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Considérations inutiles (II) - En finir avec les Présidentielles

Par Jb
medium_présidentielles.jpg En finir avec les Présidentielles. A double titre.
D’abord, effectivement, vivement que cela se termine. Voilà déjà si longtemps que les candidats sont en campagne, voilà déjà si longtemps que nous sommes tous matraqués par leurs discours, les métadiscours, les sondages, les commentaires plus au moins "autorisés" et avisés, que tout cela est devenu proprement insupportable.
Nous touchons ici bien sûr à la limite du retentissement médiatique des phénomènes. Cela concerne la politique : souvenons-nous du référendum européen, pour ne prendre que le dernier exemple en date. Mais cela concerne, plus généralement, tout sujet médiatisé : le procès d’Outreau, la mort de Jean-Paul II, le tsunami du sud-est asiatique ou les inondations de la Nouvelle-Orléans ne sont que quelques exemples paradigmatiques d’une logique qui est toujours la même. L’information, nécessaire au citoyen éclairé, tourne au ressassement et finit par provoquer la colère voire l’indignation. Qui n’a pas, dans un coin de son cerveau, fini par penser : "mais qu’ils crèvent tous dans leur tsunami ces cons !", tant les discours enflaient et mitraillaient tout sur leur passage (mise en abyme : l’événement médiatique comme tsunami).
Bref, vivement que la campagne se termine et qu’on n’en parle plus. Enfin, cela est évidemment faux : non seulement il y aura la prise de fonction, la constitution du gouvernement, le discours de politique générale, le 14 juillet, mais en plus il y aura les législatives. Autant dire que nous n’avons pas fini d’en bouffer, de la politique française.
A un moment donné, cela dit, il faudra bien que la vie, la vraie, reprenne ses droits. La distorsion du réel provoquée par le raz-de-marée médiatique peut en partie se comparer à la gueule de bois. La fameuse image d’Epinal du type qui se réveille après une nuit où il était raide bourré et qui ne se souvient de rien, jusqu’à ce qu’il aperçoive gisant à ses côtés une personne (en général du sexe opposé) avec qui il a, de toute évidence, consommé. Mais le cas des Présidentielles est plus fort encore : il s’agit d’une gueule de bois par anticipation, alors même que l’événement n’a pas encore eu lieu. Nous n’en pouvons plus de quelque chose qui n’est pas encore arrivé, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. Mais coupons court.
En finir avec les Présidentielles : peut-être et surtout dans l’autre sens, moins immédiat celui-là et plus figuré. A savoir : les psychodrames que suscitent les discussions politiques (entre amis, dans les familles, au bistrot) valent-ils le coup ? Les ardeurs et raisonnement hystériques, les prises de position militantes et enflammées, tout cela a-t-il finalement un intérêt, et même un sens ?
Que l’on me comprenne bien : je ne suis à aucun moment en train de faire l’apologie de l’abstention ou (ce qui finit par revenir au même) du relativisme absolu consistant à dire qu’ils sont tous pareils et que rien ne sert à rien. Mais je pose simplement cette question : y croyons-nous nous-mêmes, à ces lynchages publics, à ces déclarations de foi, à ces grands discours et ces grandes théories si manichéennes ? Y croyons-nous nous-mêmes, à cette image divine du (de la) Président(e) de la République Française ? A cette figure qui viendra tous nous sauver, cette figure rédemptrice, charismatique et absolument novatrice qui va tout changer, tout "révolutionner" (de préférence en douceur) ?
Qui croit vraiment que cette élection est à ce point cruciale, qu’elle va à ce point influer sur tout le reste de nos vies, qu’il y a là de quoi s’obséder, s’exciter, se rendre littéralement malade ? Qui croit vraiment que le (la) futur(e) Président(e) est omnipotent(e), absolument et complètement compétent(e) sur tout, qu’il (elle) a le pouvoir de tout résoudre en un claquement de doigts ?
Alors que nous invoquons sans cesse et artificiellement les "Lumières", sans doute faudrait-il un peu plus faire appel à la raison plutôt qu’au réflexe quasi-religieux. Que les enjeux soient importants, c’est indéniable. Que, dans notre pays, l’élection du Président de la République soit l’acmé de la vie politique, c’est un fait. Mais l’emballement et la frénésie d’avant la campagne ne sont-ils pas inversement proportionnels à ce qui va se passer après, une fois l’échéance passée et consommée ?
Plus grave encore : par la focalisation démesurée sur l’élection présidentielle, ne cautionnons-nous pas ce que par ailleurs nous prétendons sans cesse dénoncer, à savoir le "monarchisme" de la fonction ? Paradoxe quand tu nous tiens : l’avant élection donne à la figure abstraite du Président l’aura d’un Dieu tout-puissant ; l’après élection pousse en général des millions de gens dans la rue dès la moindre réforme esquissée et entretient l’illusion lyrique de la "révolution" et des "lendemains qui chantent".
La France contemporaine est schizophrène en ayant incorporé deux mythes complètement contradictoires : celui de la monarchie d’un côté, celui de la révolution populaire de l’autre. Cela ne gêne personne de manier tantôt l’un, tantôt l’autre de ces mythes, sans aucune conséquence logique. L’on fait tantôt travailler l’hémisphère gauche du cerveau, tantôt le droit, mais jamais nous ne les sollicitions mutuellement.
Peut-être alors faut-il émettre le vœu (pieu) suivant : que le (la) prochain(e) Président(e) se désacralise lui (elle)-même. Que cette personne accède au pouvoir précisément pour réduire son propre rôle et faire preuve (lâchons le mot !) de modestie. Cette posture n’aurait à mon sens rien de suicidaire et, par ailleurs, ne manifesterait aucun aveu d’impuissance. Bien au contraire, cela permettrait peut-être (on peut toujours rêver) de mettre en valeur d’autres niveaux de pouvoir, qu’il s’agisse du Parlement, des échelons décentralisés, mais aussi des niveaux supranationaux dont on fait tantôt comme s’ils n’existaient pas, tantôt comme s’ils étaient responsables de tous nos maux et empêchaient de toute façon toute évolution intérieure, tantôt comme s’ils étaient notre unique espoir de salut.
Bref le (la) prochain(e) Président(e) pourrait innover en faisant appel à la raison des gens (plutôt qu’à leur pseudo "bon sens"), pourrait faire œuvre de pédagogie en cessant (en fonction des moments) de les materner, les exciter, les mener en bateau, leur faire passer des vessies pour des lanternes. Il (elle) pourrait également innover en démystifiant sa fonction et en organisant de nouveaux pouvoirs et contre-pouvoirs.
Ça n’a l’air de rien, mais c’est sans doute la chose la plus difficile. Partant, elle ne sera probablement pas réalisée.

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