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Former des professionnels de la Culture en 2010, entre gestion et utopie

Par Magali Renard
Les colloques universitaires, c'est un peu toujours le même schéma : des intervenants reconnus dans le milieu, des thèmes récurrents, des argumentations pas toujours très claires, une petite dose de langue de bois et une problématique ambitieuse à laquelle on ne répond pas vraiment. Je n'attendais pas grand chose du colloque "Former des Professionnels de la culture : paysage actuel et enjeux pour demain", organisé par le Master DCV (Développement Culturel de la Ville) et on ne peut pas dire que j'ai été surprise. Bon, par contre, c'est vrai qu'il y avait quelques personnalités présentes ce jour-là qui ont contribué à faire s'échauffer les esprits à moment donné, ce qui est toujours amusant. Suite à plusieurs demandes qui m'ont été faites par des personnes ne pouvant pas se rendre à La Rochelle vendredi dernier, je vais essayer de faire un petit compte-rendu, qui s'inscrira en parallèle de l'excellent article de Picto Conseil sur les formations culturelles du 3 mars 2010.
Former des professionnels de la Culture en 2010, entre gestion et utopieOrganisé avant tout dans le but de célébrer le dixième anniversaire du Master DCV, ce colloque avait pour fil rouge la question de la pertinence de cette formation aujourd'hui, face à l'évolution du secteur de la Culture, qui s'est profondément professionnalisé ces dernières années, notamment avec le développement des industries culturelles. Je dois avouer que je ne connaissais pas cette formation, dont les cours se déroulent successivement sur les sites des universités de La Rochelle, de Nantes et de l'École Nationale Supérieure d'Architecture et du Paysage de Bordeaux. Cette mobilité géographique lui vaut son surnom de "master sac à dos" (puisque les élèves qui suivent cette formation doivent se débrouiller pour se loger dans ces trois villes pendant quelques semaines), mais ce mode de fonctionnement me semble particulièrement enrichissant.
Après avoir fait la génèse de la naissance du master DCV, son directeur Guy Martinière s'est déclaré très satisfait des résultats en termes d'insertion professionnelle. Les universitaires Didier Poton et Gilles Roussel ont ensuite complété son propos en rappelant l'intérêt des formations "professionnalisantes" à l'Université : celui d'apporter aux futurs professionnels un socle disciplinaire solide, une capacité d'analyse ainsi qu'une certaine "vigilance" permettant de se situer au sein d'une "activité professionnelle raisonnée". Pour offrir des éléments de comparaison avec d'autres formations, la majeure "Management des institutions culturelles et des industries multimédias" de l'École Audiencia à Nantes fut présentée par Laurent Noël, qui a insisté sur la sélection des étudiants à l'entrée et la vérification de leur motivation réelle pour s'engager dans cette filière particulière. Puis ce fut le tour d'Olivier Hû de vanter les mérites du master pro "gestion et diffusion des produits culturels" parcours "technologies numériques, conception et médiation" de l'Université d'Angers et de rappeler la fonction de "consolidation" de la formation culturelle, qui n'est là que pour encadrer un projet professionnel déjà existant. L'intervention de Jean-Louis Bonin, co-responsable du master DCV, m'a beaucoup plu : il pose la question que tout étudiant qui souhaite s'orienter vers la filière culturelle devrait se poser : "Pourquoi veut-on faire et fait-on un métier culturel?" Les formations culturelles sont nées à l'origine de l'utopie de militants, défendant certaines valeurs et avec un forte volonté de s'engager dans des "combats". C'est ce désir de transmettre, de défendre une cause qui doit littéralement habiter les prétendants aux formations culturelles, lesquelles ne sont en quelque sorte que des outils facilitateurs... "Mon rêve, c'est de former des gens compétents, à l'écoute des autres et humbles" dira Mr Bonin : autant de savoir-être tout aussi importants que les savoir-faire... Jacky Marchand, directeur de La Coursive à La Rochelle a également plutôt bien résumé les traits de personnalité préalables au choix d'une orientation culturelle : "Si vous n'avez pas d'envies, l'envie d'être utile, de s'investir, la conviction, l'altruisme, la force égoïste d'aller à la rencontre de l'art et de la culture, alors il ne faut pas faire ce métier".
