Magazine Handicap

L'abus de vitesse tue!

Publié le 03 mai 2007 par Philippe Barraqué

Violence routière, le grand scandale français. Les mesures gouvernementales ont fait baisser au fil des années le nombre des victimes sur les routes, mais combien de vies emportées, sacrifiées sur l’autel de la sacro-sainte automobile. S’est-on véritablement attaqué à ce mal français – un de plus – qui consiste à critiquer systématiquement toutes les mesures de sécurité routière tout en criant sa haine quand un proche se fait faucher par un surexcité du volant ? Mais également, s’est-on penché sur l’impact des publicités pour ces rutilants carrosses qui flattent la croupe machiste de quelques uns ? Curieusement, on a prévu des messages de prévention pour qui mange trop sucré et grignote entre les repas, mais pas pour ces pubs qui flattent l’ego et les instincts meurtriers. Comme sur les paquets nicotineux, un slogan s’impose : L'abus de vitesse tue!

Elles en jettent ces pubs en noir et blanc, déclinant dans les moindres chromes la super BM féline et de race pure, qui file à deux cents à l’heure sur un lacet montagneux. Et que dire de ce petit prétentieux aux dents longues, puant l’Hugo Boss et la gourmette en or, délaissant femme(s) et enfants pour courir vers sa promise : une créature métallisée, botoxée au cuir pleine peau, génétiquement customisée.

Mais voilà, il y a un mais. Parfois. Un virage mal négocié. Une grande virée entre copains sans capitaine de soirée. On commence par fumer de l’herbe puis on la bouffe dans le fossé. On est parfois de la race des tricheurs : on s’achète un permis mais pas la civilité qui va avec, le souci de la vie de l’autre. Ca existe l’autre ? – Non, c’est de la chair à tuning pour petits branleurs à thunes. Mais un jour : voix atone. Le voilà notre grand frère, sous sa couverture de survie, des tuyaux jusqu’à lui cacher le ciel, le beat du monitoring comme mégabasse. Plus de mégabaise, de frime pour la galerie, d’échappée dans les couloirs de bus, de bras d’honneur devant chaque radar annoncé par son bavard de GPS : Gaffe à la Police de Sarko ! Il est là notre ami, en piteux état à Garches - service des grands accidentés de la route - incapable de bouger, réduit à la portion congrue, revenu à la case départ : on le lave, on le change, on l’aide à manger. Y’a pas de GPS qui le guide dans les allées de l’hôpital, rien qu’une grande solitude.

Et puis j’oubliais, il y a tous ceux qui n’ont rien demandé, qui roulaient peinard et qui se retrouvent malgré eux dans les mêmes chambres que ces grands frères : grands corps malades qui, dans les couloirs du service, ont le regard fuyant, absent. Certains sourient. D’autres en veulent à la terre entière. Faute de baston, c’est la défonce du distributeur de Coca, les joints dans les sous-sols de l’hôpital, dès qu’on a retrouvé un semblant d’autonomie. Rééducation. Réadaptation. Réapprendre. On est rutilant dans son fauteuil électrique, maniant le joystick comme jadis sa Playstation. Va falloir vous reconstruire, mes enfants. Leurs nanas sont là, silencieuses et indulgentes. C’est plus dans les cordes de l’instinct maternel d’accompagner le handicap de son compagnon que le contraire. Y’a pas beaucoup de mecs au chevet des nanas déglinguées de la route. Une chose est sûre, le réapprentissage de la vie est long. Chaque respiration, chaque pas est fait avec la conscience profonde d’être accroché à un fil ténu, fragile, si fragile.

Philippe Barraqué/Cesarina Moresi - Blog Handi t'es pas cap

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