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Toi, Moi...et le fauteuil

Publié le 03 mai 2007 par Philippe Barraqué

Il y a Toi; c'est bien normal, tu es dans le fauteuil. Il y a Moi, ta moitié, qui le pousse. Et puis il y a le fauteuil roulant : il est important, presque humain, contrariant comme tous les "presque" humains, mais respectable, car il nous donne à Toi, à Moi, une autonomie pour la vie quotidienne.

Quand je pousse le fauteuil, je suis handicapé, ou tout du moins je ressens sur moi des regards qui ne sont plus codifiés comme ceux que je croise dans ma vie ordinaire de valide. Je suis celui qui pousse un fauteuil roulant. On m'examine, on me scrute, des regards se détournent, d'autres regardent à la dérobée. J'entends de subliminales questions qui passent dans le cortex des passants : "c'est son frère, tu crois? Son ami, son mari, sa tierce personne? Tierce. Tiens encore le nombre trois : Toi, Moi... et le fauteuil.

Toi dans le fauteuil, on se dit que tu as l'habitude, qu'on se fait à tout. Mais non, tu t'es adaptée, c'est tout. Bien obligé. Pas le choix. Ton handicap - pardon ta déficience physique - tu ne la brandis pas comme une bannière, comme une raison d'exister. Non, tu existes malgré ce fauteuil, en dehors de ce fauteuil. D'ailleurs quand tu rêves, tu marches, tu glisses au-dessus des champs de blé moutonnant, tu cours, tu folâtres, tu n'as plus de fauteuil. Tu ouvres l'oeil. Il est là qui t'attend.

Est-ce que le handicap a été une chance pour toi? - Tu ne le penses pas. La voix du bon sens dit toujours qu'il vaut mieux être comme tout le monde, vivre dans un milieu aisé, avoir une bonne santé, etc. Mais c'est comme ça, tu es dans un fauteuil et tu as ton compagnon qui le pousse.

Pour plus d'autonomie, d'indépendance, tu circules aussi en fauteuil électrique. J'essaye de te suivre, mais comme chacun sait, un handi en fauteuil électrique trace, slalome, écrase les pieds d'une vieille dame, d'une femme en robe à fleurs de la Sécu, d'une jeune ingénue qui proclame la bouche en coeur : "parce que je le vaux bien!"

Et puis, il y a le fauteuil. C'est un personnage à part. Il me salit les mains, les pantalons, quand je le remonte dans le coffre de la voiture. Il a ses crises existentielles. Il crève du pneu gauche quand Ségolène fait une bourde, ça arrive assez souvent. Il bute dans les ornières, tente un renversement en montant un trottoir mal abaissé de Bondy. Il écrase une canette jetée négligemment par une graine de barbare discriminée.

Qui m'a dit récemment que c'était monstrueux de mettre sur un même plan Toi, Moi... et lui? Mais ne savez-vous pas que les objets ont une âme? Si, il me l'a dit ce fauteuil. Il nous remercie pour les bons soins qu'on lui donne, pour les cailloux chers à Cabrel sur lesquels il crapahute élégamment. Mais, mon cher fauteuil, tu me fatigues parfois quand je monte pour la énième fois un seuil de magasin mal abaissé, quand je contourne la énième voiture garée sur le trottoir, quand je dois me faufiler entre les tables d'un restaurant en dérangeant quelques vautrés attablés, quand je dois parlementer avec la sécurité d'un cinéma, d'une salle de spectacle pour qu'on daigne nous laisser entrer. Délit de sale fauteuil, ça vaut bien un délit de sale gueule à l'entrée d'une boîte de nuit. Les videurs ne nous refusent pas parce qu'on va foutre le boxon à l'intérieur. Non, ils nous refusent parce qu'un fauteuil doit porter une cravate, que c'est un club privé et qu'on a qu'à s'arranger pour être comme tout le monde. Ici n'entrent pas les fauteuils, ni les manchots qui ont une taille de nain de jardin. HALDE* là! Ici commence la discrimination, ici finit la fabuleuse odyssée de Toi, Moi... et ce fauteuil par qui le scandale arrive.

* Halde - Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité - Tel. 08.1000.5000

2007 - Philippe Barraqué - Tous droits réservés -


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