Magazine Cinéma

Le cinéma et la mémoire

Par Petistspavs

Cette semaine, tout de suite la musique. Ce sera le très beau prélude n° 4 en mi mineur, opus 28 de Frédéric Chopin, ici interprété par Emmanuel d'Orlando est une des musiques d'un film que les Césars 2010 n'ont pas aimé. Ça vous dit quelque chose ce film ? Ça s'appelle Non ma fille, tu n'iras pas danser. C'est de Christophe Honoré, un de ceux qui tentent de relever le niveau d'un cinéma français qui, par ailleurs, court en arrière, pour essayer de rattraper ce qu'on a appelé "le cinéma français de qualité" et dont la Nouvelle Vague de la critique, Truffaut en tête, avait relevé les vertus mortifères dès le début des années 50.

Ce prélude (ses harmonies) a inspiré, outre Gainsbourg, un musicien brésilien devenu classique à sa manière, Antonio Carlos Jobim. On écoute son How insensitive par LA Diana Krall.

Cette semaine, j'ai sincèrement espéré une reprise, mais elle n'est pas venue. Je pensais qu'une actualité tapageuse, de genre bruits de bottes, allait donner l'occasion de revoir Les guichets du Louvre de Michel Mitrani, film français de 1974, premier film, je crois, de la délicieuse, de la douloureuse Christine Pascal. Ce film modeste était le premier, à ma connaissance, à aborder de front cette indignité nationale que fut la rafle dite "du Vel d'Hiv", commanditée par les autorités françaises pour plaire à l'occupant qui n'en demandait pas tant. M. Klein, de Joseph Losey, allait suivre.

Le site de la Cinémathèque résume le film ainsi :

Guichets
Paris, juillet 1942. Paul, un étudiant idéaliste, est prévenu d'une vaste rafle de juifs (celle qui restera sous le nom du "Vel d'Hiv"). Dans l'espoir de sauver quelques personnes, il déambule toute la journée au milieu des policiers, des autobus et des familles en pleurs, au sein du quartier Saint-Paul, pour prévenir et offrir son aide. N'étant pas juif, il ne sera pas inquiété par la police et la personne - femme ou enfant - qui l'accompagne passera ainsi entre les mailles du filet. Malheureusement, ses initiatives, maladroites parfois, se heurtent à l'incompréhension ou à l'incroyance. "Juive française, je ne crains rien", déclare une jeune femme arrêtée peu après. Découragé, Paul évite par hasard à une jeune fille de tomber dans la rafle et, durant plusieurs heures, essaie de la convaincre qu'il faut fuir avec lui. Celle-ci résiste, à la fois par manque de confiance, fatalisme et attachement à sa famille juive traditionaliste. Souvent aidés par la compassion des parisiens, les jeunes gens échappent aux dangers et au cours de l'après-midi, se découvrent, s'estiment, rêvent à un avenir, peut-être à l'amour. Mais, arrivés aux guichets du Louvre, à la rive gauche, au salut, Jeanne préfère retourner vers les siens et cette fidélité ira peut-être vers la mort...

J'ignore si le film, tourné à une époque où rapporter ce genre de faits n'était pas populaire, est perdu. Co-produit par l'ORTF, c'était un film parfaitement honnête, sinon brillant. Et je n'échangerai jamais  un baril de Christine Pascal contre deux barils de Mélanie Laurent.

Récemment, la fameuse "rafle" était présente dans le beau film que Robert Guédiguian a consacré aux résistants FTP-MOI (main-d'œuvre immigrée) parisiens dits "Groupe Manouchian" (L'armée du crime).

Aujourd'hui, je plains une certaine tendance du cinéma français qui confond Devoir de Mémoire et opportunité financière.

