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Enseignants, gnan, gnan ?

Publié le 12 mars 2010 par Variae

Avec l’importance médiatique des élections régionales, et le peu de considération des grands médias pour les mouvements sociaux, la grève nationale des enseignants du collège et du lycée de ce jour risque de passer inaperçue. D’être reléguée au rang de bruit de fond désagréable et lancinant. Les profs en grève, une fois de plus ! Ces fonctionnaires, toujours à se plaindre … Bon nombre de Français, sans doute, prêteront une oreille distraite à la rapide évocation du mouvement de « grogne » (comme on dit sur TF1) au JT de 20H00, et passeront à autre chose. Sans réaliser qu’ils assistent sans s’en rendre compte à une entreprise de destruction méthodique de l’école de la République.

Enseignants, gnan, gnan ?

La droite a toujours eu une relation problématique avec l’école publique à la française, qui par ses principes mêmes (enseignants fonctionnaires, égalité de statut entre les établissements, logique coopérative …) est un démenti vivant au dogme libéral. Même quand les ministres de l’Education d’obédience RPR ou UMP prennent garde à tenir leur langue, il suffit d’écouter les prises de position de parlementaires, d’élus ou d’associations de droite, pour entendre le même refrain, encore et encore. Il faut plus de concurrence ! Plus de liberté de choix entre établissements ! Des professeurs payés au mérite ! Un financement public renforcé pour le privé ! Dézonage total de la carte scolaire ! Etc.  Les propos plus lénifiants tenus au plus haut niveau de l’Etat pour calmer les grèves d’enseignants, ou les doutes des Français qui n’ont pas fait une croix définitive sur une institution républicaine vieille de plus d’un siècle, doivent systématiquement être compris à l’aune de ce cadre de fond, sans aucune naïveté. La droite a un but obsessionnel : casser l’école publique telle que nous la connaissons. Et discrètement si possible.

Comment parvenir à cela, à décrédibiliser, plus largement, l’action publique, dans des sociétés où l’Etat-providence reste une valeur globalement positive, et où la majorité de la population n’adhère pas au culte de la privatisation à tout prix ? La méthode a toujours été la même : (1) Réduire les effectifs et les moyens du service public attaqué (2) Laisser monter et s’accumuler les dysfonctionnements, en faisant relayer par les élus de son camp, ou associations et collectifs proches le mécontentement (réel) des « usagers » et la dénonciation de ces problèmes (3) Constater officiellement et bruyamment les déficiences « structurelles » du service public en question, et lancer – au choix – un grand débat national sur la question, un séminaire ministériel, des Etats Généraux, un projet de réforme et de « modernisation », etc. Quelle que soit la dénomination exacte, l’objectif est simple : imposer dans l’opinion l’idée que les dysfonctionnements constatés proviennent non pas d’un manque de moyens et de l’asphyxie qui a été artificiellement construite en amont, mais de la motivation insuffisante des enseignants, des méthodes de travail inadaptées, de la discipline insuffisante … (4) Accoucher, au bout du compte, de propositions de réformes allant dans le sens de la dénaturation du système (privatisation, mise en concurrence, et tutti quanti).

Les déclarations ministérielles des derniers jours sont particulièrement emblématiques de cette vieille méthode usée jusqu’à la corde, mais étonnamment toujours aussi efficace. Luc Chatel a voulu introduire deux problèmes dans le débat public, l’absentéisme des enseignants, la sécurité à l’école. L’un et l’autre se fondent sur une vraie demande des Français, et, pour le deuxième cas, sur des incidents récents fortement médiatisés et instrumentalisés par la droite. Mais l’un et l’autre, surtout, consistent en une façon particulièrement orientée de parler de situations réelles, pour mieux en manipuler la perception. Le manque de « sécurité » n’est pas une menace abstraite qui viendrait d’on ne sait où (la vidéosurveillance insuffisante, la mauvaise intégration des sauvageons, le manque de discipline à l’école …), et devrait être élucidée par des « colloques scientifiques » (qui ont déjà eu lieu, la science n’attendant pas Luc Chatel) ; elle est le produit direct, de l’avis de tous les acteurs de l’éducation, de la fonte des effectifs de surveillants. L’absentéisme quant à lui n’est pas la preuve de l’indignité morale, ou de la paresse congénitale, des enseignants ; il est une des conséquences de la politique ubuesque du « non remplacement d’un fonctionnaire partant en retraite sur deux », qui met les effectifs éducatifs en tension permanente.

Tout citoyen réfléchissant calmement à ces questions pourrait déconstruire le discours dominant servi par l’UMP, ses ministres et ses officines. Mais l’intoxication est permanente et pernicieuse ; tout est fait pour instruire un procès uniquement à charge du « mammouth », sans s’interroger sur les responsabilités réelles des uns et des autres. Procès d’autant plus efficace qu’il est relayé, intentionnellement ou non, par d’autres acteurs moins « marqués ». Le magazine Côtémômes (publication a priori inoffensive distribuée gratuitement dans les magasins de jouets) s’était ainsi fendu il y a quelques mois d’un éditorial intitulé « Enseignants, gnan, gnan », où l’on dézinguait du prof à tout va. Personnellement, je vois tous les matins, en prenant le métro, l’affiche publicitaire qui illustre ce billet, et qui dissocie implicitement école (publique) et plaisir d’apprendre – pour faire la promotion d’un organisme privé de cours particuliers, défiscalisés donc financés au bout du compte par chaque contribuable … Que dire, enfin, d’articles parus dans la presse supposée de référence, mais qui reprennent sans contextualisation ni mise en perspective la communication ministérielle, comme ce récent papier du Monde sobrement (!) intitulé Luc Chatel s’attaque (sic) au non-remplacement des enseignants ?

Des problèmes scolaires autres que matériels et d’effectifs, il y en a. Il y aurait de belles réflexions à mener, en concertation avec tous les acteurs, sur la pédagogie, l’évolution de l’enseignement à l’ère d’Internet, le contenu des savoirs transmis. Mais cela ne pourra se faire tant que l’on subira un gouvernement imposant une grille de lecture idéologique et partisane sur la question scolaire. Pensez-y un instant, la prochaine fois que vous verrez une manifestation d’enseignants à la télévision …

Romain Pigenel


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