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Quel amour ce Zemmour !

Publié le 06 avril 2010 par Vivreenislande @vivreenislande
Il y a 15 jours, j'ai regardé "On n'est pas couché".
D'ordinaire le préambule satyrique de Laurent Ruquier me laisse perplexe.Je ris généralement au moins autant à ses facéties qu'Eric Besson parvînt sans doute à se gausser en écoutant la chronique de Stéphane Guillon de la semaine précédente.
Difficile de rire plus.L'animateur volubile débite ses vannes au rythme lancinant des applaudissements et des encouragements soutenus et si spontanés du public. Cette alternance de clameurs joyeuses et de pitreries version tartes à la crème, n'est pas sans rappeler, dans un registre très différent il est vrai, la sérénité désopilante des plans de Keisuke Kinoshita dans "La Ballade de Narayama." A cette différence majeure près qu'à l'inverse de la vieille Orin-yan, qui finira tout de même par casser sa pipe au sommet d'une montagne, l'animateur vedette de "On n'est pas couché", restera quant à lui jusqu'à la fin. D'où le titre de l'émission.
Hier pourtant, heureuse exception, Lolo était en forme. L'actualité hebdomadaire passée l'avait sans doute inspiré. L'un des "siamois" comme il les appelle, fut sous les feux incandescents de la rampe, pour une petite phrase lâchée chez Thierry Ardisson quelques semaines plus tôt...
Laurent d'abord, prît la défense de son chroniqueur tout en prenant également soin de préciser qu'il ne partageait pas les propos qu'il avait tenu. Et dans la foulée, Eric Naulleau s'empressa de mettre en exergue le courage de son acolyte :
"Y a quand même une différence entre Guillon et Zemmour" expliqua le second "siamois", "c'est que Guillon quand il a balancé ses boules puantes, y s'tire lui, il attend pas l'invité ! Zemmour il est en face des invités"
Remarque tout à fait pertinente. A un détail près tout de même : lors de l'émission de Canal+ à l'origine de la polémique, je ne me souviens pas avoir vu  d'invités délinquants noirs ou arabes écoutant placidement Eric Zemmour faire sa désormais célèbre déclaration, si ?
Quel amour ce Zemmour !Mais c'est un détail, je le répète. Le plus souvent, Zemmour fait preuve, il est vrai, d'une rare témérité, comme en témoigne sa critique élégante et si bien argumentée de ce samedi-là, au sujet du film de la jolie Judith Godrèche.Pourquoi taquine-t-on Eric Zemmour dès qu'il ouvre la bouche ?
Le problème du petit Eric pourrait-il  se résumer au célèbre proverbe rabelaisien : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" ? Eric Zemmour me fait penser à un sale gosse capricieux, fort savant, et néanmoins autiste. Le jeune bougre est resté dans l'incapacité de traiter toute cette information qui encombre sa mémoire et émousse ses facultés d'analyse. Ne l'en blâmons pas. Le petit Eric sait beaucoup de choses, mais il peine encore à ranger ces choses dans les bonnes cases : "bien", "pas bien" ; "gentil", "méchant". Alors il dérape et passe pour un vilain petit bonhomme réactionnaire (tel qu'il se qualifie lui-même) dont les propos confinent à la xénophobie.
Prenons deux exemples.D'abord, dans la désormais fameuse émission d'Ardisson, répondant à une allusion faite au sujet des soucis judiciaires passés du Maire de Levallois Peret, le petit Eric distingue deux formes de délinquance.
"Entre le trafic de drogue et la délinquance en col blanc, il y a une petite différence", répond-il à Rokhaya Diallo.
Ha ?De cet euphémisme ironique, je comprends donc que sur l'échelle de la gravité des actes délictueux, le trafic de drogue serait bien plus monstrueux que les modestes turpitudes de nos élus républicains. Comprenons-nous la même chose ?Je m'autorise à rappeler en préambule au petit Eric que trafic de drogue et prise illégale d'intérêts sont tous deux des délits relevant du Droit Pénal et jugés devant un Tribunal correctionnel. S'il en était besoin, Patrick vous le confirmerait. En théorie et sauf erreur de ma part, les textes prévoient en outre de punir de la même façon un odieux trafiquant (art. 222-39 du Code Pénal) et un gentil maire étourdi (art. 432-12 du Code Pénal) : 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. La différence n'est par conséquent, ni grande, ni petite; au regard de la loi, il n'y en a pas.
