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Salle 5 - vitrine 2 : fragment peint (e 13101)

Publié le 16 mars 2010 par Rl1948

     Impatiemment, peut-être, vous l'attendiez, l'espériez, le guettiez, le trouviez long à venir ...
     Aujourd'hui, il est me semble-t-il temps d'envisager de répondre partiellement à votre attente : après trois interventions préalables qui m'ont permis, le 23 février dernier, d'évoquer la personnalité ainsi que le parcours professionnel de Frédéric Cailliaud ; le 2 mars, de retracer l'origine de la présence dans cette salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre d'une superbe peinture pariétale ; et, mardi dernier, d'avoir quelque peu tenté d'instruire le "procès", toujours d'actualité, du pillage des anciennes civilisations au profit de grandes institutions muséales à travers le monde, voire de
richissimes collectionneurs, le voici enfin, toujours bien en évidence sur la paroi du fond de la vitrine 2 devant laquelle nous devisons vous et moi, amis lecteurs, depuis quelques semaines.
Salle 5 - Vitrine 2


     C
onstituant originellement le centre d'une scène de chasse et de pêche dans les marais nilotiques, ce fragment de peinture sur limon stuqué, d'une longueur de 74, 5 cm pour 43 cm de haut, fut détaché, souvenez-vous, en 1822, sinon personnellement, à tout le moins par quelqu'un exécutant l'ordre de Frédéric Cailliaud, de  la partie inférieure du mur du fond de la chapelle funéraire de l'hypogée situé à Dra Abou el-Naga, au nord-est de la nécropole thébaine, d'un certain Néferhotep, "Directeur du Grenier" sous les règnes de Thoutmosis III et de son fils Amenhotep II. Tombe qui, je le souligne derechef, a malheureusement aujourd'hui totalement disparu sous les sables dans la mesure où, à l'époque, pas une seule indication n'avait été notée quant à sa situation géographique précise.

E 13 101
    Et notre fourré aux ombelles vertes dessinées en éventail, magnifiquement mises en évidence grâce au fond pâle sur lequel elles se détachent, alternant celles qui sont en bouton avec celles qui s'ouvrent en corolles et celles, dans la partie supérieure, tellement épanouies que leurs extrémités semblent se toucher en une sorte de demi-cercle continu, en fit partie, pour notre actuel plus grand bonheur esthétique ... au-delà du geste répréhensible, évidemment
    Il eût été regrettable, vous en conviendrez, que cette scène dans laquelle,  entourés de canards sauvages, hérons, et même une huppe, s'ébattent de frêles papillons ; dans laquelle aussi sans trop se préoccuper de l'environnement piaillant, une oiselle couve paisiblement ses petits à venir ;
Couvee-E-13101.jpg

dans laquelle, enfin, un héron contemple son congénère en train de nourrir sereinement leur progéniture,
Heron-nourricier-E-13101.jpg
que cette scène, donc, disparût à jamais enfouie sous les sables avec toutes les autres qui devaient vraisemblablement constituer la richesse de la "maison d'éternité" de ce haut-fonctionnaire palatial.

     Oserais-je, dans ce cas bien précis, regretter que Frédéric Caillaud n'en détachât point davantage ?
     Non, assurément pas ! Car, en archéologie, tout est toujours possible : ainsi il ne serait nullement impensable que
le tombeau de Neferhotep soit un jour ou l'autre remis au jour ... à l'instar de la tombe que le général Horemheb, non encore pharaonisé, se fit aménager dans le cimetière du Nouvel Empire, à Saqqarah, pillée au XIXème siècle de manière à approvisionner en superbes fragments les musées de Leyde, de Francfort-am-Main, de Bologne, mais aussi le British Museum et le Louvre ; abandonnée ensuite, réensablée, oubliée pour en définitive être "redécouverte" par  une expédition conjointe de l'Egypt Exploration Society (Grande-Bretagne) et du Musée National des Antiquités de Leyde (Pays-Bas), sous la houlette de Geoffrey T. Martin, de l'University College de Londres vers 1975 ;
ou de celle
d'un certain Amenhotep, haut fonctionnaire sous Thoumosis III, dans la nécropole thébaine, à Cheikh Abd el-Gourna, il y a de cela un an maintenant, par  une équipe  du Centre de Recherches archéologiques (CReA) de l'Université libre de Bruxelles (U.L.B.) avec, à sa tête, l'archéologue belge Laurent Bavay : là aussi, le temps avait réensablé le monument mis au jour en 1882 par l'égyptologue suédois Karl Pieh.

