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Discipline de marché

Publié le 12 mars 2010 par Unmondelibre

Discipline de marchéEmmanuel Martin – Le 12 mars 2010. Les réactions récentes d’hommes politiques européens quant aux « spéculations » contre la dette grecque, tout comme les réticences de la banque à se responsabiliser suite à la crise de 2007-2008, révèlent un problème similaire : la fuite devant les responsabilités et la discipline de marché.

La tragédie grecque

Alors que les marchés se positionnent contre la dette de la Grèce, via la vente de ses obligations et l’achat de CDS (Credit Default Swaps), le Premier Ministre grec Georges Papandréou a crié au scandale. Il a été rejoint par Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et Jean-Pierre Juncker dans ce concert de critiques à l’égard des « méchants » spéculateurs, le quartet ayant demandé à MM. Barroso et Zapatero une enquête européenne sur les CDS sur les obligations des État européens. En cas « d’abus de marché » ou d’un « impact considérable sur les taux d'intérêt » imputable à la spéculation, il faudra « y mettre fin ». On brûle d’impatience de savoir comment seront définis « l’abus de marché » et « l’impact considérable ».

Parce qu’en réalité, qui se positionne contre la Grèce ? « Des spéculateurs sans scrupules », une bande de honteux incendiaires qui s’est assurée « contre un incendie sur la maison de son voisin avant d’y mettre le feu », comme le suggère M. Papandréou ? Les CDS sont essentiellement une assurance contre le risque de défaut d’un émetteur. En cela ils ont permis justement à la Grèce de pouvoir trouver des investisseurs acceptant des taux d’intérêt moins élevés. Il se trouve aujourd’hui que si une institution est très exposée aux titres grecs et qu’elle se rend compte que le pays est au bord de la faillite, il est non seulement évident mais – finalement !- parfaitement responsable, qu’elle se protège de ce risque, pour éviter… sa propre faillite : elle vend donc des titres grecs et achète des CDS. Il n’y a rien d’immoral là-dedans.

Les coupables ne sont pas les « spéculateurs ». Qui a maquillé les chiffres des finances publiques grecques ? Qui a eu une politique irresponsable de dépenses publiques ? Qui est donc responsable de la crise grecque ? Comme le souligne le journaliste grec Takis Michas, les Grecs ont un penchant à facilement blâmer les Xenoi (étrangers) pour leurs problèmes et fuir leurs responsabilités.

Les hommes politiques européens surfent ici en réalité sur la vague de ressentiment à l’endroit de la finance après la crise de 2007-2008 et en profitent pour trouver des boucs émissaires bien pratiques. Belle leçon de démagogie. Ce que la plupart des commentateurs omettent de mentionner c’est que les politiques tentent de s’affranchir une fois de plus d’un garde-fou contre la mauvaise gestion de leurs États – mauvaise gestion qui date de bien avant la crise. Cela avait été d’abord les critères de Maastricht qu’on avait mis au placard, puis la lutte contre les paradis fiscaux, qui, quoi qu’on puisse en penser, exercent une saine concurrence fiscale obligeant les États qu’on pourrait apparemment appeler des « enfers fiscaux », comme la France, à prêter davantage attention à leurs dépenses publiques. Voilà désormais que l’on dit aux créanciers légitimement inquiets de ne plus exprimer leurs doutes. On a bâillonné la « constitution », les concurrents ; voilà venu le tour des créanciers. « Ne jamais gaspiller une crise », selon la formule bien connue désormais de Rahm Emanuel : un verrou de plus va-t-il sauter ?

Banques : crise de puberté

Dans l’affaire grecque, des banques font leur travail en forçant les politiques à prendre leurs responsabilités. Mais, ironie de l’histoire, les banques elles-mêmes ne sont pas prêtes à prendre les leurs dans un autre domaine : elles fuient l’idée de responsabilité dans les négociations sur de possibles « solutions » réglementaires pour la finance, suite à la crise de 2007-2008. La partie à trois se joue entre les régulateurs anglo-saxons et européens (du continent), et la finance. Cette dernière ne veut pas de durcissement de la réglementation, soutenant qu’elle sera désormais « bien sage ». La solution serait alors la responsabilité dans l’autonomie, mais la finance n’en veut pas non plus. Toujours le beurre et l’argent du beurre, en somme.

Il faut en effet se rappeler la source profonde de la crise de 2007-2008: l’irresponsabilité d’une bonne partie de la finance durant la préparation de la crise - une irresponsabilité posée par les réglementations et interventions diverses. Les institutions financières sont protégées par des filets de sécurité publics qui multiplient la possibilité de l’aléa moral dans leur gouvernance : quasi-assurance d’un sauvetage et assurance des dépôts avec l’argent du contribuable, quasi-assurance de l’afflux de liquidités si les choses tournent mal (le fameux « Greenspan put » aux USA), et donc régulièrement, assurance d’argent bon marché pour augmenter l’effet de levier.

Ainsi, des banques se sont comportées comme des gosses de riches qui peuvent faire toutes les bêtises qu’ils veulent parce que « papa est derrière ». Cela n’est plus du capitalisme, qui est, au contraire, un système de responsabilité dans lequel le capital est responsable des profits et pertes. C’est en réalité à ce système de responsabilité qu’il faut revenir, comme l’a souligné l’économiste Pascal Salin dans son dernier ouvrage*. Dans le cadre actuel profondément interventionniste et paternaliste, toutes les réglementations du monde pourront être contournées par les banquiers déresponsabilisés. Aucune ne permettra une véritable régulation efficace. Parce que dans un système décentralisé, la seule régulation efficace, c’est celle de la responsabilité. Elle est la boussole du système, celle qui fonde la discipline de marché.

Mais les banquiers, en enfants gâtés, préfèrent le mol oreiller de l’assistanat. Ils ne veulent pas de la discipline du marché. Les hommes politiques non plus.

Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org.

* Revenir au capitalisme pour éviter les crises, Odile Jacob, 2010.


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