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Max | Trip

Publié le 12 avril 2010 par Aragon

Gala.jpgComme lorsque l'on saigne du nez après un violent coup dessus. Je pleurais à gros bouillon, régulièrement, sans m'arrêter. Elle était au premier rang de l'église de Sainte-Marie-des-Grâces, coiffée d'une mantille blanche. Elle s'est retournée, sans doute mes reniflements - espacés pourtant - que j'essayais de produire le plus discrètement possible.

J'ai vu son visage. Le visage de Gala sans nul doute. Ses sourcils se sont arqués,  rejoints, formant presque une douce volute, elle marquait, non pas sa compassion, ni sa réprobation, mais sa toute présence inconnue à mon égard.

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Une présence froide pourtant, obligatoirement distante. Avec toute l'humanité du monde exprimée malgré tout sur ce grave visage de madone initiatrice.

J'avais fait plus de deux mille kilomètres en 4L trentenaire sur des autoroutes françaises et italiennes létales, mortifères, pour ce pauvre véhicule et son stupide chauffeur/gladiateur  égaré dans ce piège. Entré connement dans ces arènes de bitume, vrombissantes de guêpes rapides, de monstres de fer, 500 CV d'acier que je devais incessamment éviter par mon agilité, parer par mon seul bouclier. Pas de glaive, pas de trident, pas de filet dans mes mains. Au coeur, l'assurance pourtant de survivre. Il ne pourrait en être autrement.

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J'ai roulé. Après Pescara j'ai voulu voir la baie de Napoli. J'ai vu alors toute la beauté du monde et je suis ensuite remonté face à l'Est, au levant, ma bagnole piaffait comme Bucéphale, les yeux remplis de soleil. Oui, j'ai roulé trente heures sans m'arrêter.

La barrière du promontorio del Gargano m'a enfin stoppé, la journée était presque terminée. Les toits de tuiles, enfoncés dans la montagne, se confondant en elle, m'ont accueillis. San Giovanni Rotondo. J'ai cherché et trouvé de l'ombre pour Bucéphale, la lumière était toujours, malgré l'heure, crue et dure.

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C'est alors que les larmes sont sorties de moi. Non seulement des yeux, mais pratiquement par toutes les pores de ma peau.

Des larmes, oui. Des larmes qui se mélangeaient à la sueur - la crasse - de la route qui inondait également mon corps.

J'ai remonté ce chemin de pierrailles en pente, puis une vaste place, puis l'église Sainte-Marie-des-Grâces. Puis Gala de Dali, mais ça je vous l'ai déjà dit plus haut. Puis Maître Forgione.

Je suis resté quatre heures en Sa compagnie. Je lui ai dit que je venais pour ma nièce, pour pas mal d'autres  aussi. Il voulait des noms. J'ai enuméré. Il a noté. Il ne m'a pas quitté, m'a fait tout visiter dans le lieu, me disait par instant de moucher ce nez rempli de larmes. Me disait qu'il ne fallait pas me mettre dans cet état. Qu'il était tellement content de m'accueillir chez lui. Ça faisait longtemps qu'il attendait ma visite. Ses mains ne saignaient plus. Libéré de sa peau, il était à l'aise, aérien, plus que jamais disponible. Totalement présent chez lui, ici, à San Giovanni Rotondo, entre caillasses brûlantes, oliviers, humbles murs, humanité se déversant par vagues successives dans l'église de Sainte-Marie-des-Grâces. Il m'a laissé ses mains et son regard, m'a raccompagné tout naturellement, quatre heures plus tard à ma bagnole qui grésillait encore du soleil dans la fraîcheur naissante du soir.

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Bizarrement, j'ai arrêté de pleurer. Comme ça, d'un coup. Je suis reparti vers le chemin qui mène aux arènes, je les ai retrouvées comme à l'aller. A Bologna, un Actros hongrois a failli me couper en deux, à Piacenza une camionnette WW surgie derrière moi de nulle part a une vitesse stratosphérique, m'a expulsé sur la droite, alors que j'étais déjà engagé sur la voie unique balisée, induite par un kilomètre de travaux, rodéo entre les plots  de plastique blanc et rouge, sans les toucher, sans la toucher cette maudite camionnette, sans rien toucher. Mon maître Forgione tenait sans nul doute le volant avec moi.

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Puis c'est vers Oneglia que ça c'est gâté. Je roulais depuis mille bornes. J'ai entendu de la musique dans ma bagnole alors que je n'ai pas d'auto-radio et puis la route s'est alors soudainement effacée, s'est mise à gondoler, la ligne blanche s'est fracturée, laissant apparaître un vide béant.

La route, je l'ai alors chevauché d'en haut jusqu'à Ventimiglia. Je voyais sous mon capot s'ouvrir des abîmes vertigineux, d'une sidérante beauté. Je volais au-dessus des lumières de la côte. Après la Turbie, j'ai volé au-dessus de la mer, des millions de points de lumière sous moi, sous mon volant, mon seul volant. Ma voiture avait disparu, je tenais un seul volant et je voyais ma bouche s'ouvrir sur un incroyable sourire mêlé parfois d'effroi, c'était trop haut, c'était trop fort, c'était trop vrai, c'était trop beau. Il n'y avait plus de circulation. J'étais maître de ma nuit mécanique. Dans un silence total et le fourmillement de ces lumières de la ville qui m'accompagnaient sans cesser : mieux que lorsqu'en avion on survole une ville la nuit. Bien mieux, car c'était moi le pilote. Je me suis rendu compte que je descendais la vertigineuse Turbie. Je devais atterrir, sortir les freins d'intrados, le train d'atterrissage.

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Sur ce parking qui m'a accueilli, un rat au pelage doré me regardait, perché sur une poubelle. Puis, il a plongé dans le boyau d'acier puant. Je ne me suis pas endormi. J'étais là, sidéré par ce trip, sidéré par tout ce, que, consciemment, j'avais vécu.

Une autre halte sur l'autoroute vers Fréjus m'a rappelé qu'une amie vivait dans les cistes et les chênes verts, quelque part dans ces Maures athanor minéral végétal, loin de tout, près de la Chartreuse de la Verne. Elle nous a accueilli quelques heures Bucépahale et moi.

Au matin j'ai repris la route pour achever douze heures plus tard ces quatre mille quatre cent-quatre kilomètres asphaltés. Le tout en quatre jours. Pas de halte sommeil, pas d'hôtel,  pas de bouffe. Mon chat m'a traité de con en arrivant, de pas recommencer ce trip de ouf, sinon...

S'il le faut, je recommencerais. Mais je me garde bien de lui dire. Mais c'est sûr, je recommencerais.



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