     Attendons donc ... Et peut-être que bientôt, notre patience sera enfin récompensée !
     Mais pour l'heure, comme promis, considérons avec admiration le fragment du Louvre pour lequel j
'ai jugé bon, dans un premier temps et avant de vous donner les clés pour une compréhension quelque peu approfondie, de vous proposer la lecture de la description qu'en 1826, dans un élan relativement poétique, fit Cailliaud aux pages 292-3 du troisième tome de son Voyage à Méroé ..., de la paroi qu'il avait reproduite dans ses carnets. Le passage que j'ai délibérément choisi concerne bien évidemment le seul fourré de papyrus que nous avons ici devant nous, retiré du contexte de l'ensemble de la scène de chasse et de pêche sur laquelle je ne manquerai pas de vous entretenir ... dès ce prochain mardi.

     Un petit hypogée dont l'entrée venait d'être découverte, m'offrit divers sujets curieux peints à fresque et d'une belle conservation. J'y remarquai des scènes de chasse, de pêche, de vendange, des groupes de musiciens. J'en dessinai une partie, m'attachant toujours à prendre les sujets complets (voy. vol. II, pl. LXXV, fig. 1). Une grosse touffe de tiges de lotus, d'un dessin très-correct, sort de l'eau : elle est couverte d'oies et d'autres oiseaux aquatiques. Le peintre s'est plu à représenter ces oiseaux, les uns dans le nid et couvant leurs oeufs, d'autres donnant la becquée à leurs petits déjà éclos : des caméléons et un petit quadrupède s'approchent de ces nids ; mais leurs mères attentives accourent et les écartent à coups de bec. Au-dessus voltigent des papillons
(...)
      Permettez-moi, amis lecteurs, - et pour d'emblée apporter un très léger correctif qui, certes, ne grève en rien les propos de Frédéric Cailliaud -, de simplement préciser qu'il ne s'agit nullement ici de lotus, mais d'un bosquet de papyrus ; et que caméléons et quadrupède auxquels il fait allusion sont en réalité, d'après mes sources, respectivement, des ichneumons et une genette que, par parenthèses, la décoration de l'époque représente quasiment toujours associés dans semblable environnement palustre.
     Les zones marécageuses, vous vous en doutez, même si, suite à l'industrialisation du pays, elles ont  de nos jours complètement disparu, constituaient à l'Antiquité un riche biotope présent non seulement de chaque côté du Nil, mais surtout dans la région du lac Fayoum, en Moyenne-Egypte, à l'ouest du fleuve et davantage encore dans le Delta, au nord du pays.
     Mais que représentaient-elles exactement aux yeux des Egyptiens ? Et, surtout, pour quelles raisons les inclure avec autant de récurrences dans la décoration des tombeaux dès l'aube de la civilisation pharaonique et jusqu'à ce véritable acmé de l'esthétisme atteint au Nouvel Empire, et plus particulièrement encore, je l'ai si souvent souligné, à l'époque du troisième souverain Amenhotep, dans tant de sublimes hypogées comme ceux de Nakht (TT 52), de Menna (TT 69), de Rekhmirê (TT 100), de Nebamon (TT ?), d'Ouserhat (TT 56) ... et d'autres et d'autres qu'il serait fastidieux d'énumérer ?
     C'est à cette importante question qui, inévitablement, nous conduira  droit à envisager les symboles mythologico-religieux que véhiculent ces représentations que je tenterai de répondre, mardi prochain, amis lecteurs, si d'aventure vous conservez le désir de me suivre dans l'humidité moite des fourrés de papyrus nilotiques.
     Chaussez vos bottes ... 
 

(Keimer : 1940, 49-50 ; Germond : 2001, 98-100 ; Ziegler : 1982, 352)

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