Boire la vie en rosé

Longtemps considéré comme un vin bâtard ou réservé aux soiffards estivaux, le vin rosé, que l’UE voulait réduire à un breuvage manipulé, retrouve une vigueur inespérée dans un univers viticole en berne.
La production augmente partout dans le monde et la consommation suit. Un succès bienvenu pour les vins français leader sur ce créneau : l’hexagone produit 28% des vins rosés, suivi par l’Italie (21%) et l’Espagne (18%) ; à elle seule, l’Europe fournit les trois quarts du rosé produit et vendu dans le monde. Les Echos du 19 mars qui souligne le fait, s’interroge sur cet engouement sans apporter de réponses, sauf en évoquant la qualité des crus, leur goût simple qui flatte le palais des non initiés et avive l'esprit des citadins. Le quotidien économique n’évoque pas la couleur pourtant majeure dans cette tendance de consommation.

Couleur de fille, qui balance entre le mièvre, le fanfrelucheux et le hard, le rose très connoté est devenu une teinte à la mode à l’amorce des années 2000. Au Comité Français de la Couleur, nous avions suivi l’évolution du rose qui était sorti des layettes discriminantes pour se glisser dans le vestiaire masculin entre autres lieux intimes, et pour se faire voir sous différentes tonalités dans une grande variété de produits : hi-fi, électronique, électroménager, alimentaire, packaging... 
Le succès du rose tient à son appel à la gourmandise légère et régressive : dans le cas du vin, il suggère une suavité moins forte en alcool que le vin rouge (ce qui est une vue de l'esprit) et plus nuancé dans son bouquet que le vin blanc.
Dans sa robe de chair, de sensualité, de nudité, le rosé se laisse boire par facilité et pour le seul plaisir de siroter à petite bouche indolente une boisson sans façon, comme pour faire un pied de nez à un monde complexe et parfois si noir.
Le rose est une couleur placebo, voilà pourquoi il plaît tant à notre humanité dépressive.

Photo : Vintages/D.R.