Sur le plan éthique, je confesse avoir en revanche plus de difficultés à comparer une personne investie d'un mandat électif qui détourne l'argent public à des fins personnelles et un trafiquant anonyme qui vit de son commerce illicite, fut-il "noir ou arabe". Mais ce n'est qu'une opinion personnelle, qui relève de valeurs aussi désuètes que "honneur", "intégrité", "probité", "confiance"... Que des gros mots que ce partisan de l'assimilation n'a probablement pas intégrés.En l'occurrence, le petit Eric a donc à la fois dit une bêtise (ce qui lui ressemble si peu) et porté un jugement moral contestable.
Revenons ensuite sur l'objet de la polémique.
Quelques instants plus tard, le chroniqueur du Figaro répond à Bernard Murat qui tente d'expliquer que les contrôles répétés d'identité peuvent parfois "modifier le caractère" des personnes arrêtées. Un soupçon d'empathie permettrait à chacun de comprendre semblable sentiment. Le petit Eric a quant à lui une toute autre explication.
"Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes"objecte l'expert en statistiques.
Re-ha ?
Là, c'est un peu plus complexe.Tous les observateurs se sont focalisés sur la seconde partie de la démonstration du petit Eric. Fustigeant une assertion, qui, vraie ou fausse, fait porter la responsabilité du trafic de drogue sur une catégorie de la population.Pourtant, le lien de causalité que suggère audacieusement le petit Eric va plus loin. Car il tend surtout à prouver, non pas que la plupart des trafiquants sont des noirs et des arabes, mais que la plupart des noirs et des arabes seraient des trafiquants. Et que c'est pour cette raison qu'un contrôle accru serait légitime et justifié. Le coupable désigné n'est plus alors seulement le trafiquant noir ou arabe, mais l'ensemble des noirs et des arabes, trafiquants potentiels qu'il convient de contrôler avec une ardeur renouvelée.
Bizarrement, en adepte de l'assimilation (et non de l'intégration), le petit Eric répète aussi souvent qu'il le peut qu'il ne faut pas faire de différence entre un Français "de souche" et un Français d'origine étrangère. Il l'a répété au moins en deux occasions différentes sur le plateau de Lolo. Pourquoi faire alors une distinction quand il s'agit d'évoquer les trafiquants ? Ne seraient-ils plus Français dès lors que leurs actes sont répréhensibles ?
Voilà sans doute pourquoi la démonstration de Zemmour a pu être comparée aux thèses Frontistes. La victime auto-proclamée du maccarthisme ambiant n'est-il pas en train de faire à certains ce qu'il se refuse à subir des autres ? Est-il sain de frapper d'anathème tous les noirs et les arabes de ce pays sous prétexte que quelques uns agissent mal ? Et le contrôle systématique des arabes ou des noirs doit-il être pour cette mauvaise raison admissible ? En cela, cette petite phrase se révèle à la fois inepte et dangereuse.
Si contrairement à l'adage, l'habit fait désormais le moine, les "noirs et arabes" en question seraient bien inspirés de sous-traiter le commerce de la drogue à de bons petits blancs, de préférence issus des quartiers chics de la capitale, afin de s'éviter d'autres contrôles.
Mais le plus drôle reste que, transposée à la politique, le modèle statistique zemmourien, s'il était avéré, reviendrait à dire que la plupart des personnes condamnées pour prise illégale d'intérêt étant de fait des élus, il conviendrait tout autant de procéder à des contrôles systématiques. Je ne doute pas que le raisonnement séduise les 36 000 maires de France, les 577 députés, voire les 40 ministres de l'actuel gouvernement.
J'en conclus qu'au royaume de la médiatisation à outrance, l'exception mise en exergue devient la règle, le cas particulier surévalué se mue en banale généralité. L'amalgame est en passe d'être érigé en sport national.Cela étant dit, à l'instar de Lolo, je défendrais malgré tout le droit du petit Eric d'exprimer ce point de vue, aussi stupide soit-il. Prôner la censure, quelle qu'elle soit, conduit à cette forme de pensée autant unique que fade qui gagne le terrain médiatique, et contribue à formater le discours hypocrite de chacun comme s'il était la condition sine qua non du respect de l'autre. Laissons les raisonnements tordus se faire jour, pour mieux les contrer. Autorisons les erreurs et les errements de certains afin de les corriger.On ne soigne jamais si bien les pulsions que lorsqu'elles s'expriment. A fortiori celles des enfants en colère qui paraissent désemparés, tel le petit Eric. Comme chaque enfant intelligent qui fait des erreurs d'appréciation, celui-ci doit seulement apprendre à faire la part des choses, à se remettre en question, à réfléchir avant de parler.
En un mot : à tourner 17 fois sa langue avant de s'exprimer.
Parce que la plupart des stupidités proférées sont le fruit d'une sombre, sinon noire, ignorance
du bien et du mal.
Chronique publiée le 2 avril dans la rubrique Chroniques d'abonnés du site Le Monde.

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