La question de l'adéquation des formations au marché de l'emploi culturel fut au centre des discussions de l'après midi, avec l'exposé de Françoise Liot, maître de conférences au sein des formations GAC et COMEC de l'IUT de Bordeaux, qui a abordé la question de la précarité des emplois culturels, de l'insertion mais aussi du "maintien" de l'emploi. Il est en effet bon de rappeler que l'emploi culturel n'est pas stable et qu'il est important de développer une certaine polyvalence afin de faciliter sa progression professionnelle dans ce milieu. Il est également de rigueur d'insister sur la nécessité de se construire un réseau professionnel (incontournable!). Jacky Marchand a ajouté que parmi ses collaborateurs, il y a beaucoup de "trèfles à quatre feuilles", des profils souvent atypiques qui sont passés par plusieurs types de postes et de disciplines culturelles et qui savent jongler avec ces différentes facettes. Jean-Michel Lucas, maître de conférences à l'Université de Rennes II, constate que l'ouverture des formations universitaires se fait encore trop indépendamment du milieu professionnel, ce qui génère les problèmes d'insertion que l'on connaît. Il va aller assez loin dans la peinture d'un tableau plutôt sinistre du marché de la culture, en parlant d'"épicerie culturelle" et de la logique de marché incompatible avec celle du service public. Au final, on est bien face à un système un peu obsolète qui se pose aujourd'hui en décalage avec les réalités économiques. S'en suivra une altercation un peu tendue avec une jeune assistance de conservation du Patrimoine, en désaccord avec la vision pessimiste de ce dernier, et qui s'adresse aux étudiants de l'auditoire en leur disant de "garder la foi". Et c'est vrai qu'il en faut! Jacky Marchand rebondira en affirmant que "la profession culturelle est certainement celle qui s'interroge le plus sur ce qu'elle fait". Cette constante remise en question est par ailleurs un pré-requis pour pouvoir évoluer dans le métier...
Enfin, la dernière table-ronde a permis de faire un état des lieux des formations culturelles ayant une dimension internationale et des perspectives d'emploi en Europe et au delà. Le constat de Anne-Marie Autissier de l'Institut d'Études Européennes de Paris est qu'en dépit de la réforme LMD, il n'est pas simple pour les organismes de formation de travailler à l'international et que la "masterisation" des diplômes a créé beaucoup de contraintes et de zones de non-correspondances entre différentes universités. Jean Hurstel, président de Banlieues d'Europe, souligne l'importance des réseaux internationaux pour faire reculer toutes les frontières, en particulier les frontières sociales. Il ajoute que "les nouvelles utopies naissent toujours dans les périodes de crise" et que de nouveaux territoires inconnus restent à explorer. Ce que Gilles Roussel, consultant à l'Institut d'Études Politiques de Lyon, va confirmer avec l'évocation de l'Afrique, où le rapport à l'art particulier donne à imaginer de nouvelles formes de travail et de développement local par la Culture.
La synthèse a été proposée par Dominique Chavigny, chargé de mission à l'inspection générale de l'administration des affaires culturelles au Ministère de la Culture et de la Communication, qui pense que le master DCV a encore sa place dans le paysage des formations aux métiers de la Culture et que son intitulé est toujours valable. Il propose de raisonner davantage en termes de fonction plutôt que d'emploi et croit que les organismes de formation devraient avant tout former des ingénieurs, interfaces entre les élus et les acteurs culturels et artistiques. En référence à la concurrence grandissante des diplômés des écoles de commerces sur le marché de l'emploi culturel, il cite François Mitterrand et sa fameuse expression "Après moi, il n'y aura plus que des comptables", dénonçant la vision purement comptable des activités humaines et de la culture qui menace la profession...
Sur ces bonnes paroles, je vous laisse avec l'actualité de l'Observatoire des Politiques Culturelles.

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