LES FILMS DE LA SEMAINE

Achille_et_la_tortue
Achille et la tortue
film japonais de Takeshi Kitano (2008, 1h59)
Avec Takeshi Kitano, Kanako Higuchi, Yurei Yanagi
scénario : Takeshi Kitano
directeur de la photo : Katsumi Yanajigima
compositeur        Yuki Kajiura
producteurs : Takeshi Kitano,  Masayuki Mori et Takio Yoshida
distributeur France : Océan Films (Sumo et La religieuse portugaise)
Synopsis : Le troisième film de réflexion de Kitano sur sa condition d'artiste. Machisu, un peintre sans talent, persiste à vouloir exercer son art...

Je reviendrai sur ce film qui marque le grand retour de Kitano après l'avoir vu, car il y a pas mal de choses à dire sur cet immense cinéaste, aujourd'hui invité spécial de Libé.

Kitano est l'un des cinéastes asiatiques les plus honorés en France. Pour celles et ceux qui ignoreraient encore l'importance de son œuvre, deux séances de rattrapage : une rétrospective au Centre Pompidou qui permettra de mettre en exergue la richesse et la diversité de son inspiration (du 11 mars au 21 juin) et une exposition à la Fondation Cartier, "Gosse de peintre" (du 11 mars au 12 septembre). Ces deux événements me fourniront le Focus d'une prochaine semaine (après avoir vu le film).

Eastern
Eastern Plays
film bulgare réalisé par Kamen Kalev (2009, 1h23)
producteur et scénariste ; Kamen Kalev
avec Christo Christov, Ovanes Torosian, Saadet Isil Aksoy
distributeur : Epicentre Films (Singularité d'une jeune fille blonde, notamment)
Synopsis : Itso a pris ses distances avec ses parents jusqu'au jour où il secourt une famille turque, agressée par un groupe de néo-nazis. Parmi eux, se trouve son jeune frère Georgi, qui participe depuis peu à des ratonnades. En se rapprochant de Georgi et de la jolie Turque qu'il a sauvée, le tourmenté Itso entreprend un cheminement intérieur qui pourrait l'entraîner vers la voie du salut.

Ce n'est pas tous les jours qu'on peut se mettre un film bulgare sous les yeux. Il se dégage d'une entrevue avec le réalisateur chez Paula Jacques, également des commentaires de ceux qui ont vu le film, un sentiment d'authenticité. D'ailleurs, Christo Christov, acteur non professionnel qui incarne Itso le junkie qui voudrait s'en sortir, fut d'ailleurs un authentique toxicomane et mourut avant la fin du tournage, ce qui rend l'entreprise particulièrement touchante.

Le Monde (Jean-François Rauger) salue le réalisateur : "Sa justesse de ton s'allie en effet à un réel talent dans la description d'une forme de dérive triste et poétique".

L'IMAGE DE LA SEMAINE QUI PARLE

Les affiches de films parlent. Certaines sont bavardes. Celle que je vous propose cette semaine est pénible à regarder. Elle est laide, jusqu'à la nausée. Pour l'écouter en .PDF (et remonter les flèches jusqu'à leur source), il suffit de CLIQUER DESSUS.

La_Raffle_Affiche_fl_ch_e

Que tu partages ou non mon point de vue, ami(e) lecteur(trice) dis-moi si tu trouves la méthode utile et si tu souhaites que je fasse le même travail à l'occasion de la sortie d'autres films. Là, je suis très en colère contre cette entreprise parfaitement démagogique et, au pire, pétainiste. Et je suis prêt à m'expliquer sur ce point.

S'il vous plait, n'allez pas vous rouler dans cette merde nauséabonde.

