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Carnets, 18 février (3/3): Dîner banal au bout du monde

Publié le 24 mars 2010 par Aurélien
M’étant souvent étonné des heures de repas, mosaïque parmi les mosaïques de campagnes ethniques, et ayant remarqué qu’ils dînaient souvent à l’heure anglaise, je craignais qu’en arrivant si tard – il est près de sept heures et demie – nous ne montrions une certaine impolitesse envers la patronne de l’hôtel, qui, en l’absence de restaurants ouverts dans le village, m’avait prié à dîner et dont j'avais accepté l'invitation, avec certes moins de chaleur qu'à l'accoutumée - l'ennui semblait l'occuper -, mais pour autant sans m'ôter la curiosité de partager un dîner de bout du monde, tout banals que puissent être ceux qui m'y invitent. Heureusement, le dîner n'est pas encore prêt à notre retour; nous soupons vers huit heures.
Carnets, 18 février (3/3): Dîner banal au bout du mondeL’heure est bien française, à défaut du repas : de larges rondelles froides de saucisse épicée, du porc à la sauce aigre, de la salade, du riz. Je dis que c’est très bien (« bon » s’écorche dans ma bouche), et cela fait rire tout bas la fille qui n’a pas l’air de penser la même chose. Maman raconte un truc sur les 花花公子 (playboys) occidentaux. Je ne comprends pas trop si cela veut dire que je suis trop super sexy en plus d’être langman, ou bien qu’au contraire leur idéal d'Occidental était beau, grand, fort et se lavait de temps en temps; bref, tel le chat de Schrödinger, je reste dans l’incertitude et je dénie en souriant.
Le père rentre des champs ; en treillis militaire (qui combat-il ?), massue à grain dans un reposoir accroché à la taille, il assoit sa fière moustache dans un coin de la pièce, pas trop loin quand même de la table basse en demi-lune; celle-ci enserre le réchaud électrique, métamorphosé, tel le phénix de ces lieux, en chauffe-plats. Une télé très cathodique égrène les nouvelles d’un monde lointain. La gazelle en noir pianote sur son  rose téléphone, de ses doigts froids. Demi-sourire délicat, parfois, haut front.
Le meilleur moyen d’apprendre de ses erreurs, c’est quand même d’en faire. J’accepte donc un bol de riz à la première offre qu’on me fait. Erreur! De mémoire, j’avais toujours dit non sans y penser, par habitude de politesse. Ici j’ai l’impression d’avoir embrassé Hu Jintao sur la bouche. Un égarement fond sur la mère, qui reste désorientée pendant plusieurs secondes, l'oeil effaré ; puis elle reprend ses sens, rouvre l’autocuiseur qu’elle avait machinalement refermé, et me sert un bol rustique.
Elle se venge le repas fini, et quand j’exprime ma satiété d’un sonore 吃饱了! (“Tcheu-bao-leu”, je suis repu !), elle de me proposer un deuxième bol de riz avec l’insinuation la moins délicate qu’un repas si peu apprécié de ma part n’aura certainement pas pu combler mon appétit. Comme c’est petit ! Faut-il qu’elle ait peu aimé ce repas pour répliquer à mes faux pas avec une telle amertume !
Il n’y a pas de salle de bain. Pas grave, je sens bon la crasse. Chameau n°5.
Mais, de grave manière, la patronne s’enquiert de mon désir de me laver visage, bras et jambes avant de m’aller pieuter. Manifestement, la case cochée par défaut est « oui bien sûr ». Comme elle me déroule les prospects délicieux de plonger mon visage dans l’onde pure d’une bassine de propreté incontestable, je prétexte la possession d’une lotion nettoyante miracle pour leur souhaiter une bonne soirée et m’éclipser prestement.
Ma chambre est aussi chaude qu’Hilary Clinton. Grelottant, je déplie en hâte mon sac de couchage sur le drap douteux et me fais briller les dents en un éclair. Un coup de jet d’eau d’un tuyau sert de chasse d’eau. Je règle mon réveil sur 8h30 et je me glisse dans mon cocon.
Je pense au lendemain. Je ne sais comment (syndrome de Stockholm ? prendre le pouls du bout du monde ?), je compte rester une demi-journée de plus et prendre la navette de l’après-midi. Un marché, m’a dit la patronne, doit se tenir en début d’après-midi, et l’idée de voir ce bourg pauvre mais très vivant animé de l’agitation d’une foire m’enthousiasme. Je me retourne longuement, cherchant la chaleur, avant de m’assoupir.
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