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La planification comme négociation : créer du sens en impliquant la population dans l’aménagement du Grand Nouméa

Publié le 11 mars 2010 par Servefa

Résumé:
Cette brève réflexion sur le but de la planification des infrastructures de mobilité nous a conduit à la nécessité d’en reformuler l’approche. En effet, à la lumière des limites de la rationalité, et en abordant un point de vue communicationnel de la planification en tant que processus de négociation œuvrant à la création de sens, nous avons vu qu’il convient de changer le regard porté sur la démarche planificatrice Cette dernière ne saurait constituer un seul acte technique produisant des documents stratégiques mais bien constituer une démarche de communication mettant à nu les divergences entre les acteurs afin de procéder à des mécanismes d’alignement de cadres créateurs des sens et de référentiels communs alors véritablement capables d’harmoniser les politiques publiques et les actions de chacun. Dans le contexte multi-ethnique du Grand Nouméa, cette approche communicationnelle apparaîtrait particulièrement opportune, malheureusement, ça ne semble pas être la voie choisie par les décideurs.

Aborder les problématiques de mobilité nécessite de se pencher sur la question des infrastructures. Voyageurs, énergie, matières premières, biens de consommation et ondes électromagnétiques placent l’infrastructure en support incontournable à la mobilité. Dans la plupart des cas la construction de ces infrastructures engagent des sommes d’argent considérables et posent des problématiques d’aménagement complexe qui exigent une démarche particulière : la planification. Les décisions prises dans le traitement des problématiques de mobilité sont bien souvent être inscrites dans des documents de planification, aussi, plutôt que d’interroger directement les actions ou politiques publiques, il me semble pertinent d’interroger le processus qui a conduit à la mise en œuvre de ces dernières. Afin d’appréhender au mieux ce processus, il m’a semblé nécessaire d’en comprendre le sens exprimé par sa finalité. C’est ce que je me suis attaché à faire dans cette réflexion, par une brève analyse historiciste, puis par un regard critique portant vers une nouvelle approche de la planification.

1. Evolution de la démarche de planification

Afin de m’interroger plus profondément sur le but de la planification des infrastructures urbaines aujourd’hui, il me semble indispensable de penser brièvement l’historicité de la pensée planificatrice. Cette dernière se situe effectivement au firmament d’une vision humaniste où l’homme maîtrise son destin grâce à l’exercice de sa Raison. Aussi a-t-elle pris part avec une vision très rationaliste où la démarche planificatrice a pour objet l’établissement de plans savamment construits qui seront par la suite appliqués avec un échéancier précis dans le but de maîtriser le développement et l’aménagement d’un territoire donné. La maîtrise, le contrôle, l’ordre constituant ici autant d’idéaux à l’origine même de l’existence de la profession d’urbaniste. Ainsi, l’exercice de cet art (dans l’acceptation latine du mot, de ars, habileté, compétence) a-t-il recouvert en premier lieu une approche que d’aucuns nommèrent « blueprint », en référence à l’encre des plans ainsi édités, où la ville s’offrait en espace à construire ou à reconstruire, à moderniser, à modeler et dans laquelle le processus de planification s’opérait de manière centralisée et directive (on parlait d’ailleurs de « plans directeurs »). Cette approche formelle s’est toutefois heurtée à de nombreuses critiques, du fait de son approche purement spatiale (comme l’illustre l’utilisation même du mot « plan » et donc de la notion de « planification ») qui dénigre les dimensions sociales, économiques ou environnementales de la ville, de sa rigidité avec peu de prise en compte des effets d’un plan rapidement obsolète incapable de s’adapter à un milieu aux changements rapides (Jenkins, 2007). Par ailleurs une telle approche a été confrontée non seulement à l’opposition de la société civile, mais aussi aux limites du contrôle du préalable foncier quand bien même la « maîtrise publique du sol ne cessera jamais d’être revendiquée comme un idéal par les urbanistes, qu’ils soient coloniaux ou simplement modernistes : des hygiénistes aux planistes, des Européens aux Américains ou aux Soviétiques » (Massiah et Tribillon, 1988, p31).

Aussi, la planification a-t-elle peu à peu changé d’approche pour adopter une démarche systémique ou structurelle dans laquelle la rationalité a pour objet d’analyser et de comprendre les dynamiques des territoires, appréhendés donc comme des systèmes, dans le but d’anticiper leurs trajectoires et de les modifier s’ils ne correspondent pas aux objectifs communs. La planification agit donc ici sous la forme d’un ensemble de politiques publiques qu’il convient de coordonner (Jenkins, 2007). Le document de planification ne se présente donc plus tant sous la forme d’un plan qu’en tant qu’ensemble d’indications et d’actions à mettre en œuvre. C’est à ce type de démarche que se sont adonnés les acteurs du Grand Nouméa et à laquelle j’ai pu participer. Et c’est précisément la finalité de cette démarche de planification, institutionnalisée en France à travers les Schéma de Cohérence Territoriale, les Plans de Déplacements Urbains ou encore les Plans de Logements Urbains, qui m’interrogent, à travers la loi Solidarité et Renouvellement Urbain du 13 décembre 2000, mais qu’on rencontre aussi par exemple au Royaume Uni, avec les Structure Plans.

