Magazine Journal intime

Gonzo Sentiments

Par Markhy

On marche main dans la main, je fais des vannes, elle rigole. La journée normale, cool, comme on en rêve quand on a douze ans et qu’on veut se faire aimer en jetant des cailloux sur les meufs qui jouent tranquilles. Il y a des gamins qui courent, qui se prennent en photos, des vieux qui s’embrassent, des mains au cul, un mec qui fait du cerf volant, même Spike Jonze a envie de nous filmer. La musique c’est PWSteal.Ldpinch.D, le packshot à la fin pour une marque de cosmétique bisexuelle. Le soleil commence à me chauffer bien. J’ai la tête libre, on a bu un rosé dégueulasse comme les couples mi pauvres qui veulent se donner un genre adulte. On se chamaille, des vannes sur le physique parce qu’on est putain de beau dans ces moments là, et on sait que ça ne touchera pas l’autre. On est prêt à aller voir de l’art contemporain gratos, tant qu’on a moins de 25 ans. Et j’ai une putain de phrase qui monte dans la tête.

Je me frotte l’œil gauche. C’est toujours la lentille de l’œil gauche qui merde. J’ai une putain de phrase dans la tête. Bien placée, je ne veux pas la perdre. Je fais semblant de faire la gueule, il ne faut pas qu’elle me parle, je veux garder la pensée vive, remodeler la phrase qu’elle soit encore mieux, plus incisive. Ça va faire marrer tout le monde. 200-300 hits, je vois déjà ma mère m’en parler. « Oh Marc vraiment hein cette phrase hein ». J’ai une putain de phrase dans la tête et rien pour la noter, alors je continue de faire la gueule, je me frotte l’œil avec insistance pour détourner le sujet. « Putain mon œil ça saoule ». Et je vais pouvoir garder ma phrase près de moi, la ressortir quand j’aurais un bic, un coin de table. J’ai envie de sortir l’iPhone mais elle va croire que je vais checker twitter et ça va partir en vrille. « Tu check twitter alors qu’on se balade » et machin. Donc je fais la gueule, en souriant un peu quand même, une réponse idéale le sourire. Ça permet de la voir parler sans trop l’écouter, ça conclue des phrases que l’on n’a pas besoin d’échanger. Rallonger la discussion de quelques minutes, le temps de trouver une solution. Ça dure pas. Direct, elle capte qu’il se passe un truc, je suis trop mauvais acteur.

Alors ça y est c’est parti les questions, je fais l’évasif, mais c’est pire, elle s’énerve direct et j’essaye de garder ma phrase. Mais v’là faut que je trouve aussi une réponse pour qu’elle arrête d’insister. C’est un putain de bordel dans ma tête. Je dois tout ranger : Alors je place ma putain de phrase en périphérie, dans le cerveau un peu plus lointain. Je l’appelle le cerveau Reverb, parce qu’il fait résonner les trucs bien lourds que je vais ressortir pour faire du hit. J’ai le cerveau qui pense comme Ableton Live, c’est pour ça que je ne suis pas aller en Terminale S. Je gagne encore un peu de temps. On est bientôt arrivé et elle va forcément avoir envie de pisser. C’est toujours comme ça, dés qu’on arrive dans un lieu, elle a envie de pisser, elle connait toutes les chiottes de tous les lieux de la planète où on est allé à deux. Et c’est généralement dans ces moments que je couche la phrase sur un support quelconque. Forcément, je sais pas ranger le bordel de ma tête, je lui dis le truc le plus ignoble possible, le truc que j’ai le moins réfléchi mais qui paraissait cool à balancer dans une comédie romantique un peu vaseuse, pour faire durer le film plus d’une demi heure. La saloperie est partie d’un coup : J’aurais pu l’insulter de grosse pute et la foutre à quatre patte pour qu’elle me suce la bite devant ces gens, je m’en serais mieux sorti. Donc là, elle part en couille sévère et impossible de tempérer, de me tempérer, je fais « c’est bon, c’est bon ». En serrant les dents. « Et toi alors ? » je balance. J’enlève la reverb de ma putain phrase, je sentais que j’allais la perdre, elle revient tranquillement et je souris nerveusement parce qu’elle est bonne la phrase. Elle est toujours bonne c’te putain de phrase. Et aussi parce que je viens d’entendre un truc trop con qu’elle vient de dire pour me provoquer. « T’es séééérieeeeuuuse? » je fais avec mon accent chelou, faux mecs du quartier. « Et putain tu souris? Toi ça te fait marrer ? » elle fait. Je lâche un soupir, on est dans une rue que je ne connais pas. On s’est paumé.

Bon, fallait peut-être tourner la rue d’avant… Je sais plus. Qu’est ce qu’on fout, merde. On continue de marcher, comme ça, des pas rythmés, l’un essaye de passer devant l’autre. Toujours. Elle n’a pas encore capté qu’on était complétement perdu, elle pense que je maitrise le chemin. Elle me double tout en faisant attention à bien me suivre : Elle a un sens de l’orientation bien pourri. Ce paradoxe m’amuse, mais je n’ai pas le temps de l’analyser faut que je garde ma putain de phrase. Elle tente toutes les provocations existantes, je suis un mur froid qui veut garder son truc bien au chaud. Je m’arrête, elle continue d’avancer en ne criant pas trop fort, elle sait être discrète quand on se fout sur la gueule en public. Les pires trucs qu’on s’est balancés, ce n’est pas en criant à l’appart, mais en les soufflant dans la rue. J’ai pas envie de retrouver le chemin. Je fais semblant de regarder à droite à gauche, je sens que c’est foutu pour ma putain de phrase, je sens bien qu’elle veut que je l’oublie. Et ma putain de femme aussi, je la vois partir, en pestant, elle fonce, elle manque de faire tomber un type, qui ne s’énerve pas mais préfère mater son cul. Elle tourne dans une ruelle, un truc avec un nom absurde, et je la perds complétement. J’attends un moment. Je me dis que je ne suis pas du genre le plus grand des sauveurs, mais il y a une chose trop folle que je veux absolument sauvegarder.

Heureusement pour nous, ce n’est pas la littérature.



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