retrouver, ses enfants, leur mariage, le retour en "Métropole", les maladies, les bals, les pertes de proches, les emplois.
Elle m'a raconté tout ce qu'elle a pu, pendant des années, avec générosité, sans omettre le moindre détail, pour que je puisse savoir.
Papitou faisait son apparition de temps à autre, pour nous offrir une tisane ou faire son petit commentaire sur telle ou telle anecdote. Il restait parfois, parce que c'était plus intéressant que ce qu'il y avait à la télévision. L'heure du dodo arrivant, je les embrassais fort et retournais, dans mon pyjama, chez moi. J'avais 17, 18 et même 20 ans. Et j'adorais passer ces soirées-là.


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Au final, je sais aujourd'hui, que de cette grande famille, je suis la seule à connaître leur histoire dans les moindres détails, que même leurs enfants ne soupçonnent pas. Mes grands-parents savent, parce que je le leur ai dit, que plus tard, je me ferai la messagère de l'histoire de tout ça pour le reste de la famille.  Plus tard, quand il n'y aura plus que moi qui en serai porteuse.
Pour le moment, je savoure le fait qu'il n'y ait que moi qui puisse partager cela avec eux, égoïstement.

Jusqu'à aujourd'hui, Granny continue à m'offrir des livres. Et inversement. Ou on s'échange les nôtres, une fois qu'on les a lus. Nos facteurs ont pris l'habitude, depuis tout ce temps. Nous avons en commun une adoration pour "L'étoile noire", une merveille d'autobiographie, d'une jeune noire pendant la guerre, ou encore toute la saga de Régine Deforges, de la Bicyclette bleue aux Généraux du Crépuscule, que nous avons du chacune lire environ dix fois ... Parfois, on s'appelle juste pour se raconter la dernière pépite littéraire découverte.

D'ailleurs, on s'appelle au minimum une fois par semaine. Tout comme celle de ma Maman, j'ai besoin d'entendre la voix de ma Granny régulièrement. Je lui raconte tout, tout, tout. Ma vie en général, ma vie sentimentale, ma vie professionelle, ce que j'ai fait dans la journée, la veille, ce que je ferai le lendemain, ce qui m'a fait rire, ce qui m'a déçu, ce qui m'énerve, tout.
Et quand sept jours se sont écoulés sans que je n'aie pu appeler, par manque de temps, elle me téléphone.

Lorsque je suis partie vivre à Paris, que je suis montée dans ce train, elle était de l'autre côté de la vitre, et ces larmes qui coulaient sur ses joues, jamais je ne les oublierai. Elle m'avait élevée avec ma Maman et Papitou, avait largement contribué à faire de moi ce que j'étais devenue, et me laissait m'envoler. Une page se tournait.



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Depuis trois ans, Granny est un peu affaiblie et tremble beaucoup. Malgré tout, elle fait trois fois par semaine ses 10 kilomètres de vélo d'appartement, et conserve une vie normale. Mais elle a du mal à écrire, à tenir ses couverts, à faire des choses minutieuses, et ne peut plus tricoter du tout. Avant d'abandonner totalement, elle a tenu à terminer une étole pleine de torsades, de détails, une étole magnifique, qu'elle m'a offerte. Je savais que ce serait sa dernière création. Et elle était pour moi. C'était plus qu'un honneur. Et c'était boulerversant, parce que cela signait la fin d'une histoire, celle de Granny dans son fauteuil avec son tricot.
Puis, quand à Noël dernier, elle m'a fait cadeau de toutes ses aiguilles, dont celles qui avaient initialement appartenu à sa maman, j'ai eu l'impression d'avoir officiellement une vraie place dans cette grande famille. Comme si elle me confiait le soin de continuer à faire vivre ce qu'elle avait aimé passionnément pendant 80 ans.

Je lui ai tricoté un bonnet le lendemain, qu'elle porte depuis. Elle m'a encore dit il y a trois jours qu'il lui tenait bien chaud. Aujourd'hui, c'est moi qui tricote pour ma Granny. Aujourd'hui, ce sont mes soeurs qui conduisent Granny à ses rendez-vous, aux courses et où elle le souhaite. Aujourd'hui, quand j'y vais, c'est moi qui cuisine, qui la coiffe, la maquille. Aujourd'hui, c'est nous qui prenons soin de cette grand-mère qui nous a donné presque trente ans de sa vie, alors qu'elle aurait pu enfin profiter de prendre le repos qu'elle avait bien mérité.

Un jour j'aimerais réussir à écrire un livre sur la vie de ma Granny.  Qui resterait chez nous, juste pour mes enfants, ceux de mes soeurs, et leurs enfants à eux, pour que toujours, sur notre famille, restent son amour et son souvenir.
En attendant, je continue à lui dire, dix, quinze, vingt fois par an, à quel point je l'aime.



PS : je comptais mettre un autre billet aujourd'hui, mais comme c'est la fête des grands-mères, je me suis dit, c'est l'occasion de parler de ma Granny.
J'espère que ça vous donnera envie de parler de la vôtre, qu'elle soit toujours là ou non.


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