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Sarkozy, Ou Quand Tout Devient Impossible

Publié le 12 avril 2010 par Sagephilippe @philippesage

Tout Devient Possible.jpgCertes, il peut s’en passer des choses et des machins dans les deux ans qui nous séparent de l’échéance, il suffit de regarder en arrière, quelques retournements de situations pour le moins spectaculaires, des hommes qu’on croyait perdus, finis, terminés et qui, patiemment, ont déjoué pronostics et vents contraires, c’est vrai ; pourtant, et à bien y regarder, il faudrait je-ne-sais-quel miracle, un imprévu, pour que l’actuel chef de l’Etat puisse en 2012 prétendre se succéder à lui-même.
Mais comment a-t-il pu gâcher à ce point cette “formidable opportunité” ? Alors que, et comme le dit très justement un ministre sous couvert d’anonymat :
On avait tout pour réussir, mais la situation est en train de nous échapper. C’est terrible, et ça me fait mal au cœur” [Le Canard Enchaîné du mercredi 7 avril 2010]
Car oui, il avait "tout pour réussir", Nicolas Sarkozy. Qu’on ait voté pour lui ou pas (ou "contre" lui, ce qui est courant lors du second tour d’une présidentielle, l’exemple le plus criant étant 2002, où le citoyen a moins voté Chirac que "contre" Jean-Marie Le Pen) il faut le reconnaître, c’est un boulevard qui s’offrait à lui et ses “collaborateurs” de l’UMP. Me souviens même que le soir de sa victoire, nous étions quelques uns à penser qu’on venait d’en prendre non pas pour cinq ans, mais pour dix ans ferme, tellement il avait écrasé la concurrence. Un vrai bulldozer. Et puis, tout comme Ségolène Royal (mais dans un autre “style”) il symbolisait quoi qu’on en dise ou pense, une possible rupture. Une nouvelle façon d’envisager la politique. Plus moderne. Plus efficace. Enfin, on tournait la page des années Chirac/Mitterrand. Bye-bye la politique des années 70, celle de papa ! On allait voir, c’qu’on allait voir ! La “démocratie irréprochable” était en marche ! Et avec elle, paraît-il, le plein-emploi. Ah tu vas voir, mon gaillard, comment je vais te le faire reluire, ton pouvoir d’achat ! De quelle manière, je vais te la rendre ta fierté ! Comment je vais te le revaloriser ton travail ! Car, entends-tu, avec moi, “tout devient possible” !
Et puis, boum, patatras ! Nada ! La cata ! Vous me direz, c’est chose courante pour un président de la République. Sauf que, dans le cas présent, celui donc de Nicolas Sarkozy, le désamour, ou plutôt la déception, immense, vient moins des réformes qu’il entreprend que de son “style”. C’est assurément cela qui le pénalise aujourd’hui et dont il aura beaucoup de mal à se défaire. Beaucoup, car il est comme ça. Vraiment.
Or donc, peu importe les réformes, qu’elles fâchent ou pas, ce qui est devenu insupportable, et qui s’est manifesté progressivement, jusqu’à gagner l’électorat de droite, c’est le “style Sarkozy”. Au début, ça passait. Sa victoire fêtée en grande pompe au Fouquet’s avec ses amis industriels de tous horizons, par exemple ! Même, son escapade maltaise à bord d’un yacht prêté par Bolloré ... Quand bien même, l’un de ses soutiens (Alain Finkielkraut) eut-il écrit dans le quotidien Le Monde que :
Pendant trois jours, il (Nicolas Sarkozy) nous a fait honte” [1].
Première fissure. Premier coup de canif. Mais Sarkozy n’en avait cure. J’ai des amis riches, et alors ? Quel mal y a-t-il à cela ?
Rien.
Enfin ... tant que tout va bien, ou pas trop mal !
Et vas-y que j’enchaîne royal et que j’te fasse des séances de jogging en t-shirt NYPD mitraillé par une armée servile de photographes ; et zou, que j’me fasse offrir de somptueuses vacances à Wolfeboro, et qu’au retour, via le parlement, j’augmente mes émoluments de 172%.
