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Fétiche : Paul Newman et la Rolex Daytona

Publié le 22 mars 2010 par Vonsontag

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« Quand la légende est plus belle que la vérité, on imprime la légende », fait dire John Ford au journaliste narrateur de L'Homme qui tua Liberty Valence. Mais quand la vérité est plus belle encore, que fait-on de la légende ? C'est la question que je me pose en écrivant ces lignes consacrées à l'un des emblèmes du chic racing, le chronomètre Rolex Cosmograph Daytona, dit Paul Newman.

Des légendes, il en existe tant concernant cette montre. J'en connais au moins trois.

La première voudrait qu'au début des années soixante dix, Paul Newman, acteur, star, icône stylistique, ait demandé à la firme horlogère suisse de créer à son usage une version spécifique de la Rolex Cosmograph « Daytona ». Rolex conçut donc une montre dont le fond de cadran recevait une décoration contrastée – fond noir et cadrans crème ou fond crème et cadrans noirs – de la Daytona.

Newman, alors jeune propriétaire d'une écurie de course automobile, aurait utilisé cette montre comme cadeau de bienvenue pour ses pilotes et autres sponsors. Une belle histoire qui a pour mérite d'expliquer la supposée rareté d'une montre presque banale par sa technologie : corps acier, remontoir mécanique ainsi que son aura légendaire.

Not a Rolex

La seconde légende unit cinéma et automobile. Paul Newman aurait porté une Rolex Daytona dans le film Winning (1969), avec Robert Wagner et Joanne Woodward (Mme. Newman à la ville), qui avait pour toile de fond la célèbre course d'endurance automobile. Ce film aurait fait la renommée de la montre. On se rappelle que Newman était, depuis la fin des années 60, un roi Midas du style : tout ce qu'il portait, touchait ou appréciait se transformait aussitôt en or. L'histoire, fausse bien sûr, est donc plausible.

Quant à la troisième, elle nait en Italie, en couverture du magazine de mode pour homme Moda qui, en 1973, présenta un Newman portant cette montre. Midas oblige, ce que l'Italie comptait de fans de style et de course automobile (l'essentiel de la population masculine, prêtres compris, donc) se rua sur la montre lorsqu'elle en avait les moyens.

Ces histoires ont longtemps passé, et passent encore, pour vraies. Je me suis moi-même plu à croire en la première d'entre-elles, maintes fois répétée à mes amis lors de dîners, enjolivée de force détails. Elle avait à mes yeux l'immense avantage de faire de la Daytona Paul Newman un Graal inaccessible puisque, pour la posséder, il eut fallu que je fusse pilote ou sponsor de l'écurie de l'acteur, ce qui, au vu de mes talents de conducteur ou d'homme d'affaires, semble difficilement possible.

Le propre des légendes plausibles, c'est que tout le monde les considère comme acquises et en discute les détails sans en questionner le fond. Combien de documents, de gloses de thèses ont été publiés s'appuyant pour tout ou partie sur ces trois histoires ? Et combien, dans le même temps, ont pris la peine de questionner les principaux intéressés sur la Genèse de ce modèle légendaire ? Peu, en effet.

Paul Newman et John Brozek (2003)

Il existe pourtant un homme de bon sens autant que de bon goût, le journaliste John E. Brozek, expert reconnu des chronographes Rolex, qui, en 2003, a rencontré Paul Newman et l'a tout simplement questionné sur « sa » montre. L'acteur et pilote lui a tout répondu qu'il n'avait jamais possédé Rolex Daytona Paul Newman. Que la seule Daytona qu'il ait jamais portée lui fut offerte par son épouse, Joanne Woddward, pour ses débuts de pilote de course en 1972. Le dos de la montre était d'ailleurs gravé de ces mots doux et moqueurs : « Drive Slowly, Joanne ». Il la portait encore se jour de 2003 où John Brozek eût la chance de le rencontrer. De celle qu'il portait dans Winning, il ne se souvient pas, mais un examen rapide des images disponibles de ce film montre que le garde-temps qu'il arbore n'est même pas une Rolex. Enfin, la star admet qu'il est possible qu'il ait porté sa propre montre sur la couverture de Moda, les dates concordant. Paul Newman a par ailleurs brièvement été propriétaire d'une autre Rolex Daytona qui lui fut offerte par la marque en 1995 lors de la remise du titre de Rolex Motorsport man of the year. Las, hormis sur les photos de l'évènement, il ne la porta guère et, fidèle à ses convictions philanthropiques, il en fit don à une oeuvre caritative qui en tira sept fois sa valeur vénale lors d'une vente aux enchères. Midas un jour, Midas toujours...

Si l'on se tourne maintenant du côté de Rolex, il est aisé de se rendre compte qu'il n'existe aucun modèle portant explicitement le nom de Paul Newman. S'il existe bien une Daytona, cette appellation fut conférée a posteriori au modèle de chronomètre à cadran contrasté. Ce sont en effet les fans de la Cosmograph, référencée dans la nomenclature Rolex sous le numéro 6241, qui l'ont baptisée ainsi au regard de sa popularité chez les coureurs automobiles. A l'époque, une multitude de versions de la montre était offerte au public, parmi lesquelles des versions à cadrans dits « exotiques », contrastés, poussoirs champignon et repères carrés sur le pourtour des cadrans afin d'en faciliter la lecture dans des conditions difficiles (par exemple, lire l'heure à la sortie de Mulsanne au volant d'une Lola T70 alors que vous êtes en tête des 24 heures du Mans et qu'il ne reste que quelques minutes de course), boîtier acier et mécanisme à remontoir qui devint légendaire sous l'appellation Paul Newman.

Un de mes amis a coutume de dire : « Ne laissons pas les Porsches aux cons ». Signifiant par là qu'il se refuse à considérer certains fétiches masculins, particulièrement désirables par leur qualités esthétiques et techniques, comme infréquentables en regard de leur statut de marqueurs sociaux pour m'as-tu-vu et autres frimeurs ; ou de la charge symbolique (vous savez : grosse voiture = petit zizi, etc.) qu'ils trimballent (autos, motos, montres, objets high-tech, souliers, etc.). Pour conclure, j'ajouterais « ...et les Rolex à Sarkozy. ».


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