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Le punk

Publié le 10 avril 2010 par Corboland78
  • - «Tu te lèves, oui ou merde?
  • - «Ouais...!»
  • - «Si tu ne te secoues pas un peu plus, comment tu veux trouver du travail? Allez grouille toi!»
  • - «Oui, m'man!»

Tous les matins c'est la même comédie, sa mère vient le sortir du lit et l'envoie chercher du boulot. Ca fait cinq mois que Patrick a été viré du supermarché où il occupait un poste de manutentionnaire. Il s'est fait prendre avec une bouteille de Chivas Regal et deux disques piqués dans le magasin. Des copains organisaient une petite fête pour la soirée et il ne voulait pas venir les mains vides. Aujourd'hui, à vingt ans, Patrick est chômeur.   

Après avoir bu son café il sort acheter le journal pour y éplucher les annonces de la rubrique « emplois », mais c'est toujours la même chose, les patrons veulent bien engager des jeunes, mais il faut qu'ils aient de l'expérience ! Jeune et expérimenté c'est antinomique, une sorte d'oxymore. Vous en connaissez des jeunes qui ont dix ou vingt ans d'expérience ? Quelle bande de cons ! Il restait l'ANPE où il passait toutes les semaines pour dire bonjour et voir s'il n'y aurait pas un job pour lui mais à chaque fois c'était la même réponse « On n'a rien pour l'instant, mais repassez la semaine prochaine ! »

Du coup, Patrick passe ses journées à glander dans le coin ou à traîner au café devant une bière qu'il fait durer et boit tiédasse. Dans le quartier il est connu comme le loup blanc. Ou bleu. Maigre et voûté on a l'impression qu'il a du mal à supporter le poids de son blouson en cuir noir. Ses rangers de l'armée alourdissent sa démarche et il erre dans les rues de la cité comme un vieil éléphant, les bras ballants. Pourtant, ce qui choquait le plus les gens au début, c'était sa coupe de cheveux. Le crâne rasé à l'exception d'une bande de cheveux au milieu, comme les Mohicans. Et de plus, ses cheveux sont teints d'un bleu électrique. Effet garanti, disait le mode d'emploi fourni avec la dose de teinture. Je te crois mon neveu ! Tout le monde s'écartait de son chemin les premiers temps, avec sa dégaine de zombie il foutait la trouille aux ménagères le cabas dans la main droite et le mioche dans la gauche. Tel Moïse traversant la mer Rouge, la foule s'écartait sur son passage, craintive et sur ses gardes, comme toujours quand elle se trouve face à quelque chose qui dépasse son entendement.

Pourtant, personne n'avait rien à craindre de Patrick, au contraire, c'est lui qui avait peur des gens et qui les évitait. En fait Patrick est un brave type, un tendre même ; ses allures de dur, c'est un masque pour affronter la réalité. Etre punk, en cette fin des années 70, c'est un moyen de se regrouper entre adolescents et de se démarquer des adultes. Chaque génération connaît ses problèmes de jeunes.

Aujourd'hui la mère de Patrick n'a pas eu à le réveiller, il s'est levé de lui-même et à l'heure. Il a un rendez-vous pour un boulot, c'est le responsable de l'antenne de l'ANPE qui l'a appelé hier soir pour lui donner l'adresse. Un poste de manutentionnaire dans un entrepôt. Patrick avale son café, enfile son cuir et dévale l'escalier de la HLM. Dans le hall crasseux, un gamin de deux ou trois ans pleure, seul avec son ours  en peluche. Le jeune homme se rend à l'arrêt du car. Une grappe de travailleurs immigrés attend déjà le véhicule. A son arrivée tout le monde s'engouffre à la queue leu leu, la carte orange à la main. Patrick achète un billet et va s'asseoir près d'un Antillais qui lit Paris Turf dans l'espoir d'un avenir meilleur. Le trajet est long, l'entrepôt se trouve de l'autre côté de la ville.

Terminus. Patrick descend et se dirige vers l'adresse notée sur une feuille de papier chiffonnée d'avoir été fourrée au fond de la poche de son jean. A côté du portail en métal grand ouvert, une petite porte avec un écriteau « Embauche ». Une dizaine d'hommes font le pied de grue devant, réchauffant leurs doigts avec leur cigarette tenue à l'intérieur de la paume. Tout est gris dans le secteur, les murs, les pardessus élimés des candidats à l'embauche, mêmes leurs gueules sont grises et mal rasées. Quand Patrick agrège la file d'attente, sa coupe de cheveux apporte une note de couleur dans le paysage terne.

