Magazine Culture

[Livre] La ferme des animaux, de George Orwell

Par Melimelo
"Tous les animaux sont égaux, mais (il semble que cela ait été rajouté) il y en a qui le sont plus que d’autres"

8a9c012dea50902eea4dec3bd34e7479.jpg

1984 est passé à la postérité en tant que métaphore symbolique, en devenant une année -ou plutôt un titre- que l'on écrit aujourd'hui comme un réflexe sur les pancartes des manifestations protestant contre des mesures gouvernementales jugées liberticides.

Or, plusieurs années auparavant, George Orwell avait publié un premier ouvrage à portée politique, qui s'inscrit dans cette même réflexion anti-totalitaire. Injustement moins connu, paru en 1945, ce livre mérite tout autant d'être lu. Il s'agit "La ferme des animaux".

D'un pessimisme déterministe dont la froideur implacable ne semble accorder aucun espoir au lecteur, ce court roman capte avec la simplicité désarmante de la fable les dérives d'un système. Avec en point de mire évident, l'URSS.

Un certain 21 juin eut lieu en Angleterre la révolte des animaux. Les cochons dirigent le nouveau régime. Snowball et Napoléon, cochons en chef, affichent un règlement :
"Tout ce qui est sur deux jambes est un ennemi. Tout ce qui est sur quatre jambes ou possède des ailes est un ami. Aucun animal ne portera de vêtements. Aucun animal ne dormira dans un lit. Aucun animal ne boira d'alcool. Aucun animal ne tuera un autre animal. Tous les animaux sont égaux."
Le temps passe. La pluie efface les commandements. L'âne, un cynique, arrive encore à déchiffrer:
"Tous les animaux sont égaux, mais (il semble que cela ait été rajouté) il y en a qui le sont plus que d'autres".

Critique : 

Plus accessible que 1984 par la simplicité du style et la brièveté du récit, George Orwell nous livre une démonstration implacable, toute aussi pessimiste et efficace, qui permet une analogie facile avec la dérive progressive que connut l'URSS. Des soubresauts révolutionnaires à l'instauration de la nouvelle société, en passant par les difficultés de l'instauration du nouveau gouvernement, l'auteur reproduit des luttes de pouvoir familières, dans le cadre fictif d'une ferme qui lui permet de livrer un plaidoyer anti-totalitaire, véritable incarnation des lendemains de révolution qui font déchanter.

Il serait réducteur de limiter la portée de La ferme des animaux en un réquisitoire contre l'emprise stalinienne en URSS. Plus généralement, plus profondément, ce livre est un vibrant pamphlet dénonçant la perversion et le détournement des idéaux originaux d'une révolution, mettant en scène leur substitution progressive par des dogmes désincarnés, étiquettes vides qui s'effritent. Au fil des pages, l'auteur expose, de façon implacable, la faillite morale d'une révolution populaire, suivant un schéma, dont la répétition tenace à travers l'Histoire ne saurait le cantonner à la seule révolution russe. Il s'agit finalement d'un clairvoyant récit de politique-fiction, qui n'a de fictif que ses personnages, animaux de la ferme, figures confortablement anonymes, derrière lesquels le lecteur replace, sans peine, de lui-même, pour chacun -du Cochon Napoléon à Snowball-, des figures historiques.

Le travestissement du roman politique dans le format d'une fable, en situant l'action dans une ferme, n'entrave en rien l'efficacité de la démonstration. Au contraire, par cette déshumanisation artificielle autant qu'excessive, George Orwell confère une dimension supplémentaire à son récit. Détachée de toute référence directe à la réalité, mais s'en inspirant constamment, l'histoire se change en symbole d'un schéma de dégénérescence immuable.

La ferme des animaux, par son vase-clos, est une contre-utopie. L'auteur y condamne avec force la croyance dans la perfectibilité artificielle d'une société, dans le remodelage d'un "être nouveau", produit artificiel d'un système de pensées. En contraste avec la légèreté apparente du cadre de l'histoire, ce roman laisse un arrière-goût très amer au lecteur. Le pessimisme d'Orwell y ressort à chaque ligne, conférant à son récit un caractère inévitable, qui ne laisse guère de place à l'espoir. Les dérives stigmatisées avec une telle clarté peuvent-elles être évitées ? Si l'auteur, comme dans 1984, cherche à susciter la réaction du lecteur, il n'esquisse aucune possibilité d'alternative ; mais initie et provoque indubitablement la réflexion.


Parabole pessimiste et clairvoyante, glaçante et réfléchie, ce réquisitoire implacable qui dissèque méthodiquement les rouages de la dérive totalitaire d'une révolution mérite une lecture attentive, qui est pleine d'enseignement.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Melimelo 2 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines