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Apprentis journalistes, prenez-en de la graine !

Publié le 07 avril 2010 par Tittye

Guillaume Fautrat a 40 ans, il est journaliste cameraman à France 3 région. Il touche 3500€ par mois et a 16 ans d’expérience sur les chaînes publiques. Une situation à laquelle aspirent beaucoup d’apprentis-journalistes. Bonne nouvelle, Guillaume Fautrat n’est jamais passé par une école de journalisme. Voici enfin le parcours (tant promis) d’un SDJ (Sans Diplôme de Journalisme) pur et dur. Loin du cliché école, CDD, CDI, poste à responsabilité [pépère à donner les directives du bureau], le chemin parcouru par Guillaume Fautrat vous aidera certainement à voir les possibilités qui s’offrent à vous d’un autre œil.

Guillaume Fautrat, un journaliste qui n'accepte pas la fatalité

crédit illustration : hyokano


Au commencement, Guillaume Fautrat est étudiant en école de communication, il a 21 ans. Il doit faire un film de promotion d’entreprise dans le cadre de ses études. Mais il n’est pas vraiment motivé :

"Mettre une caméra sur mon épaule c’est pour moi synonyme de départ, de voyage, de liberté d’expression. Les films de communication n’ont rien de tout cela » (son blog)"


Des amis de ses parents lui proposent un voyage avec le Secours Populaire sponsorisé par Sanofi, l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Le futur journaliste saisit l’opportunité de faire un film sur les employés de Sanofi pour promouvoir l’entreprise et part pour la Serbie distribuer des médicaments aux réfugiés de la guerre du Kosovo. Il reviendra avec la volonté de montrer l’horreur de cette guerre à deux pas de chez nous et avec la conviction de vouloir devenir Reporter de guerre. En deuxième année, RFO Guadeloupe l’accepte en stage. Il y reste onze mois en tant qu’assistant opérateur de prise de vue, c'est-à-dire qu’il rembobine les cassettes et fixe les pieds des caméras… Avant de partir, un ami journaliste lui remet une cassette où sont enregistrés quelques reportages qu’il a tournés pour l’aider dans sa recherche d’emploi.


La débrouille


Une fois de retour en France, il n’obtient pas son BTS communication et vit de petits boulots précaires : "laver des vieux", "entretenir des piscines"… Un concours de circonstances le décide à tenter sa chance dans la capitale. Il se rend à France 2 où la porte d’entrée lui reste close. Sans se décourager, Guillaume Fautrat passe par la porte de derrière moyennant une cartouche de cigarettes avec le concierge. Il se rend directement à l’étage des plannings pour cameramen et propose ses services au rédacteur en chef. Des vidéos réalisées par son ami, 30 ans de métier, ce dernier dira qu’elles manquent un peu de maturité mais mettra tout de même l’apprenti journaliste à l’épreuve.

Pendant quatre mois, il travaillera en doublon, apprenant en accéléré le manuel d’utilisation de la caméra qu’il n’a encore jamais manipulée. "Dans ces moments là, tu donnes le meilleur de toi-même." Puis arrive sa première pige : rien de bien compliqué, son boss lui demande de rapporter des plans du bâtiment du Conseil Constitutionnel.  Drapeau, fenêtres, plan large, zoom, tout y passe, mais une fois de retour dans le bureau du patron et la vidéo en marche, seule une mouette planant au-dessus de la Seine apparaît à l’écran. Un nuage passe, la tension monte et le « à présent journaliste » pressent que ce sera là sa première et dernière journée en tant que tel. Heureusement, au bout de deux minutes, les images tant attendues se profilent sur l’écran, l’incident n’est dû qu’à un petit décalage lors du rembobinage de la cassette. 

Les piges (une pige = une journée de travail) s’accumulent, une, deux, trois journées par mois, jusqu’à atteindre les dix jours/mois, ce qui lui permet d’obtenir la carte de presse et par extension d’être inscrit officiellement sur le planning. Certains mois, il culmine à 20 jours de travail, mais les revenus sont très irréguliers. Pour décrocher une pige à 500F (environ 76€), Guillaume Fautrat explique qu’il fallait arriver très tôt, car premier arrivé, premier servi. Il vit dans un appartement parisien avec 7 colocataires, passe des mois où il ne fait qu’un repas par jour, mais malgré la difficulté, "J’ai persévéré ". Tu dois avoir la foi ".


