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Les voies de la paix : "Er heisset Friedefürst" de Gottfried Heinrich Stölzel

Publié le 04 avril 2010 par Jeanchristophepucek

Anonyme français, XVIIIe siècle.
L’annonce aux bergers
, c.1740-1750 ?
Pierre noire, sanguine et rehauts de craie blanche
sur papier, 45 x 33,8 cm. Dijon, Musée Magnin.
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Qui connaît aujourd’hui le nom de Gottfried Heinrich Stölzel, en dehors des amateurs qui s’intéressent aux contemporains de Johann Sebastian Bach dont la stature, rendue immense par une certaine postérité, les a rejetés dans l’ombre ? Pour se donner une bonne excuse de ne pas s’y intéresser, on les affuble de l’épouvantable étiquette de « petit maître », alors qu’une étude un tant soit peu attentive des témoignages d’époque nous démontrent régulièrement la haute estime dont ils jouissaient, quelquefois supérieure, souvent au moins égale, à celle de ceux que nous considérons aujourd’hui comme des « grands ».

Maître de chapelle de la cour de Gotha de 1719 à sa mort, le 17 novembre 1749, originaire de Grünstädtel, en Saxe, où il était né le 13 janvier 1690, d’un père organiste, Gottfried Heinrich Stölzel fit ses études de théologie et de composition à l’université de Leipzig de 1707 à 1710, avant d’entreprendre un voyage d’apprentissage qui le conduisit à Breslau, Halle, Venise, Rome, Florence, Prague, Bayreuth et Gera, lui gagnant une solide réputation de compositeur au fait des dernières nouveautés musicales, notamment du fait de son séjour en Italie (1713-1715) où il côtoya, entre autres, Vivaldi. Malheureusement, de celui que Lorenz Mizler (1711-1778), fondateur, en 1738, de la Société des sciences musicales, considérait comme l’égal de Bach, une large partie de l’œuvre a été perdue ; de ses quelques 80 Ouvertures, aucune n’a survécu, ses opéras ont tous disparu, et environ un tiers seulement de ses plus de mille cantates sacrées nous est parvenu. C’est à la découverte de l’une d’entre elles que je vous convie aujourd’hui. Composée en 1732 (retenez cette date) sur un texte de Benjamin Schmolck (1672-1737), elle était destinée au dimanche de Quasimodo, le premier après Pâques, qui tient son nom de l’introït « quasi modo geniti infantes » (« comme des enfants nouveaux-nés ») de la messe chantée en ce jour précis.


Coro à 4

Er heisset Friedefürst, auf dass seine Herrschaft gross werde und des Friedens kein Ende.

« On l’appelle Prince de Paix, car son empire grandira et sa paix n’aura pas de fin. »

Dès les premières mesures, le compositeur, avec une absolue économie de moyens, réussit à baigner l’auditeur dans une musique proche de l’immobilité, dont se dégage une atmosphère de sérénité à la fois chaude et presque irréelle. Puis, tout à coup, le discours s’anime pour illustrer, avec une jubilation sobre mais tangible, le royaume en perpétuelle expansion, avant de revenir à l’atmosphère pacifiée du début. Honnêtement, connaissez-vous beaucoup de compositeurs capables, à l’époque, de dépeindre en si peu de notes et avec autant de justesse la paix ainsi que le bonheur qu’elle apporte ?

Accompagnato à 4

Die ganze Welt ist voller Krieg und Streiten ; auf allen Seiten sind Feinde, die auf uns bestellt, des Friedens Klienod uns zu rauben ; wer steht uns bei, wer stärket unsern Glauben ? Wer machet uns von den Verfolgern frei ?

« Le monde entier est plein de guerre et de combats, de tous côtés se trouvent des ennemis dont le but est de nous voler le joyau de la paix. Qui se tient à nos côtés, qui fortifie notre foi ? Qui nous libère de nos persécuteurs ? »

Mais voici que fait irruption le fracas de la guerre, dont le bloc des voix et le tranchant de l’orchestre clament l’effroi (notez la mise en valeur de « Feinde », les ennemis) avant que les lignes de chant, cette fois-ci plus ornées et un peu moins agitées, se muent en supplique.

