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Au cinéma, les yeux grand ouverts

Publié le 31 mars 2010 par Petistspavs

Pas d'édito cette semaine, mais ce qui est dit ou reproduit à propos du film de Jean-Christophe Klotz en tient lieu. Mais je ne saurais manquer à cette habitude que j'aime bien de vous présenter ma semaine cinéma accompagnée d'une musique de film. Comme l'ambiance est à la bonne humeur, ce sera Altman, le Vietnam :

Suicide is painless :

LE FILM QUI ME PASSIONNE CETTE SEMAINE

Ligne_de_front
Lignes de front
film français de Jean-Christophe Klotz (2010, 1h35)
Avec Jalil Lespert, Cyril Gueï, Philippe Nahon, Jean-François Stévenin
scénariste : Jean-Christophe Klotz et Antoine Lacomblez
directeur de la photographie : Hélène Louvart
production : Les films du Poisson (Nulle part, terre promise & A l'est de moi)
distribution : Bac Films
Synopsis : Antoine Rives, journaliste indépendant, tourne un reportage sur les rapatriés du Rwanda. Il rencontre alors Clément, étudiant rwandais d'origine hutue dont la fiancée tutsie, Alice, a disparu. Antoine le convainc de repartir avec lui au Rwanda à la recherche d'Alice, et de le laisser filmer son périple.
Un "pacte" qui s'avère très vite intenable face au chaos dans lequel ils vont se trouver plongés. Une traversée de l'horreur dans laquelle Antoine perd ses illusions sur son métier de journaliste et se demande jusqu'à quel point il peut filmer et exposer la tragédie humaine au reste du monde.

Kigali
Venu du grand reportage, Jean-Christophe Klotz avait réalisé en 2004 Kigali, des images contre un massacre, un documentaire remarqué qui revenait 10 ans après sur la tragédie rwandaise et le traitement médiatique et politique de l'événement.
C'est sous l'habillage de la fiction que le réalisateur retourne au Rwanda, soucieux de dénoncer l'attitude pour le moins contestable de l'ONU et de la France, ce en quoi il aurait pu livrer un produit "prêt pour l'indignation". Mais sa démarche est beaucoup plus personnelle et c'est en cela qu'elle est séduisante. Le Monde raconte : "Reporter pour Capa, Klotz s'est rendu en juin 1994 au Rwanda, où le génocide des Tutsi par les extrémistes hutu durait depuis deux mois.
Lors de l'attaque d'une mission chrétienne où s'étaient réfugiées une centaine de personnes, il est atteint d'une balle à la hanche, évacué et rapatrié. Moins de quarante-huit heures après son départ, la plupart des protégés de la mission furent massacrés. Sur son lit d'hôpital, à Paris, le journaliste va voir passer en boucle à la télévision les visages qu'il a filmés au Rwanda, dans l'émission Envoyé spécial
".
Jean-Louis Douin évoque le rapport entre le film fictionnel de 2010 et le documentaire de 2004 : "Hanté par son incapacité d'alors à trouver des mots et des images à la hauteur de ce qui était en train de se passer, il signe aujourd'hui ce film qui est à la fois un face-à-face avec lui-même, l'histoire d'une initiation, et un miroir tendu à tous ceux qui font profession d'informer."
Dès lors, le propos de Klotz se fait passionnant : en interpellant son métier de reporter et sa pratique, sa difficulté à dire l'événement par l'image, il légitime sa démarche. En se demandant : comment représenter l'indicible, il rejoint une des questions les plus passionnantes et les plus existentielles du cinéma et légitime, du coup, son entreprise. Loin des représentations suspenso-pornographique des réalités dérangeantes de notre temps (La liste de Schindler, La rafle), Klotz semble reprendre à son compte l'infini scrupule godardien qui tient dans cette formule qu'il faudra, un jour, libérer de sa forme (une "formule" ?) : le travelling est affaire de morale.