CDI


Pendant huit ans il travaille 345 jours par an, alternant entre piges et CDD. " Les deux dernières années, j’ai pété les plombs. tu t’aperçois qu’il y en a beaucoup qui ne font rien à la rédaction." Le journaliste suspectant les titulaires (CDI) de se tourner les pouces alors que lui travaille d'arrachepied pour survivre, passe au crible les sujets diffusés sur la chaîne. Il comptabilise le nombre de sujets réalisés par chaque titulaire et les siens. Certains statutaires produisaient 3-4 sujets par mois alors que lui en faisait 40. Il pousse un coup de gueule chez sa direction chiffres à l’appui, soit on l’intègre lui aussi, soit c’est le tribunal.

La rédaction fait preuve de bonne volonté et l’embauche. 200 jours de travail par an, les congés payés et les récup’ à prendre. " Quand tu es pigiste, tu galères pour trouver où travailler, quand t’es statutaire, tu gères tes vacances : quand les prendre pour gagner trois jours de plus… ça a changé ma vie d’être intégré. " Il est correspondant de guerre (celle du Kosovo), "Tu te sens tellement vivre. J’ai jamais eu autant d’émotions, quand tu reviens t’es un peu barré. J’ai vu des milliers de morts…" raconte-t-il au sujet de cette expérience. De retour en France, il fait ce que personne ne veut faire : caméra cachée, reportage en immersion, aller dans les banlieues… "Moi, j’y prenais du plaisir".


" Une autocensure incroyable"


Cependant, le côté « grande gueule » du reporter revient au galop. Guillaume Fautrat dénonce "les sujets trop édulcorés de la chaîne". Il accuse les reportages d’être trop loin de la vérité du terrain. Les rédactions font du politiquement correct de peur d’effrayer les téléspectateurs et de déplaire aux politiques. Il explique que le rédac’ chef et les autres "grands chefs" ont leur vision des choses bien qu’ils n’aillent pas sur le terrain, et qu’ils n’en démordent pas. "Quand on prépare un reportage sur les cités à France 3 National, le rédacteur demande que l’on ramène des images de jeunes en casquette qui font wesh, wesh" confirme un jeune stagiaire.

Lors d’un reportage sur les sans-abris, le journaliste tourne l’histoire d’un SDF du bois de Boulogne qui trouve un appartement en Bretagne grâce à une association. La rédaction de France 2 adhère à 100%, d’autant plus que l’épisode des tentes du canal Saint Martin bat son plein. Pas de chance, le SDF rappelle Guillaume Fautrat pour lui annoncer que le bailleur qui devait le faire signer a changé d’avis en apprenant qu’il était sans domicile fixe. L’histoire prend une autre tournure qui plaît beaucoup moins à la rédaction. Elle refuse de passer le sujet alors que le vieil homme se reconstruit une cabane sous les arbres. «On ne peut pas, ça se finit mal et ce n’est pas politiquement correct » aurait argumenté la chaîne. Ca ne fait aucun doute pour le journaliste de France 2, "Il n’y en a pas un qui dit la vérité sur les politiques, qui les mettent face à leur responsabilité, à part concernant l’extrême-droite". Le problème selon lui, c’est qu’il y a toujours un moment où le journaliste s’appuie sur le politique, car sans carnet d’adresse de ce type, on ne fait pas carrière. De ce fait, "ils roulent pour les politiques".


De moins en moins de moyens


Guillaume Fautrat soutient qu’aujourd’hui, il n’est plus possible de partir en reportage trois semaines. Il raconte l’une des rares semaines de reportage que lui propose un collègue vers la fin de sa carrière à France 2. Une semaine pour faire un reportage sur les enfants soldats, ce n’était déjà pas assez pour s’infiltrer dans la communauté. Mais il apprend rapidement qu’en plus du sujet, il devra en tourner deux autres : un sur les conséquences du Tsunami et un sur la reconstruction. Avec deux jours de transports, il n’en reste que cinq pour tourner. Les enfants soldats seront traités avec des images d’archives. Les choix de voyage sont purement économiques, l’intérêt du sujet ne compte pas. "C’est génial de pouvoir partir, mais on ramène de la merde" se désole le reporter. Les informations internationales se font à base de dépêches AFP et les images sont celles prises par les téléphones portables des témoins. "C’est ça du journalisme ?" pointe-t-il encore.

Guillaume Fautrat pose aussi la question de la reconnaissance du JRI par ses supérieurs et aussi par les lecteurs/ téléspectateurs. Des "barons de l’info (les grands reporters de guerre) se pendent" une fois rentrés en France car "les gens s’en foutent de ce que tu as vu". Il explique que lorsqu’il écrivait des papiers sur la guerre dans le but de révéler aux Français ce qui se passait à quelques kilomètres de chez eux, il pensait que ça les ferait réagir. Cependant, de retour en France, la déception a été de se rendre compte que les gens ne s’y intéressaient pas plus que ça. « Je ne peux pas donner ma vie à la télé parce qu’elle ne te rend rien ! ».