Des sourires narquois visent l'Iroquoise. Mêmes les moricauds se rient du Mohican. Patrick qui a l'habitude, laisse courir, remonte la file et pousse la porte.  

  • - «Hé là! Attendez dehors, comme tout le monde!»
  • - «Heu... je viens de la part de monsieur Lambert de l'ANPE, vous n'êtes pas au courant? Je dois me présenter directement au responsable de l'embauche, on m'a dit...»
  • - «Ah! Ouais! T'es Patrick Calbart? Qu'est-ce que tu veux?»
  • - «Oui, c'est ça!Ben, j'espérais être embauché »
  • - «Tu as vu ton allure?»
  • - « Pour trimbaler des cartons et faire de la manut' je ne vois pas l'importance...»
  • - «Ecoute mon pote, ici il n'y a que des hommes, on veut pas des pingouins qu'ont les tifs bleus, alors tu te casses! T'as vu la queue dehors, on a l'embarras du choix.»
  • - «Pauvre con!»

Patrick sort en claquant la porte. Sa sortie intempestive rend espoir au groupe d'hommes qui attendent dehors. S'il n'est pas engagé, c'est que la place est encore libre. Patrick est furieux, les cons ! Quelle bande de cons ! Il n'y a pas à dire. Tout ça parce qu'il a les cheveux bleus. Merde, c'est pas vrai !? Et les roux qu'ont les tifs rouges, il ne les prend pas non plus cet abruti ? Quel monde pourri. Johnny Rotten des Sex Pistols, son groupe préféré, avait raison quand il gueulait « no future ! ». Putain ! Sa mère allait hurler quand il lui raconterait l'incident. Déjà que elle non plus, ne pouvait pas blairer ses tifs...  

Il marche sans but, revenant instinctivement vers la ville, levant les yeux il aperçoit un troquet, « Le Rallye » qu'il s'appelle. Il entre et va s'accouder au comptoir.

  • - « Un café s'il vous plaît»

Le patron le sert et retourne discuter près de la caisse avec un habitué de la maison qui attaque son premier ballon de rouge de la journée. Patrick touille le sucre dans son jus quand la porte s'ouvre à la volée laissant passer deux livreurs en boucherie.

  • - «Salut patron! Ca va?»
  • - «Et vous?»
  • - «On fait aller comme dit l'autre. Deux bières et deux saucissons beurre, vite on est pressés. «
  • - «C'est comme si c'était fait!»
  • - «Brrr! pas chaud ce matin! Dis donc Lucien t'as un drôle de client aujourd'hui»
  • - «Tenez, voici les bières et les sandwiches arrivent»
  • - «C'est quoi ce perroquetau bout du comptoir?»

Ca y est ça recommence, pense Patrick. Je suis là, tranquille, et ce con va venir me faire chier. J'en ai marre de tous ces tarés.

  • - « C'est de moi que vous parlez?»
  • - « Bah! mon gars, t'en vois d'autres des oiseaux bleus ici?»
  • - « Vous ne pouvez pas me foutre la paix, non? C'est trop demander?»

Le patron intervient mollement.

  • - «Laisse Lucien! Monsieur, ou peut-être madame, va savoir, cherche la bagarre»

Lentement le livreur en tablier blanc maculé de taches rougeâtres s'approche de Patrick, une main traînant sur le zinc. Le punk se détourne pour faire face à son adversaire. Au même instant le boucher lui allonge une mandale tonitruante en pleine tronche. Fou furieux Patrick se rue sur l'homme et l'empoigne ; les deux hommes luttent le long du comptoir, coups de genou dans les parties, coups de poing dans les côtes se succèdent. Dans la bagarre Patrick s'empare d'une bouteille sur le bar et l'abat sur la tête de son agresseur. Sous le choc la bouteille se brise et emporté par sa rage et son élan il plante le tesson qui lui reste en main dans la gorge du boucher. 

Ding !Dong !Ding !Dong ! RTL il est 16 heures, le flash info.

« Encore un drame de la violence. Ce matin dans un café de la banlieue parisienne, un loubar s'en est pris à un consommateur, une rixe a éclaté. L'homme est décédé et le « pounke » comme on dit maintenant, a été arrêté. »                     


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