2. Faiblesses et limites de la planification « rationnelle »

Nous avons vu dans le billet précédent que la planification rationnelle souffre de trois grands maux:

  • elle est confrontée à des problèmes épineux, insolubles, qui sont chacun le symptomes d'un autre problème ;
  • elle doit faire face aux limites cognitives de la rationalité et se contraindre à des politiques de la débrouillardise ;
  • elle s'opère dans un contexte de pouvoir qui distord grandementce qu'il reste de rationalité dans sa démarche

L’ensemble de ces encombres au bon déroulement d’une démarche rationnelle de planification conduit ainsi inexorablement à des documents de planification dépourvus d’originalité : face à la complexité des problèmes et dans l’incertitude des politiques publiques à mener, la tentation est grande non seulement de s’inspirer des documents de planification des autres collectivités, mais aussi de coller parfaitement aux directives ministérielles ou autres guides élaborés par des experts des Etats. Dans son essai sur les Plans de Déplacement Urbains, Offner pointe ainsi le « discours convenu » de ces derniers : « tout semble se passer comme si les PDU puisaient dans un stock commun de solutions faiblement différenciées, adaptable à toute situation locale » (Offner, 2006, p38). La planification des infrastructures s’avère ainsi victime d’effets de mode comme en témoigne la prolifération de solutions semblables comme l’illustre l’exemple du renouveau du tramway et comme l’ont souligné les chercheuses Reigner et Hernandez à travers leur modèle générique d’organisation de la circulation (Reigner et Hernandez, 2007).

Ce portrait des démarches de planification nous conduit ainsi à préciser notre question initiale : pourquoi lancer des procédures de planification dont les mécanismes font preuve de rationalité limitée déviée par des jeux de pouvoir et produisent ainsi des documents sans caractère propre et éminemment normés ? Pourquoi donc mobiliser autant de moyens et de compétences si ce n’est pour produire un document de qualité qui permette véritablement d’œuvrer pour un meilleur développement du territoire ? Offner apporte une réponse à cette question lorsqu’il remarque que « les PDU ne sont plus une fin en soi mais participent de politique « constitutives » » (Offner, 2006, p39), il ne s’agit ainsi plus de voir la planification comme la volonté d’établir un plan, id est un document stratégique définissant des actions à mettre en œuvre, mais d’y cerner un processus de construction entre les acteurs d’un référentiel commun, avec une convergence des cultures professionnelles, l’établissement de réseaux idéologiques ou l’élaboration d’une vision politique partagée (Kaufmann et al., 2006).

3. La planification : une négociation créatrice de sens

La planification est un processus de négociation particulier : il ne traite pas d’objectifs clairement établis comme peuvent l’être des marchandages monétaires où vendeur et acheteur dispose d’un prix cible et de stratégies pour s’en rapprocher. La négociation planificatrice œuvre sur un tout autre registre : des valeurs qui prennent forme dans les positions défendues par les différents sensibilités représentées. Par ailleurs, la planification constitue un acte de négociation volontaire de gestion de conflits latents entre les différents acteurs. A ce titre, afin de comprendre les fonctionnements d’un tel mécanisme, et pour pousser notre réflexion sur la finalité des processus de planification, il convient de s’inspirer des travaux réalisés dans le domaine de la gestion des conflits multipartites où la négociation constitue un processus d’alignement de cadres (Brummans et al., 2008). Les sciences de la communication définissent les cadres selon deux paradigmes (Dewulf et al., 2009). Les approches interactionnelles définissent les cadres comme résultants d’une co-construction dynamique entre les acteurs. L’exemple traditionnel pour expliquer cette approche est celui d’enfants se chamaillant qui définissent par l’interaction le cadre de leur action, c’est à dire celui d’un jeu plutôt que d’une bagarre. D’autres chercheurs préfèrent définir les cadres suivant une approche cognitive où ces cadres apparaissent comme des représentations cognitives pré-existantes, des structures mémorielles pré-établies qui s’appliquent à une situation donnée. Dewulf et al. (ibid..) définissent ainsi une démarche méta-paradigmatique dans laquelle les acteurs possèdent des cadres cognitifs qui se modifient par l’interaction. Cette approche apparaît particulièrement porteuse dans la compréhension de la planification comme processus de négociation car elle permet d’appréhender le cadrage comme une construction sociale et partagée de sens (Brummans et al., 2008).