Le journaliste finit par demander sa mutation à France 3 Poitiers, lassé des engueulades avec sa direction. Ce qui lui permet depuis trois ans de se centrer sur sa famille, tout en étant assuré d’un revenu de 3500€ par mois.


Les écoles de journalistes


"Aujourd’hui, les jeunes sont obligés de passer par les écoles de journalisme pour bosser", commente Guillaume Fautrat. Les derniers embauchés à France 2 qu’il ait rencontré venaient de Science Po et de l’ESJ. Mais il a aussi beaucoup de choses à reprocher à ces écoles qui formatent. Les nouveaux diplômés, "Ils n’ont rien fait qu’ils sont déjà arrivés. Les mecs, on leur bourre tellement le crâne qu’ils pensent déjà qu’ils ont raison sur tout".

Selon le reporter, pour vivre une passion il faut souffrir. S’il n’y a aucun effort à faire au début, alors ils n’apprendront pas comment on fait bien les choses. "Aujourd’hui, un p’tit jeune va t’expliquer le conflit Israelo-Palestinien alors qu’il y a jamais mis les pieds !". Derrière leur écran, les jeunes journalistes écrivent leurs articles à coup de dépêches des agences et de papiers des autres journaux. Un jour, le journaliste s’en est pris à un p’tit nouveau en voiture : "soit tu te tais, sois tu descends" s’est-il énervé. "Il était en train de m’expliquer mon métier !" dit-il".; Toujours selon le journaliste, ils admirent l’ancienne génération de journalistes sans être capable de faire comme eux. "Tu crois qu’un gars d’une grande école, il peut vivre à huit dans un appartement comme moi je l’ai fait ?". "Les écoles ouvrent des portes dans les rédactions mais en ferment au niveau mental".

L’autre problème des grandes écoles qu’il pointe, c’est le manque de brassage culturel. Les élèves des grandes écoles sont issus principalement de familles aisées, "quand je leur disais que je vivais en cité, je voyais le mec hyper choqué. Les  bourgeois ont peur des prolos, c’est historique assure Guillaume Fautrat. Le problème c’est qu’ils racontent des choses sur eux sans jamais aller les rencontrer". Avant, les journalistes venaient d’horizons beaucoup plus divers, ce qui assurait un traitement de l’information beaucoup plus réaliste. Aujourd’hui l’information est beaucoup moins objective et les gens s’en rendent compte. C’est de là que vient la méfiance grandissante des Français envers les médias, suppose le journaliste. Et pour terminer, il précise qu’une partie des professeurs des grandes écoles y sont justement parce qu’on ne veut pas d’eux dans les rédactions.


Conseils aux apprentis journalistes


Il n’aimerait pas être à la place des nouveaux journalistes. "On ne leur donne pas les moyens de faire bien leur boulot" dit-il. Peut-être est-ce en partie parce que leur génération en a au contraire trop profité. Ceci dit, son principal conseil est de "Ne jamais baisser les bras", conseil bien suivi par ses enfants, qui passent devant lui les mains en l’air : "Tu vois p’pa, je baisse pas les bras !". "Restez vous-même. Ce qui compte c’est ce que TU vois et ce que TU penses. Les autres (les rédac’chefs) ce qu’ils disent il ne faut pas y faire attention, juste dodeliner de la tête, surtout si le gars n’était pas sur place". "Le culot peut encore fonctionner dit-il, optimiste, il faut mettre le pied dans la porte et si ça ne suffit pas passer par la fenêtre !"


Guillaume Fautrat raconte lui-même son histoire sur http://guillaume.fautrat.over-blog.com/ pour se libérer de ce qu’il a vécu comme reporter de guerre et montrer la différence entre le terrain et les informations publiées.
Merci à lui pour m’avoir accordé plus de deux heures d’interview.


Link sur Télérama : Le club des nouveaux censeurs


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LES COMMENTAIRES (2)

Par Fabien.js
posté le 11 avril à 14:01
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Très intéressant, surtout en tant qu'étudiant journaliste. La presse papier n'est-elle pas un peu moins... rigide, que la télévision ?

Par contre le blog de M.Fautrat... disons que faut vouloir l'info. A propos, le web moyen d'expression libre ?

Par tittye- auteure de l'article-
posté le 08 avril à 17:47
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Juste pour préciser que le titre de cet article est: "Guillaume Fautrat, un journaliste qui n'accepte pas la fatalité" personnellement, je pense qu'en lisant cette interview vous pouvez voir les choses différemment, après à savoir si vous devez en prendre de la graine ou pas, c'est pas moi qui le dit et c'est à vous de voir. Moi je ne suis pas là pour juger. à bientôt

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