Ces quatre épisodes-là (Fouquet’s, Yacht, Wolfeboro, augmentation très substantielle de son salaire) qualifiés de “bling-bling” pèsent très lourds aujourd’hui. A vrai dire, ils lui reviennent comme un boomerang dans la face. Pas seulement parce que la crise est arrivée, et avec elle son lot d’exclus, de fin de droits et de souffrances, mais parce que d’autres faits, depuis, sont venus brouiller le discours “volontariste” et “mobilisateur” du chef de l’Etat.
Son attitude, très Tony Montana, face aux pêcheurs du Guilvinec. Cet incroyable “Casse-toi pauvre con !” au Salon de l’Agriculture 2008. Mine de rien, avec le temps, ces deux comportements lui collent à la peau. Et ce n’est pas précisément celle d’un chef d’Etat. Du moins, l’image qu’on en a ou se fait.
Mais il y eut pire encore, d’autant plus quand on s’est présenté comme le héraut d’une “démocratie irréprochable” : laisser son fils postuler à une fonction pour laquelle il n’est pas légitime, ou pas prêt. Aller même – sans jeu de mots – jusqu’à prendre sa défense ! Cette affaire dite de l’Epad a été sans doute la plus disqualifiante pour Nicolas Sarkozy. Pourtant, il avait déjà écorné cette irréprochabilité, un an plus tôt, en graciant partiellement Jean-Charles Marchiani ; mais bon, ces choses-là de la politique souterraine, des petits services entre amis, le peuple s’en fout. Malheureusement.
Je pourrais ajouter à ce tableau, ce que d’aucuns appellent “pipolisation”, d’autres “désacralisation” de la fonction (celle de président de la République).
Egalement, parce que ça compte pour son électorat, traditionnaliste, conservateur, le départ de Cécilia, puis le divorce et très vite, le mariage avec Carla, et tout ce qui s’est dit, à tort ou à raison, autour. Jusqu’à maintenant, encore.
Et enfin, Clearstream, son fameux et très déplacé “croc de boucher”, et l’appel du parquet, qui jette un doute sur sa neutralité.
Tous ces évènements qui, parfois, passaient pour détails, péripéties, anecdotes ou iconoclasteries, ont fini, avec le temps, par s’agréger, constituer une bulle, puis un solide, pour ne pas dire un boulet ; de telle sorte que l’image de Nicolas Sarkozy est plus qu’écornée. Il aura bien tenté, et plusieurs fois, de rectifier le tir. A Toulon, notamment, le 25 septembre 2008. Avec un discours fort, certes discutable, mais qui a marqué. Car aussi paradoxal que cela paraisse, cette crise, était, là encore, une “formidable opportunité” pour Nicolas Sarkozy. Il pouvait se “présidentialiser”, apparaître comme l’homme de la situation, tout comme ses six mois à la tête de l’Union Européenne pouvait faire de lui un incontournable pour les prochaines années.
Mais l’épisode - j'insiste - de l’Epad est venu tout gâcher, bien plus que la nomination de son “ami” François Pérol à la tête d’un nouveau pool bancaire et celle, croustillante et désolante à la fois, de Proglio à la tête d’EDF, quand bien même, elles finiraient aussi pas peser avec le reste et ramener à la surface, mais sous un autre jour, cette fois, moins iconoclaste, Fouquet’s, Yacht, Wolfeboro et autre Louxor.
Car enfin, recul aidant, effet boomerang, comment croire un tel homme quand il vous dit qu’il veut moraliser le capitalisme alors que manifestement, il en profite, et très largement ?
Comment croire qu’il nous entend, qu’il nous comprend, alors que, recul aidant, effet boomerang, c’est le même homme qui nous a balancé, vulgaire et méprisant : “Casse-toi, pauvre con !” ou “C'est toi qu'a dit ça ? Ben, descends un peu le dire ! Descends si t'as ... !” ?
Et ainsi de suite …
Il lui sera bien difficile de nous refaire le coup du “J’ai changé”.
Quasiment impossible de jouer sur les peurs et siphonner à nouveau les voix frontistes, tant cet électorat tu le trompes une fois, mais pas deux.
