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Quel avenir pour les voies de dégagement du Grand Nouméa ?

Publié le 20 mars 2010 par Servefa

« (La) hantise de la congestion nous conduit à construire le futur avec nos peurs ». Marc Wiel

Le Schéma de Cohérence du Grand Nouméa a récemment souligné la nécessité de maitriser l’urbanisation de l’agglomération nouméenne en luttant contre l’étalement urbain et en accentuant le renouvellement urbain par construction de la ville sur elle-même. Ces deux objectifs impliquent d'interroger les voies rapides actuelles au regard de trois axes essentiels:

  • la sécurité des biens et des personnes ;
  • la performance d’un système de déplacement ;
  • le développement de la ville sur elle-même et la maîtrise de l’étalement urbain.

Cette réflexion conduit à des modifications profondes dans la gestion des principales infrastructures de mobilité, et en particulier dans la gestion des voies à fortes capacités de transport d’usager, et surtout à envisager la transformation de ces dernières dans des configurations plus urbaines et multimodales. Ces changements ne manqueront pas de troubler une opinion publique qui vit au rythme du culte de l'automobile. Il conviendra dès lors, dans une démarche ouverte de concertation, et non technocratique, de l'amener à réfléchir sur les limites de la ville automobile et lui suggérer les avantages d'une ville qui saurait s'affranchir de sa dépendance à la voiture. Le présent article porte les germes de cette ambition (tout comme l'ensemble de ce blog, je crois), appliquée au cas très précis, mais ô combien symptomatique, des voies rapides urbaines. Il se conclut ainsi par l'invitation à ne plus construire d'échangeur sur la VE1, comme s'apprête pourtant à le faire l'autorité publique qui en a la charge.

Pourquoi transformer les voies express en "boulevards urbains" ?

* Assurer la sécurité routière, des biens et des personnes

 L’objectif des déplacements rapides qui a œuvré à la création des voies express mérite d’être réexaminé à la lumière de ses conséquences sur la sécurité des biens et des personnes. En effet, la spécialisation des voies urbaines à des fins purement circulatoires favorise la vitesse et l’insécurité, comme en témoigne les nombreux accidents dont sont victimes les usagers sur les voies express (cf. encadré n°0). Surtout les nombreuses victimes piétonnes de ces dernières années constituent une préoccupation majeure renforcée par la présence d’habitat spontané le long de la voie express. La présence de ces habitats ne découlant pas seulement d’un déficit en logement mais revêtant une dimension culturelle forte dans un pays profondément multi-éthnique, il apparaît pour le moins ambitieux d’envisager leurs déplacements prochainement. Pourtant la problématique des traversées piétonnes sur la voie express perdure, avec par exemple des traversées d’enfants tout à fait inquiétantes, et ne saurait être résolue par la mise en œuvre combinée de passerelles piétonnes et de clôtures qui s’avère inefficace et dangereuse, comme le rappelle l’existence de la passerelle dite « de la dernière chance ».

Enfin, la mise en œuvre d’équipements de sécurité et leur entretien ne sont pas exempts de nombreux travaux entrainant des coûts conséquents pour la collectivité.

La transformation des voies express en « boulevard urbain » participerait ainsi à la réduction des vitesses et à l’augmentation de la prudence de l’attention par la perception de nombreux intervenants dans un champ de vision rapproché.

 * Augmenter la capacité globale des voies

La transformation de la voie express participerait par ailleurs à augmenter la capacité globale du réseau viaire par la mise en place d’un maillage de voies qui rendent accessibles les éléments structurants d’une ville (cf. encadré n°1).

Une telle configuration offre au réseau une meilleure résilience aux perturbations des flux et encourage l’utilisation des emprises viaires par tous les modes, en réduisant les distances à parcourir par les modes actifs et autorisant le partage des emprises par tous les modes. Cela contribue à augmenter la capacité de l’emprise viaire en nombre de déplacements d’usager (cf. encadré n°2).

 Par ailleurs, la réduction des vitesses sur les voies express, et la mise en place de carrefours à feux, n’entraveraient pas la capacité routière de ces voies. En effet, la capacité maximale d’une voie se mesure généralement aux alentours de 40 km/h alors qu’aujourd’hui l’infrastructure des voies express fonctionne soit à environ 20 km/h en heure de pointe du matin, soit à peu près à 65 km/h hors heure de pointe. Dans le premier cas, en heure de pointe, nous voyons bien que la capacité de la voie n’est pas optimale et que les flux de cet axe gagneraient à être rationalisés par l’entremise de carrefours à feux et le procédé d’onde verte. Dans le second cas, hors heure de pointe, le différentiel de temps, en comparaison d’une onde verte à 40 km/h, entre le carrefour Berthelot et le péage, serait de l’ordre de 5 minutes. Un tel écart de temps ne saurait se justifier économiquement, surtout au regard du coût de l’insécurité engendrée par la vitesse de parcours des véhicules.

