Il s’agit d’un recueil de dix nouvelles douces-amères, d’un ton bien particulier pour moi qui n’avais encore rien lu de cette romancière canadienne. Je ne suis pas une grande adepte des nouvelles mais celles-ci ont un charme certain qui fait qu’elles ne s’oublient pas facilement ! Bien sûr, sauter si vite d’une histoire à une autre, quitter définitivement des personnages auxquels on vient à peine de s’attacher me déplaît toujours autant, mais voilà, c’est la loi du genre, il n’y a rien à faire !
Le titre: "Mort en lisière" résume bien l’ensemble de ces histoires ! Il n’est ici question que de vies fêlées, brisées, cassées à un certain moment et insidieusement sans qu’on s’en aperçoive nettement mais ensuite il est trop tard pour revenir en arrière. Le temps a passé, destructeur comme toujours! Chacun ici est resté à la lisière de sa propre vie, en dehors de ce qui aurait pu être essentiel mais qui est désormais raté, en rade, fichu, tout ce qu’on veut, mais jamais réussi ! Les rêves et les espoirs de la jeunesse rieuse, insouciante, flamboyante s’épuisent en une réalité décevante et parfois sordide.
Résumer ces petits morceaux de vie déçue ne rendrait pas justice au plaisir de ma lecture, essentiellement dû aux détails, aux à-côtés des histoires, aux impressions ressenties par les personnages secondaires. Par exemple, dans «Courrier du cœur», j’ai beaucoup aimé l’évocation de l’émoi des jeunes garçons lorsqu’ils regardent avec des jumelles le bain de mer des jeunes serveuses de leur colonie de vacances! L’une d’elles aura un enfant d’un de ces garçons mais n’avouera jamais le nom du père, même dix ans plus tard à l’occasion d’une rencontre nostalgique!
Dans «Un cadeau empoisonné», une femme se venge de son patron-amant, après leur séparation, en envoyant à sa femme une boule de poils et de dents mêlés, qui est le kyste ovarien qu’on vient de lui enlever, comme s’il s’agissait d’un enfant mort-né!
De tous ces récits, mon préféré est celui qui donne le titre au livre : «Mort en lisière»
Il s’agit là encore de vie en colonie, d’une communauté de femmes, de deux amies, Loïs et Lucie, des adolescentes qui se retrouvent là chaque année. Un jour, la colo part plusieurs jours faire du canoë sur un lac et camper en pleine nature sauvage ! Les deux amies s’éloignent du groupe, l’une s’isole un moment, l’autre entend un cri , cherche partout son amie, sans jamais plus la retrouver! S’est-elle suicidée, elle qui ne voulait pas rentrer chez elle ? Des recherches sont entreprises, en vain.! La colo ferme à tout jamais et jamais on ne retrouvera le corps de Lucie, probablement au fond du lac voisin.
On retrouve Loïs à la fin de sa vie, veuve avec de grands enfants et une collection fameuse de beaux tableaux sur les murs de son appartement où elle vit seule désormais. Tout lui semble sans importance de sa vie passée sauf le souvenir de son amie disparue dont elle sent la présence dans ses tableaux :
«Chacun doit exister quelque part, et c’est ici que se trouve Lucy. Elle est dans l’appartement de Loïs, dans les brèches qui s’ouvrent au milieu du mur, non pas comme des fenêtres mais comme des portes, plutôt. Elle est ici. Parfaitement vivante »
J’aime l’atmosphère de ces récits et j’ai maintenant très envie de lire un vrai roman de Margaret Atwood . Ce sera sans doute : «La Servante écarlate»
Mort en lisière de Margaret Atwood (Pavillons Poche, Robert Laffont, 1991/2009, 371 p)
Traduit de l’anglais (Canada) par François Dupuisgrenet-Desroussilles)Livre lu dans le cadre du Prix des Blogueurs où on trouvera d'autres liens vers des blogs qui en ont parlé aussi J'ai lu également:Cécile, Cathulu, Keisha,