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Banal certes, mais il vient de Chine, et un timbre chinois a une valeur négociable dans une cour de récréation.

Publié le 09 avril 2010 par Clarabel

Chaque quinzaine, Fengfeng lui envoie tous les petits mots qu'il lui a écrits. Ce sont des miettes de sa vie qui, mises bout à bout, font une lettre. Ce soir, il la termine :

Grand-mère, aujourd'hui, on  a souhaité l'anniversaire de maman avec un énorme gâteau à la crème, et avant, on avait dîné au restaurant de papa. Et aussi, maman est allée se faire friser les cheveux, et ça lui va très bien. Tu vois qu'on s'amuse tous les trois ! Fais bien attention à ta santé ! Fengfeng

Et plus tard, dans le carnet jaune, il note, en tout petit :

Maman s'est fait faire des boucles si raides que je trouve ça affreux, et toi, grand-mère, tu détesterais aussi, j'en suis sûr ! Papa avait imaginé lui offrir une machine à faire des nouilles ! Il est pas fichu de lui faire plaisir ! Tout ça me rend triste.

Miettes_de_lettres_de_Anne_Thiollier
Arrivé depuis trois ans en France avec ses parents, Fengfeng a le mal du pays en pensant à sa grand-mère. Il lui écrit des lettres où il édulcore son quotidien, faisant passer sa nouvelle vie merveilleuse et idyllique, mais en cachette, il tient un carnet secret où il raconte la réalité : solitude, dépaysement, incompréhension, clivage culturel et générationnel. Fengfeng est un garçon obéissant, un très bon élève qui a su rattraper son niveau et égaler les meilleurs, c'est un exemple et pourtant il se sent mal dans sa peau. A l'école, il n'a pas d'amis. Il reçoit même des menaces et des insultes le traitant de chinetoque. Il n'en parle pas à ses parents, lesquels ont aussi leurs propres secrets. Sa mère travaille comme une malade sur sa machine à coudre et son père rentre tard du restaurant où il est employé et passe ses soirées à l'extérieur sans plus d'explications. La vie à Paris n'est vraiment pas rose ! Fengfeng ne veut pas faire de peine à sa grand-mère, la faisant mijoter dans sa douce illusion d'une vie en carton pâte. En vrai, Fengfeng n'a jamais quitté son quartier du XIII°, il ne connaît pas la Tour Eiffel, son quotidien est toujours englué dans un sectarisme figé et rien, absolument rien, ne laisse présager d'un lendemain meilleur.

Anne Thiollier a écrit un roman qui raconte comment on se sent dans la peau d'un jeune immigré, totalement déphasé par le choc culturel. La personnalité de Fengfeng est très attachante. Au départ, le garçon est calme, obéissant, il pose des questions mais il n'ose pas encore contester l'autorité parentale. Un peu grâce à ses rencontres, et à son amitié avec un camarade de classe, Fengfeng va comprendre le monde qui l'entoure, comprendre qu'il peut s'affirmer et faire face à la réalité sans voir son univers s'effronder, c'est un garçon intelligent et jalousé car il réussit là où d'autres échouent. Il comprendra aussi que certains connaissent un sort affligeant à cause de l'esclavagisme ou de la clandestinité, et que sa propre culture chinoise peut également briser certaines familles (pour des histoires de clans ou de mariage). Le roman se termine sur une note d'espérance et de foi en la vie qui fait plaisir à lire.

La dernière phrase : Et le bouillon pour les pâtes commence à embaumer la pièce.

Miettes de lettres ~ Anne Thiollier
Seuil jeunesse, coll. chapitre (2010) - 172 pages - 8,50€
illustration : Barroux

A partir de 11 ans.


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