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Max | Je ne peux plus lire

Publié le 17 mars 2010 par Aragon

photo88.JPGMardi 16 mars 2010. Un petit coup de pédales et je suis revenu au "cabanon". Le vélo est bien la machine la plus proche de l'homme. Indispensable depuis cent cinquante ans. Elle ne demande rien ou si peu. Un peu d'air dans ses pneus, un peu de vigueur dans les mollets. Cinq kilomètres et deux côtes plus loin, je suis assis dans mon fauteuil en plastique devant "mon ermitage". Le ciel est merveilleusement bleu et ensoleillé.

Air vif cependant, avec accalmies. Quand le vent se tait, l'air est délicieusement bon et chaud. La chaleur s'insinue dans mon cou, sur mon visage, parcourt mes doigts qui s'activent à écrire ces mots. Bon d'écrire au soleil. Les Pyrénées s'emmêlent les pinceaux dans des nuages inconstants, on voit des bouts de pics épars, pas d'autres, camouflés. La campagne est belle. Les fleurs du printemps qui sera là dans quelques jours poussent partout. Talus et champs sont inondés de couleurs. Quatre seulement en vérité : Le jaune du pissenlit, le mauve de la violette, le blanc de la pâquerette et le vert pâle (émeraude ?) de la primevère. Elles diraient presque à mes baskets "Ôtez-vous de là que l'on puisse pousser..."Une fois et encore, délicieuse solitude.

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J'ai emmené dans mon sac à dos le livre de Philippe Djian "Sotos". Je ne peux pas lire, je ne veux plus lire, j'ai l'impression que le livre s'enfuit de moi. C'est de la facilité de ne plus lire ? Je ne crois pas. De la paresse ? Je ne crois pas non plus. Mon regard seul est disponible. Mon regard sur la nature, pas sur la page écrite d'un livre. Il a déjà été écrit cent mille fois que la nature est un livre ouvert. C'est vrai. Tout est à lire dans ce livre miraculeux qui se renouvelle sans cesser au rythme des saisons.

Les mille et mille livres de ma bibliothèque comme je voudrais qu'ils s'enfuient vers des cieux bien meilleurs, bien plus cléments pour eux que le ciel de mes yeux qui ne les reconnaît plus. Il va me falloir dire aux amis du groupe de lecture que je ne peux plus participer avec eux à ce qu'il me semble être à présent et très clairement un cérémonial funèbre.

Je ne renie pas mon "passé" de lecteur et d'amoureux du livre, non, je suis entré simplement dans une maison nouvelle qu'il me reste à habiter, à meubler de mes silences, de mes non-désirs. Une maison sans murs ni toit. Bien curieuse maison définie, limitée, par mon seul espace. Personnel. Mon espace de liberté. Dans cette maison tout est fenêtre ouverte. Maison du grand courant d'air. Le livre s'enfuyait de moi, ça couvait déjà depuis quelque temps. J'étais devenu incapable de fixer mon regard, mon attention, sur une suite quantifiée de lignes. Je ne savais plus que grappiller de ci de là. Une phrase trouvait son écho en moi, quelques pages plus loin, une autre. La poésie par contre trouve toujours tout mon souffle. Le vers m'émeut de plus en plus alors que je goûte la fadeur de la prose. Ou alors il faut que tout soit lumineux, vivant, bougeant, pour que je puisse aller au bout "d'une prose". C'est comme ça !

Je présenterais ma démission demain puisque c'est demain que nous nous retrouverons pour le commentaire de "Sotos". Que les amis et Djian me pardonnent. Rien n'est pointé contre eux, contre lui, aucune flèche, aucun jugement. Je ne peux plus lire c'est tout.

Écrire et voir me font vivre. Je dois donc écrire et voir. Les mots que j'écris ne sont destinés à personne, je ne veux pas infliger à quelqu'un ce qui m'échappe. Les choses que je vois ne sont destinées qu'à moi. Comment pourrait-il en être autrement ? Écrire et voir se sont enfin rejoints en moi. Lire n'a désormais plus aucune importance. Ces trois chevreuils aperçus hier au cours d'une randonnée en vélo du côté de Labatut, ce petit oiseau au plus haut de l'eucalyptus qui est en face de moi, ce vol de grues entendu l'instant d'avant, invisible dans un ciel pourtant nu, tout, tout cela est leçon, tout cela est école de vie véritable, unique, sans traces, ni ratures.

Lire c'est laisser l'empreinte de ses doigts, de son coeur, sur une page écrite. Je ne veux plus, je ne peux plus procéder ainsi. L'émerveillement me saisit dans le rien, dans le sans-trace, dans l'écriture de mots que je ne savais pas l'instant d'avant. Toucher le merveilleux de la plume et du regard. Le livre ne compte pas, seule, son écriture est indispensable.


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