C'est parce qu'il ne nous promet aucun spectacle et nourrit un doute sur sa capacité à dire ce que sa conscience le presse d'exprimer que Jean-Christophe Klotz légitime son entreprise : filmer et nous donner à voir l'horreur de ce monde.

KLOTZ_JC_2009
Ce qui précède était écrit quand j'ai lu l'interview de Jean-Christophe Klotz (photo ci-contre), ce matin, dans Libé. Je vous en livre un long extrait, tellement il me semble que le réalisateur se prononce avec des mots simples dans un des débats fondamentaux qui traversent le cinéma aujourd'hui :

"J’ai passé toute une partie de ma vie à essayer de filmer des choses de plus en plus fortes. Et, de fait, à peu près tout a été filmé. On est dans une surenchère permanente. Le problème, c’est plutôt comment créer de l’empathie, de l’émotion, de la compréhension, de la réflexion.
Ce que j’ai voulu montrer dans le film, c’est le non-visible. Là est la force du cinéma. Or, le risque de la reconstitution, surtout sur des événements aussi lourds que le génocide rwandais, c’est de favoriser leur digestion. Je ne veux pas participer à ça. En ce moment, il y a une tentation très forte, incarnée par le docu-drama, qui est de donner à voir ce qui n’a pas été documenté. On l’a vu au moment de la sortie de la Rafle. Certains ont avancé cet argument selon lequel la fiction était nécessaire parce qu’il n’y avait pas d’images d’époque. C’est une volonté de remplacer l’image manquante, que je ne partage pas. L’image manquante n’est pas une image absente. Une image ne dit rien en soi ; cette quête est un leurre. Albert Londres disait qu’il faut distraire pour informer. J’ai peur qu’en ce moment on fasse de plus en plus le contraire : on informe pour distraire.
"

Bien entendu, la presse quotidienne et hebdo salue l'intérêt et l'intégrité du film, même si Serge Kaganski (Les inrocks) pose un bémol intéressant :
"Klotz traite ces sujets difficiles avec beaucoup de sobriété et de tact. S’il filme des cadavres, il ne montre jamais de blessures en gros plan ou de massacreurs en train de découper à vif leurs proies. Il montre l’horreur sans glisser dans l’obscénité, ou le genre gore qui serait ici inapproprié.
Privilégiant les scènes nocturnes, les lumières grises, Klotz évite le pathos et le spectaculaire, maintient une sécheresse qui permet d’autant mieux les jaillissements d’émotion.
Quelque part entre le reporter d’Antonioni, le GI “théséen” d’Apocalypse Now ou le journaliste de La Déchirure, Lespert
Lignes de front est irréprochable, mais en même temps prévisible. Il traite parfaitement ses sujets, mais sans les dépasser. On ne résiste pas à comparer ce film à celui de Claire Denis, qui évoque aussi les conflits africains mais en décollant vers une magie indéfinissable. Entre Lignes de front et White Material se mesure l’écart qui existe entre un bon film prosaïque et du grand cinéma poétique.
est convaincant, baroudeur dont le cuir épais finit par se liquéfier face à l’horreur. (...)"

Merci Beau Serge pour cette mise en perspective qui n'altère en rien mon envie de découvrir ce film. Mais me rappelle à l'ordre : non, je n'ai pas encore vu White material...

AUTRES FILMS POSSIBLES

Je passe rapidement en revue quelques films qui me semblent à la fois insuffisamment convaincants pour être mis sur le même pied que Ligne de front mais qui méritent sans doute un petit (dé)tour.

