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Prix du ticket de métro et nombre de sous-marins – faut-il s’appeler Julien Lepers pour faire du journalisme politique ?

Publié le 09 mars 2010 par Variae

C’est une tendance qui va en se renforçant depuis plusieurs années, les périodes électorales ressemblent à des séquences de Trivial Pursuit, où l’on assaille les candidats de questions-pièges censées révéler l’(in)aptitude des intéressés à accomplir correctement un mandat d’élu. On se souvient de Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy et du nombre de sous-marins nucléaires de la France, pendant la campagne présidentielle de 2007. Aujourd’hui, la droite francilienne fait ses choux gras d’une erreur de Jean-Paul Huchon sur le prix exact du ticket de métro, répondant à France Info. On peut parier que la série risque va se prolonger et connaître une nouvelle flambée lors de la préparation des prochaines présidentielles. Que penser de cette culture du journalisme-quizz ?

Prix du ticket de métro et nombre de sous-marins – faut-il s’appeler Julien Lepers pour faire du journalisme politique ?

L’objectif tacite de ce type de question est clair : tester les capacités et qualités réelles du candidat mis sur le grill, par-delà ses poses et ses formules de campagne. Ce qui est testé est de deux ordres différents : soit la connaissance de la vie quotidienne réelle des Français (prix du ticket de métro, mais aussi de la baguette de pain, de l’essence, etc.), soit l’expertise technique de haut niveau concernant les domaines d’intervention de l’élu (dans le cas des sous-marins nucléaires). Le fait même que les journalistes posent de telles questions révèle un présupposé négatif sur les candidats : ce sont des bourgeois coupés de la réalité de leurs concitoyens (dans le cas des questions sur la vie courante) ; ce sont des incapables (dans le cas des sous-marins), ignorants de sujets fondamentaux. On se situe donc dans une culture du poujadisme sceptique ou cynique, méfiant par principe envers tout homme ou femme politique.

Mais que révèlent vraiment ces questions (et les possibles erreurs des candidats) de l’inaptitude ou de l’aptitude, de la légitimé ou de l’illégitimité à représenter efficacement les Français ?

On remarquera tout d’abord qu’elles portent systématiquement sur des symboles. Le prix du pain, c’est le prix d’un des piliers de l’identité nationale, considéré à tort ou à raison comme la base de la nourriture française. Les sous-marins nucléaires sont … nucléaires, donc dangereux (qui dit nucléaire, dit centrales, dit bombe atomique, dit radiations). Le ticket de métro, c’est, par métonymie, les problèmes de transports des Franciliens. Le vrai objet de toutes ces questions est donc plus la dramatisation du débat politique (et sa réduction à quelques exemples frappants) que la vérification réelle des qualités utiles des candidats (quelle proportion de l’activité d’un président de la République est directement relative aux sous-marins nucléaires ?). Parallèlement, elles traduisent une conception naïve et erronée du fonctionnement du pouvoir politique et des processus de décision des élus. Actuellement moins que jamais, un seul élu peut ni ne prétend maitriser l’ensemble des paramètres techniques relevant de son mandat. Un élu ne décide ni ne travaille seul, il est toujours entouré de conseillers et de techniciens. On jugerait bien mieux des qualités d’un candidat en interrogeant sa vision générale, ou sa capacité à bien s’entourer, qu’en le soumettant à un « Question pour un champion » politique.

Les questions censées tester spécifiquement la connaissance du quotidien des Français sont plus problématiques encore. Elles supposent l’existence d’un mode de vie standard du Français moyen, auquel chacun pourrait mesurer sa distance ou sa proximité. Tout Français digne ce de nom mange du pain, “c’est une évidence”, et devrait donc connaître sur le bout des doigts le prix de la baguette. Mais dans un foyer où c’est toujours la même personne qui va acheter le pain, les autres membres de la famille sauront-ils combien coûte cette baguette ? Et si jamais, mauvais Français, ils ne mangent pas de pain, ou pas de la baguette, ou pas régulièrement ? Par ailleurs, est-ce que d’autres prix (forfait téléphonique mensuel moyen, musique en téléchargement légal …) ne seraient pas tout autant légitimes pour définir le quotidien de Monsieur-tout-le-monde ?

Pire encore, à mesure que ces questions-pièges s’institutionnalisent, on peut en dresser grosso modo la liste par avance et préparer des fiches-types de réponses. C’est d’ailleurs ce que font beaucoup de responsables politiques, de peur de se faire épingler. Non seulement cela biaise totalement la supposée vertu révélatrice de telles questions, mais on peut même imaginer des candidats complètement éloignés de la réalité de leurs électeurs, ou ignorants sur bien des sujets de leur futur mandat, qui apprendraient par cœur les réponses adéquates et passeraient donc avec brio ces « épreuves de vérité ».

Pourquoi ces questions ont-elles du succès, et sont appelées sans doute à en avoir plus encore lors des prochaines échéances électorales ? D’abord parce qu’elles font écho à la méfiance généralisée envers les milieux politiques. Mais aussi, du point de vue des journalistes, parce qu’elles leur offrent des moments d’impertinence à bon compte, dans un exercice par ailleurs de plus en plus formaté et balisé.

Cette pratique de l’interview-quizz rencontre trois fortes tendances du système médiatique actuel : l’obsession réductionniste du détail et du micro-, au détriment de la vision d’ensemble (voir par exemple la mode des panels de Français à interroger); la recherche du buzz à peu de frais ; enfin, tendance plus récente encore, la gué-guerre entre journalistes et politiques, les premiers cherchant à démontrer une indépendance de plus en plus mise en doute. Pas sûr que l’information – et la politique – en sortent grandies.

Romain Pigenel


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