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"Les pauvres n'aiment pas la formation"

Publié le 10 avril 2010 par Agirplus

« Les pauvres n’aiment pas la formation ».

Mythes et légendes en formation professionnelle (II)

Depuis 2004 le Droit individuel à la formation (DIF) aurait dû permettre à la formation professionnelle de se recomposer en France. Le DIF devait ouvrir les portes de la formation tout au long de la vie à tous ceux qui en étaient privés depuis 1971 : salariés peu qualifiés, précaires, saisonniers, intérimaires, femmes, seniors… Malheureusement depuis 6 ans l’immobilisme a succédé aux belles paroles : profitant d’une lente appropriation de ce dispositif complexe et totalement nouveau, les entreprises ont globalement refusé de le déployer. Elles n’ont, pour la plupart, pas joué le jeu de la formation tout au long de la vie, arguant du fait que le législateur les aurait dotées de la capacité souveraine de refuser le DIF (ce qui est totalement faux).

Si les entreprises ne mettent pas en œuvre le DIF dès cette année 2010, des millions de salariés non ou peu qualifiés pourraient perdre définitivement leur emploi, leur employabilité et l’espoir de rebondir dans cette crise qui n’en finit pas de remettre en question nos archaïsmes et petits arrangements sociaux.

« Les pauvres n’aiment pas apprendre » c’est le discours communément partagé dans les milieux de la formation professionnelle (entreprises, responsables formation, DRH ou organismes de formation). Leurs piètres performances passées dans le système scolaire attesteraient de leur incapacité à développer leurs compétences, leurs connaissances et à apprendre tout au long de la vie. A écouter ces notables de la formation, le DIF serait un dispositif inutile (tout comme la VAE), dispendieux (13 milliards d’€ par an selon une estimation de la Cour des comptes) et bien incapable de rattraper les écarts qui se sont creusés depuis l’enfance entre les salariés entreprenants et les autres.

Nous nous inscrivons en faux face à ce discours (destiné à conforter tous les immobilismes). En mai 2008 par exemple, une enquête conjointe de l’ANACT et de l’AFPA nous apprenait que 80 % des salariés (y compris les moins qualifiés) souhaitaient en fait se former (y compris hors temps de travail).

crédit photo : cvconnell

Quelques illustrations pour montrer que le peuple souhaite en fait se former :

- La responsable formation d’une grande usine dans l’agro-alimentaire (800 salariés) en juillet 2007 : « je vais lancer une campagne DIF (« le mois du DIF ») sur des formations en bureautique mais je suis persuadée que seules 20 ou 30 personnes vont s’inscrire et que ça ne marchera pas » .
Le bilan en septembre 2007 : « c’est incroyable, nous avons été submergés par les demandes, à tel point que nous avons dû clôturer les inscriptions et contingenter les formations. »

- Un grand bailleur social pour ses 170 gardiens d’immeubles en Ile de France : il était proposé durant le printemps 2008 un catalogue DIF avec un délai d’un mois pour répondre et un planning assez contraignant (formations durant les vacances d’été) : Résultats : 30 % d’inscrits en quelques jours et des salariés ravis qui réclament de poursuivre cet effort formation juste entamé (anglais, informatique et communication en français).

- Une grande société dans les loisirs : « nous avons lancé une offre de bureautique sur 42 h de DIF couplée à la fourniture gratuite d’un ordinateur portable (le stagiaire peut garder le portable en fin de formation s’il a été assidu et réussi ses test). En quelques heures toutes les sessions (ouvertes aux seuls personnels ouvriers) ont été remplies ».

Enfin nous terminerons par le témoignage d’une entreprise américaine de 2 500 salariés avec une véritable politique formation tout au long de la vie :
« En 2004 une commission a été chargée de construire la politique DIF de l’entreprise, en 2005 les premières formations DIF ont été lancées (avec une communication soutenue via l’intranet mais aussi des documents papier). Une équipe de 4 personnes s’occupe du DIF : une responsable et son adjointe, une attachée administrative pour le suivi des actions et une gestionnaire pour la facturation. Un comité de suivi se réunit tous les 6 mois, évaluant les actions menées et construisant le plan pour le semestre suivant. En 2005 les managers ont été formés aux entretiens professionnels, l’OPCA est régulièrement rencontré. Plus de 600 personnes sont parties en DIF en 2007, 1 000 en 2008 et 1 600 en 2009. En 2010 nous visons l’objectif de 2 000 salariés partant en DIF.

Comme l’ont démontré toutes les études et enquêtes menées depuis 2005, le DIF atteint sa cible (y compris les petites entreprises) dès lors que l’entreprise joue le jeu du développement des compétences et ouvre sincèrement les portes de la formation pour tous. Mais les quelques rares entreprises apprenantes dont nous citons le témoignage ne doivent pas cacher la forêt de toutes celles qui ont fait le pari d’un abandon du DIF et font semblant depuis 2004 de le mettre en œuvre.

Dans notre société méritocratique d’héritiers (de l’argent ou du diplôme) il ne fait pas bon avoir pris un mauvais départ. Notre pays est le champion de la première (et unique) chance : celui qui n’assimile pas très vite les objectifs de l’école publique, qui ne s’adapte pas à un système scolaire déphasé et conformiste, celui-là n’aura quasiment jamais de deuxième chance : à lui les mauvais emplois, les systèmes de formation déclassés, la précarité ou les jobs à temps partiels. Pour les gagnants de la compétition scolaire par contre l’avenir est assuré, toutes les portes de l’emploi et de la formation resteront à jamais grandes ouvertes : fonctionnariat, concours, carrières et au final une assurance emploi définitivement acquise lors des 20 premières années de vie.

Si donc nous voulons changer un tel système basé sur la défiance, le conformisme et l’injustice éducative, si nous souhaitons sortir des discours incantatoires et offrir de réelles chances de développement professionnel à tous, il faut reconstruire dans les meilleurs délais la formation des entreprises et faire au DIF toute la place qu’il mérite dans notre univers de formation tout au long de la vie.

Didier Cozin

Auteur des livres « Histoire de DIF » et « Reflex DIF »


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