La transformation des voies express en boulevard urbain engendrerait donc un gain global de capacité dans une optique de mobilité globale dans l’agglomération. Un profil en travers permettant la cohabitation des modes actifs, des transports collectifs, et des voitures peut donc être envisagé sur l’emprise des voies express (cf. figure n°1).

* Exploiter des opportunités foncières et lutter contre l’étalement urbain

La transformation de la voie express en milieu urbain permettrait l’exploitation de nombreux délaissés de voirie et le réaménagement des squats par leur insertion dans le tissu urbain de l’agglomération. La figure n°2, ci-dessous, représente les délaissés de voiries exploitables pour le développement économique de l’important corridor de transit représenté par les voies express (environ 19 ha). Par ailleurs, la requalification des échangeurs actuels, grands consommateurs d’espace, en carrefour plan offrirait plus de 27 hectares valorisables en plus et participerait à la transformation des voies express en boulevard urbain. Les opportunités commerciales ne manqueraient pas autour de l’axe le plus achalandé de Nouvelle-Calédonie et avec un prix de 2 millions de FCFP/a l’opération pourrait représenter un revenu de 9 milliards de francs CFP. La vente foncière de ces délaissés pourrait ainsi non seulement participer au financement de la transformation de la voirie mais aussi constituer une source de revenu non négligeable pour le financement d’un système de transport collectif performant.

Cette requalification des voies rapides urbaines permettrait un traitement urbain original pour une véritable identité architecturale de la ville. Pour cela, il conviendra d’être attentif et de ne pas sombrer dans le travers des entrées de villes métropolitaines.

Une telle stratégie de développement participerait enfin à la construction de la ville sur elle-même et par conséquent à la limitation de l’étalement urbain, notamment par un réaménagement densifié des zones de squat qui représentent plus 45 hectares. Elle participerait à la promotion des mobilités de proximité pour les habitants et travailleurs des quartiers périphériques à la voie express et s’inscrirait dans le désenclavement des quartiers défavorisés de Rivière Salée et de Montravel. De plus, elle ajouterait au développement économique de la ville centre et limiterait la création de complexes commerciaux périurbains. La multimodalité offerte par le boulevard pourrait finalement permettre au centre-ville d’améliorer son statut d’espace de loisir et de lieu touristique par l’amélioration de ses aménités positives avec la libération des infrastructures routières pour développer de véritables promenades, terrasses, etc.

Une proposition pour l'avenir: ne plus construire d'échangeur de type autoroutier sur la voie express

Afin de ne pas compromettre le futur, il convient de s’abstenir aujourd’hui de construire des échangeurs de type autoroutier sur les voies express (j’entends par type autoroutier aussi bien les échangeurs dits « d’autoroutes de liaison » que ceux des voies rapides urbaines). Il conviendrait en effet de privilégier dès aujourd’hui l’étude de solutions planes à la construction d’échangeurs qui s’avèreront gênant dans les décennies à venir car contraire aux principaux objectifs du Schéma de Cohérence de l'Agglomération. Ainsi, l’amélioration du carrefour de l’Etrier, annoncé comme un (très coûteux, au moins 900 millions de FCFP) échangeur , devrait être conçu en carrefour plan afin de préparer la transformation future d’ensemble des voies express.

Le secteur de l’Etrier constitue par ailleurs un lieu privilégié pour aborder la réhabilitation de l’infrastructure rapide : les surfaces aménageables sont généreuses et les quartiers de Rivière Salée et de Ducos en plus de leur complémentarité économique constituent des zones d’achalandage peuplées. La promotion de toutes les mobilités entre ces quartiers, en plus de la possibilité de participer à l’insertion du squat de Caillou Bleu dans le paysage urbain, constituent aussi des opportunités importantes pour le développement d’un corridor commercial entre le carrefour de l’Etrier et l’échangeur de Rivière Salée. Enfin, ce corridor constitue le secteur le plus aisé à aménager le long de la voie express car il ne nécessite aucune démolition et ne concerne que peu de terrains squattés.

Bien-sûr, l'aménagement d'un carrefour plan à cet endroit nécessite la transformation en amont et en aval de la voie express, afin de préparer sécuritairement les conducteurs à entrer dans un environnement urbain. Car l'enjeu est bien là: faire de Nouméa une ville à caractère urbain.

François SERVE


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