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En traitant un sujet, certes infiniment moins grave que celui de Jean-Christophe Klotz, mais tout à fait sérieux et sensible (et les habitués de ce blog savent à quel point le sort fait aux personnes sans papiers par la famille Sarkozy-Besson est, pour moi, un sujet sérieux et sensible) Anne Le Ny adopte une posture morale moindre. Son film ne semble pas dépourvu, même, d'une certaine roublardise, mais peu importe, son film, malgré la bande annonce et les rires ambigus qu'elle a pu déclencher à l'UGC Danton (que, je le répète de semaine en semaine, je ne puis que déconseiller, comme tout ce qui touche au réseau UGC) ne devrait pas laisser indifférent.
De quoi s'agit-il ? Un vieil homme (Michel Aumont), ancien résistant, intellectuel et militant de toutes les causes humanitaires, annonce un jour à sa famille qu’il a fait un mariage blanc avec une jolie sans-papiers moldave. Mais cette alliance, associée à ce qui va s’avérer un regain inattendu de sexualité de leur père, va rouvrir chez ses grands enfants (Karin Viard et Fabrice Luchini) de vieilles blessures.
La presse, malgré certaines réserves, salue en cette comédie sociale une entreprise décapante, Télérama évoquant même "une suite de situations désopilantes" et si Libé se demande si le film provoquera plutôt un rire de droite ou un rire de gauche, tous se retrouvent pour saluer l'excellence de l'interprétation, prêtant même à Luchini des velléités de sobriété... Pour moi, l'argument qui touche, c'est Karin Viard traitant son frère (Luchini, donc) de "petite bite" et suivant l'exemple de son père, "s’émancipera en commettant le sexe en dehors des clous" (Libé). Cette dernière proposition m'intrigue, d'autant que j'ai toujours été secrètement amoureux de Karin Viard, depuis son travail avec Christine Pascal (dont je reste amoureux).

L'affiche est vraiment bien, je trouve. Je la mets en plus grand que les deux autres.

N_nette
Le film qui me semble le plus sympathique, cette semaine, c'est Nénette, qui n'est pas le portrait machiste d'une greluche, mais le portrait sensible de la dame orang-outan, née à Bornéo et, la pauvre, pensionnaire du Jardin des Plantes depuis 1972 (la plus ancienne prisonnière de cette geôle à la gloire de l'immigration choisie). Emmenez vos mômes pendant les vacances de Pâques, ils en sortiront moins cons que d'un Dragon en 3 D.
L'affiche est sympa.

T_te_de_turc
Le film que je voulais détester, mais je n'y arrive pas. Car derrière le polar franchouille-banlieue, la presse annonce un film plus complexe, un critique osant même "l'antithèse de La Haine" (la merdouille du merdouilleux Kassovitz) et d'un coup, mon intérêt s'éveille d'autant plus qu'on dit les acteurs et surtout les actrices excellentes. Donc, à bon entendeur...
L'affiche est dégueulasse.

L'IMAGE DE LA SEMAINE

J'ai choisi une image parmi les photos qu'internet veut bien présenter d'un film qui aurait sans doute mérité des développements. Le film, Les Murmures du vent de Shahram Alidi, évoque le malheur d'avoir été kurde sous Saddam Hussein.

Murmures_du_vent2

J'aime cette image minérale, comme j'aimerais aimer ce film. Sous le gazon, les morts.

FOCUS
LE FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE FEMMES
ÉDITION 2010
2 au 11 avril
Maison des Arts de Créteil

films_de_femmes

Pour tout savoir sur le Festival,
CLIQUER SUR L'AFFICHE

Depuis 30 ans, les Festival international de films de femmes s'engage auprès des réalisatrices de tous pays pour laisser s'exprimer le cinéma au féminin. Cette année, outre la compétition, c'est sur le thèmes des frontières invisibles que se concentre le festival de Créteil avec un programme de 80 films. Un nouveau prix a également fait son apparition, le prix 'Anna Politkovskaïa' - du nom de la journaliste russe assassinée - récompensant le meilleur documentaire.

Soirée d'ouverture le vendredi 2 avril à 20h30 :
concert de la chanteuse malienne ROKIA TRAORÉ à la Maison des Arts de Créteil.

Rokia_Traore_02


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