Ce n'est vraiment pas ma faute, mais je me vois obligé d'extirper des poubelles de l'histoire cinéphile ces quelques lignes dues à Jacques Rivette, dont l'importance théorique ne peut échapper à personne s'intéressant au cinéma et au monde (article intitulé "De l'abjection", Les Cahiers du cinéma, n°120, juin 1961). Il s'agit de Kapo, film "de gauche" de Gilles Pontecorvo consacré à l'Holocauste. Il s'agit surtout d'un plan qui a inspiré à Jean-Luc Godard une des formules les plus percutantes de l'histoire de la critique ciné, mais pas forcément toujours comprise ("Le travelling est affaire de morale"). Lisons Rivette :
"Voyez cependant dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifies : l'homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre plongée, en prenant soin d'inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme là n'a droit qu'au plus profond mépris".
Le titre de l'article, "De l'abjection", en dit long : le cinéaste qui esthétise l'indicible pour construire un joli plan ou un plan "artistiquement élaboré" est abject.

Et La rafle, en maquillant une tragédie nationale en mélo héroïque et larmoyant, est une entreprise méprisable, une abjection.
Comme on ne sait pas grand chose de la réalisatrice, mais qu'importe, La rafle n'étant pas un film d'auteur, on peut s'interroger sur les titres de noblesse de son producteur de mari,  Ilan Goldman. Il sortira bientôt La blonde aux seins nus, why not ? Il a produit récemment Coco, La môme et L'enquète corse, films aux ambitions cinéphiliques et humanistes incontestables. Auparavant, il s'était distingué dans les discrètes Rivières pourpres 1 et 2. Ajoutons les délicats Bimboland et XXL d'Ariel Zeitoun. On l'aura compris, ce producteur fait dans le pognon, le pognon raffiné, mais le gros pognon.
Alors, très vite. La rafle est une mauvaise action. Autant il faut dire et redire ce que NOUS avons fait de mal, de très mal, d'irréparable, dans le passé. Chirac, qui n'est pas un homme politique très admirable, a eu parfois des moments de vraie grandeur. Ce fut le cas quand il admit enfin, le 16 juillet 1995, une « faute collective » : « La France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. » La France et non pas "c'est pas moi, c'est l'autre", comme l'avaient clamé les présidents (ré)conciliateurs l'ayant précédé, y compris François Mitterrand, résistant incontestable, mais peu regardant en amitié, lui qui resta fidèle jusqu'à la fin à René Bousquet, premier responsable DES rafles (et non de LA rafle) des juifs opérées à partir de 1942 par la police française.
Dès lors, comment filmer ces rafles, comment dire l'indicible ? Peut-on, au prétexte qu'il n'existe pas ou peu d'images d'archives, prendre toute liberté avec l'Histoire et substituer aux images absentes un chromo larmoyant, legs grimaçant, aux générations futures invitées à associer l'indicible horreur à un banal film d'aventures en costumes qui, par malchance, finit mal. Et de se gargariser de ses 10.000 figurants (« On a eu plus de 10 000 cachets de figuration, presque le nombre de raflés » dixit Goldman sans s'ouvrir les veines de honte).
Alors oui, cette entreprise destinée à accumuler les entrées et les profits, à banaliser via des "stars" comme Reno ou Elmaleh (pourquoi pas Merad ou Clavier ?) ce qui devait rester un poids lestant notre conscience, une ombre portée, une peine, un chagrin, un vaccin contre l'oubli, cette entreprise est basse, méprisable, honteuse.
Quand il ne s'occupe que des histoires du cul des gloires passées (Chanel, Piaf) le nouveau cinéma "de qualité à la française", qui nous ramène 20 ou 30 ans avant la Nouvelle Vague, est simplement pathétique. Quand il vient insinuer ses grosses pattes sales dans les plaies de notre histoire, il devient pornographique.

FOCUS

Les 12, 13 et 14 mars se tiendra à Paris, au GRAND ACTION, le Festival européen du film indépendant. L'occasion de voir plein de films qui ne passeront pas sur TF1 le dimanche soir. L'occasion pour certains de découvrir la salle Henri Langlois du Grand Action, haut lieu de l'acmé cinéphilique.

logo

CLIQUER SUR L'IMAGE
pour tout savoir sur le festivalet pour regarder la vidéo marrante de la patronne du Grand Action.
Enfin, ceux que ça intéresse.


Retour à La Une de Logo Paperblog