Ainsi, appréhender la planification comme un processus de négociation permet de modifier la finalité de cette dernière qui vise moins à l’établissement en soi de son contenu qu’à la création de sens entre les parties. Il n’est donc plus question de simplement noter des actions dans un échéancier mais d’œuvrer à une convergence des cadres, des visions de la ville, ou des infrastructures, à travers l’ensemble des acteurs. Une telle compréhension de la démarche planificatrice participe ainsi à l’efficacité de la coordination des politiques publiques mises en œuvre par une multitude de parties prenantes et œuvre ainsi à l’efficacité des actions mises en place.

4. Vers une planification communicationnelle ?

Il est ainsi permis de penser que l’approche rationnelle de la planification porte les germes de l’échec de sa mise en œuvre. En effet, ces approches technicistes s’enferment dans l’objectif de l’élaboration d’un plan sans percevoir le caractère essentiel de la dimension communicationnelle de la planification. Porter l’accent sur cette dimension participerait au contraire à la création de réseaux d’acteurs plus concernés et attentifs, moins « lâches » (Offner, 2006, p43) et surtout à l’établissement de véritables référentiels par création de sens. Une telle approche invite ainsi à l’ouverture des réseaux d’acteurs. A quoi bon, par exemple, établir, comme à Montréal, un plan de transport la conception n’a implique que la seule municipalité montréalaise ? Une telle démarche ne répond d’aucune négociation et son intérêt apparaît dès lors bien réduit. Pour aller plus loin, nous pouvons nous interroger sur le caractère occulte des démarches de planification, plus encore dans le domaine de la mobilité et des infrastructures afférentes largement noyautées par des corps d’ingénieurs civils, où le processus de planification appartient à quelques techniciens et à une poignée d’élus qui daigne s’y intéresser. Pourquoi rester entre aréopages ? Ne serait-il pas plus pertinent d’œuvrer à la création de référentiels non seulement entre techniciens mais aussi avec la population ? N’est-ce pas cette dernière qui sera touchée par les différentes politiques mises en œuvre ? N’est-il pas préférable dès lors de faire de l’opinion publique un partenaire plutôt qu’un opposant ? N’est-ce pas là une façon de mettre en place des actions véritablement contextualisées plutôt que tout droit sorties d’un catalogue normatif des bonnes pratiques ?

Cette approche me paraît plus pertinente encore dans le domaine des infrastructure de mobilité tant cette dernière touche au quotidien des habitants et s’avère difficile à influer contre leur volonté (les perspectives négatives de Gabriel Dupuy dans la lutte contre la dépendance à l’automobile en fournisse un bien triste exemple (Dupuy, 2006)).

Malheureusement, dans les démarches de Schéma de Cohérence de l'Agglomération Nouméenne et dans le Plan de Déplacements de l'Agglomération Nouméenne, les décideurs semblent à des années-lumières d'une approche communicationnelle. La population est à peine au courant que de telles démarches ont lieu. Il n'y a eu ni débat de fond, ni consultation de l'opinoin publique, ni éclaircissements sur les enjeux. Tout se joue en catimini avec tous les deux mois, un article léger d'information dans le quotidien local. Pourtant, les mesures comprises dans le Plan d'Aménagement et de Développement Durable demanderont à la population de nombreuses modifications de comportement pour être un succès. Il conviendrait dès lors d'agir en partenariat avec cette dernière plutôt que maintenir une approche autoritaire appuyée sur une prétendue rationalité. Les démarches de planification du Grand Nouméa devraient en effet être l'occasion d'une négociation collective afin de créer du sens, de partager des référentiels, et de s'assurer d'une meilleure réussite des actions futures. On s'y met quand ?

François

Bibliographie

Brummans, B. et al. (2008). « Making Sense of Intractable Multiparty Conflict: A Study of Framing in Four Environmental Disputes », Communication Monographs, 75: 1, pp 25- 51
Dewulf et al. (2009). « Disentangling approaches to framing in conflict and negotiation research : A méta-paradigmatic perspective ». Human Relations 62 (2), pp 155-193.
Dupuy, G. (2006). La dépendance à l’égard de l’automobile. Editions La Documentation Française. Paris. 93p.
Jenkins, P. et al. (2007). Planning and housing in the rapidly urbanising world. Chapitre 6 : Planning in the period 1960-90. London : Routledge. 368p.
Kaufmann, V. et al. (2003). Coordonner transports et urbanisme. Presses polytechniques et universitaires romandes. Lausanne. 220p.
Massiah G. et Tribillon JF. (1988). Villes en développement. Essai sur les politiques urbaines dans le tiers monde. Editions la découverte. Paris. 177p.
Offner, JM. (2006). Les plans de déplacements urbains. La Documentation Française. Paris. 92p.
Reigner H. et Hernandez F., « Les projets des agglomérations en matière de transport : représentations, projets, conflits et stratégie de « détournement » des réseaux », Flux 2007/3, N° 69, pp. 21-34.


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