Duetto (Soprano, Alto) & Coro à 4 

[D] Du bist in Jesu lauter Frieden, du bist auch unser Friede-Fürst.  Wir sind nicht mehr von Gott geschieden, indem Du unser Mittler wirst. [C] Lass uns auch deinen Geist nur treiben, dass wir des Friedens Kinder bleiben.

« Tu es la pure paix en Jésus, tu es aussi notre Prince de Paix. Nous ne sommes plus séparés de Dieu, auprès duquel tu es notre médiateur. Que ton esprit fleurisse en nous, pour que nous restions enfants de la Paix. »

Les terreurs sont vaincues, et c’est sur un rythme dansant que soprano, voix incarnée, et alto, voix de l’âme, affirment leur confiance envers le médiateur terrestre (le mot « Mittler » est bien mis en valeur, il s’agit probablement d’une double révérence au duc de Gotha, l’employeur de Stölzel, et au pasteur) dans un duo conçu de façon presque opératique, qui fait d’autant plus regretter que toutes les œuvres scéniques de Stölzel aient été perdues. Puis ce sont les quatre voix qui s’unissent dans un chant où se mêlent, dans un élan d’une ferveur presque effervescente, marquée par l’accélération du tempo et le changement de carrure rythmique, l’espérance et la louange, comme en témoignent, entre autres, les figuralismes épanouis sur « treiben » (fleurir).

Choral

Grüsse mich mit deinem Munde, der in deinem Worte spricht, schliess mich aus dem Friedensbunde deiner lieben Jünger nicht. Trag, du reine Taube du, mir des Friedens Ölblatt zu.

« Salue-moi par ta bouche où s’exprime ta Parole, ne m’écarte pas du cercle de paix de tes chers disciples. Apporte-moi, pure colombe, le rameau d’olivier de la Paix. »

Un choral à quatre voix et à l’unisson, d’une grande simplicité, très recueilli et lumineux, dans lequel s’exprime, avec une humilité à laquelle s’associe l’orchestre qui se contente de doubler les chanteurs, la foi de toute la communauté des croyants : c’est dans une atmosphère d’une sobriété toute luthérienne qu’après le duetto d’esprit assez italianisant qui précédait s’achève l’œuvre.

Pensez-vous toujours que Stölzel mérite l’oubli dans lequel il est encore plongé aujourd’hui ? Laissez-moi vous faire entendre un petit extrait d’une œuvre d’un autre compositeur, un « grand » aux yeux de la postérité. Nous sommes en 1741, neuf ans, donc, après la cantate dont il a été précédemment question :

Vous avez sans doute reconnu le récitatif accompagné Comfort ye, my people (« Consolez mon peuple ») par lequel commence le Messie de Haendel. Si notre époque est suffisamment aveugle pour mépriser certains compositeurs qui n’ont pas eu, pour des raisons qui m’échappent, les honneurs de la postérité, la ressemblance trop frappante pour être une coïncidence, entre ce morceau et le chœur d’introduction de la cantate de Stölzel prouve, comme l’atteste également le fait que certaines des œuvres de ce dernier aient pu être attribuées à Johann Sebastian Bach, que les contemporains avaient, eux, une conscience parfaitement claire de l’étendue du talent du maître de chapelle de la cour de Gotha.

Gottfried Heinrich STÖLZEL (1690-1745), Er heisset Friedefürst, cantate pour le dimanche de Quasimodo 1732.

Dorothee Mields, soprano. Martin Wölfel, alto. Jan Kobow, ténor. Christian Immler, basse.

Telemannisches Collegium Michaelstein.

Ludger Rémy, direction.

Cantates pour la Pentecôte (1737). 1 CD CPO 999 876-2. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Le récitatif accompagné Comfort ye, my people est interprété par le ténor Anthony Rolfe-Johnson et les English Baroque Soloists sous la direction de John Eliot Gardiner.

Georg Friedrich Haendel, Le Messie, 2 CD Philips 434 297-2. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.


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