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Scholl, Jaroussky et Bartoli à la conquête des lauriers de César

Publié le 10 février 2010 par Adurand

 

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Ils représentent à eux trois près de 80 % du marché du disque baroque de ces dernières années. Andreas Scholl, Cecilia Bartoli, Philippe Jaroussky. Jamais depuis les Trois ténors on n’avait vu réunis à la scène une telle brochette de stars, et jamais sans doute, la salle Pleyel n’avait vu ses guichets à ce point pris d’assaut pour un spectacle baroque. Spectacle d’un luxe presque insolent, Jules César en Égypte de Haendel avait ce mardi soir un arrière-goût un peu troublant. Certes, le spectacle connaissait des sommets musicaux vertigineux, mais on ne pouvait s’empêcher, devant cet effet d’empilement de noms prestigieux de s’interroger sur la « peopolisation » de l’opéra baroque, et sur le côté un peu mondain de l’enthousiasme délirant d’une foule qu’on n’est pas accoutumé à croiser si nombreuse dans les salles baroques.

Trois stars de cette importance ne pouvaient manquer d’attirer leurs groupies, pressées d’en découdre à l’applaudimètre. Malheur à eux, la durée exceptionnelle du spectacle – plus de 4 heures 30 – contraint la salle Pleyel à demander au public de retenir ses applaudissements pour permettre aux rares spectateurs qu’un taxi n’attend pas à la sortie de regagner leurs pénates en transports en commun. La consigne tiendra une heure.

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Les fans de Cecilia Bartoli sont les premiers à lancer les hostilités : un « brrravissima » lancé par un groupie de la cantatrice à la fin de l’aria « Non disperar » est rapidement étouffé par les « chut » des autres camps. Mais échaudés d’avoir été devancés, ce sont ceux de Philippe Jaroussky qui surenchérissent, en saluant « cara speme, questo core » d’une ovation géante. « On s’en fout des lois » beugle à côté de moi une mamie hystérique, qui semble prête à arracher son soutien-gorge et à le faire tourner en l’air. Dès lors, les hostilités sont lancées, et ni les réticences des quelques banlieusards qui voient leur RER s’échapper, ni l’empressement de William Christie à enchaîner les airs ne pourront plus arrêter le flot d’enthousiasme d’un public ravi. Verdict de l’applaudimètre : Cecilia Bartoli l’emporte d’un cheveu grâce à l’ovation de plusieurs minutes qui salue en bout de course son magnifique « Da tempeste il legno infranto ». Elle saute sur la ligne un Philippe Jaroussky qui tenait pourtant la corde, mais qui ne tient pas la distance à cause d’un rôle, celui de Sesto, moins mis en valeur par Haendel en fin d’œuvre. Quant à Andreas Scholl, favori des bookmakers du fait de son rôle-titre, il termine à une décevante troisième place, soit que son fan-club ait été moins présent, soit qu’une partie ait déserté, emportée par la tornade Jaroussky.

Ironie mise à part, il était difficile en sortant de démêler l’enthousiasme contagieux qui gagnait tout spectateur dans cette ambiance surchauffée et une certaine gêne. Certes, les artistes en

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présence méritent une admiration sans réserve pour ce qu’ils ont apporté, chacun, à la musique baroque et au-delà. Pourtant, il ne suffit pas d’aligner les plus grandes stars, leur succès fût-il fondé, pour produire comme par magie le spectacle idéal – le Real Madrid de Zidane, Beckham et Figo nous l’a appris en son temps. Un opéra est une alchimie qui a plus besoin d’harmonie que de surenchère de talents individuels. Les meilleurs solistes ne font pas toujours les meilleurs interprètes de musique de chambre, et les plus belles voix ne produisent pas forcément les mariages les plus harmonieux.

En l’occurrence, l’un des effets collatéraux du phénomène vocal qu’est Philippe Jaroussky est de faire apparaître le vétéran Andreas Scholl un peu en retrait pour ne pas dire en dedans. Une impression bien injuste quand on connaît le personnage, mais il est indéniable qu’en particulier dans l’aigu, les deux contre-ténors n’ont pas les mêmes facilités. Plus puissant, plus agile, plus haut, celui de Jaroussky donne en comparaison l’impression d’une trop grande retenue dans le chant d’Andreas Scholl. Pourtant, cette retenue n’est que l’habit d’un monde de subtilité, de nuance et de beau chant. La voix est plus rugueuse et moins haut placée, mais elle nous fait voyager dans un monde intermédiaire fait de virilité et de sensibilité, de passion et de guerre. Un portrait tout en couleur et en nuance du César de Haendel.

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A contrario, l’agilité et l’aisance hors du commun d’un Jaroussky manquent parfois de caractère. Pour tout dire, si l’on ne peut que s’incliner devant la performance vocale, on se demande parfois si une femme ne ferait pas aussi bien l’affaire : à trop bien s’affranchir des limites masculines, cette voix androgyne finit par perdre en partie ce qui fait la valeur et la spécificité de cette tessiture étonnante qui est celle du contre-ténor. Pour autant, la confrontation avec la magnifique voix grave de Nathalie Stutzmann offre un contraste saisissant qui sonne extrêmement juste pour rendre la relation mère-fils de Cornelia et Sesto : leur duo « Son nata a lagrimare », sans doute le sommet de l’opéra de Haendel, est un moment de pur étonnement.

Reste la tête d’affiche de la soirée, la dernière diva des temps moderne, l’incandescente Cecilia Bartoli. Me pardonnera-t-on de lui trouver un vibrato un peu trop large pour chanter Haendel ? Mais le rôle de Cléopatre si fort, si démesuré et si changeant, ne peut qu’être habité par le tempérament de feu de cette cantatrice hors du commun. Les minauderies sont parfois agaçantes, mais les contrastes hallucinants qui traversent par exemple son « piangero » à la fin du troisième acte méritent à n’en pas douter l’ovation qu’ils reçoivent.

Parfois un peu pressé – mais peut-être ses musiciens espéraient-ils aussi attraper le RER –, William Christie offre une direction charismatique et un peu sèche du chef-d’œuvre de Haendel, à la tête d’un orchestre élégamment coloré mais pas exempt de tout reproche (quelques fausses notes des cors, quelques crissements du premier violon).

De la subtile intériorisation du César d’Andreas Scholl aux explosions de Cecilia Bartoli, de l’orthodoxie baroque de William Christie à la tentation romantisante de Philippe Jaroussky, la cohérence n’est pas le plus grand point fort de ce spectacle de grande qualité. Mais la version de concert gomme ce défaut pour ne laisser paraître que les grands moments de musique qu’offre ce plateau de rêve. Oui, décidément, ce qu’on retiendra de cette soirée, c’est que servi par ses meilleurs interprètes, Haendel peut transporter les foules.


Jules César en Egypte de Georg Friedrich Haendel à la salle Pleyel les 9, 12 et 14 février 2010.


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