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HHhH, Laurent Binet

Par Sophielit

Ce livre, j’en ai déjà dit un mot le jour où il a reçu le prestigieux Prix Goncourt du Premier roman, le 2 mars dernier. Il raconte (décortique ?) l’attentat perpétré contre Reinhard Heydrich, chef de la Gestapo et bras droit de Himmler (Himmlers Hirn heiβt Heydrich) par deux parachutistes, un Tchèque et un Slovaque. De l’accession d’Heydrich à son poste à ses funérailles, de la préparation de l’attentat à la vengeance de Hitler après celui-ci, aucun détail n’est épargné au lecteur.

« Au début, cela m’avait paru une histoire simple à raconter. Deux hommes doivent en tuer un troisième… » Ce roman est fait de deux parties très différentes. La seconde démarre au moment où la bombe lancée par l’un des parachutistes explose. Nous en sommes déjà à la 351ème page, 222ème sous-partie. Cette deuxième partie est puissante, et permet au lecteur de refermer HHhH en conservant une impression de puissance littéraire, de force incroyable.

Mais pour y parvenir… 350 pages, donc. Mais pas seulement. Cela fait des années que Laurent Binet vit avec cet épisode de l’Histoire. Il ne voulait, on le comprend, pas rater l’exercice quand il a enfin entrepris de le relater. D’autres l’ont fait avant lui, d’ailleurs, différemment, forcément. Résultat : Binet cherche, et se perd.  Il se perd en atermoiements, il diffère, il reporte, il hésite… et fait subir cela au lecteur.  Il rend compte de ses moindres recherches, se justifie en permanence, tient absolument à prouver que le moindre détail est vrai – puisqu’il a été vérifié par lui. Pire, il fait des erreurs, et se corrige quelques pages plus tard. Rien de pire pour le lecteur, qui prend d’autant plus les informations pour acquises que l’auteur insiste fortement sur leur véracité. Binet tient une trop grande place dans le texte ; cela n’attire vite plus la sympathie (au début, on croit à de la timidité, de l’humilité, du doute) mais l’agacement – quel mégalo ! Exemple : « Si j’étais paranoïaque et égocentrique, je croirais que Londres l’a fait exprès pour ajouter à la confusion de mon récit. » (page 287)

HHhH pose la question de ce qu’est un roman. Pour moi, il ne rentre pas dans cette catégorie, clairement pas. Il s’agit là d’un essai, avec un point de vue tranché, sur la façon de retranscrire lorsqu’un romancier veut coller au plus près à la réalité de ce qui fut. La plus grande crainte de Binet est qu’on le prenne en défaut. Cela vire à l’obsession, à la monomanie.

Sans se remettre en question ni se demander ce qu’il est en train de produire, il critique vertement d’autres romanciers : à Alan Burgess, qui a écrit sur le même attentat, il reproche des « erreurs flagrantes », des » épisodes douteux » qu’il le soupçonne d’avoir inventés (notamment la couleur d’une Mercedes, pour laquelle Burgess avait finalement raison, et Binet tort) ; David Chacko, également auteur d’un roman sur le même épisode, est traité de tricheur parce qu’il n’a pas voulu « être esclave de sa documentation ». Jonathan Littell en prend aussi pour son grade, Binet voulant rivaliser avec lui dans la course à la documentation.

Finalement, Binet cite Roland Barthes : « Surtout, ne cherchez pas à être exhaustif ». Un excellent conseil, que lui n’a pas suivi.

Qu’on ne s’y trompe pas : j’ai aimé HHhH. Mais j’ai eu le sentiment d’être dupée, parce qu’on me l’avait vendu comme roman, d’ailleurs il a été primé comme tel, alors que ce n’en est pas un. Ce texte est un formidable essai dont je recommande la lecture à quiconque envisage d’écrit un roman basé sur des faits réels.

Je veux terminer par du positif, alors je citerai ce passage : « Ceux qui sont morts sont morts, et il leur est bien égal qu’on leur rende hommage. Mais c’est pour nous, les vivants, que cela signifie quelque chose. » (page 244). Avec HHhH, Laurent Binet peut être certain d’avoir fait son devoir de mémoire.


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