Oui, c’est bien le “style” qui a fini par le perdre et le discréditer. Et non sa politique. Et je ne parle même pas de sa relation conflictuelle avec les médias. Conflictuelle et paranoïaque.
Oh, bien sûr ses prédécesseurs, aussi, avait “un style”, mais jamais ils n’ont à ce point “désacralisé” la fonction. Jamais ils ne se sont adressés au peuple comme l’a fait Nicolas Sarkozy. Ils avaient un peu, beaucoup, plus de hauteur. Quoi qu’on dise ou pense, c’est un impératif. C’est nécessaire. Un président de la République ne doit pas parler comme le peuple, ne doit pas se conduire comme lui. Et si au début, certains purent y trouver du charme, ou je-ne-sais-quoi, comme, par exemple, ah tiens, il est comme nous, c’est une fausse bonne idée. Un chef d’Etat n’est pas comme nous. Et ce n’est pas en empruntant notre langage et nos manières, y compris les plus mauvaises, qu’il sera plus proche de nous. Au contraire ! En agissant de la sorte, Nicolas Sarkozy s’est trompé, peut-être plus qu’il nous a trompés. Il s’est trompé de rupture. Il a dû estimer que les réformes, qui de toutes les façons sont toujours douloureuses, passeraient mieux avec un style plus à l’américaine, mais là aussi, il s’est trompé d’Amérique. Et de France, par la même occasion. La France a besoin d’un homme stable, imposant et rassurant. Et de se sentir fière d’être représentée par lui. Or là, nous avons affaire tantôt à un camelot, tantôt à un bateleur, et sinon, à un fanfaron. Oui, un fanfaron, car si l’on épluche son bilan depuis 2002, mais vraiment, ne serait-ce que dans le domaine sécuritaire qui, faut-il l’en croire, est son violon d’Ingres, c’est aussi incompréhensible que calamiteux.
Et puis, quand un politique chevronné, celui qui sait comment ça se danse, un politique de la carrure d’Alain Juppé se permet d’annoncer, et par deux fois s’il vous plaît, qu’il sera candidat en 2012 si Nicolas Sarkozy renonçait à concourir, c’est un signe qui, lui, ne trompe pas. Je veux dire que l’analyse est claire. Et elle vient de son propre camp [2]. Et que oui, il faudrait je-ne-sais-quel miracle, un imprévu, pour que Nicolas Sarkozy reprenne la main, soit à nouveau le “candidat naturel” de la droite. Ça ressemble fort à “Mission Impossible”.
Ah, si nous étions au temps béni du septennat, il pourrait compter sur des législatives, qu’il perdrait, mais peu importe, elles lui auraient permis, peut-être, de se refaire. Comme Mitterrand de 1986 à 1988. C’eut été, comme il le dit si bien, une “formidable opportunité”. Seulement voilà .. Et, comme il est exclu qu’il dissolve .. Ça ne manquerait pas de panache, cela dit, ou .. de “style” ! Mais ce n’est pas celui de Nicolas Sarkozy.
De fait, tout lui devient quasiment impossible. Il n’est plus comme il le disait, lors de l'émission "Face à la Crise", le 5 février 2009 “même pas à la moitié de (son) PREMIER mandat”, il est aujourd’hui à la moitié de son probable UNIQUE mandat. Car, cet homme aimant tant la victoire, la gloire, ne prendra jamais le risque de se représenter s’il devine qu’il sera battu. Il sait trop ce que ça veut dire de quitter la scène sur un pathétique : “Au revoir !” .. Là, pour le coup, ça manquerait cruellement de .. “style” !
Ou jurerait trop avec le sien !


[1] L'état de disgrâce, par Alain Finkielkraut

LE MONDE | 10.05.07 | 14h11  •  Mis à jour le 10.05.07 | 15h09
"On ne peut pas se réclamer du général de Gaulle et se comporter comme Silvio Berlusconi. On ne peut pas en appeler à Michelet, à Péguy, à Malraux et barboter dans le mauvais goût d'une quelconque célébrité de la jet-set ou du show-biz. On ne peut pas prononcer des odes à l'Etat impartial et inaugurer son mandat en acceptant les très dispendieuses faveurs d'un magnat des affaires.

Contrairement à ce qu'il avait annoncé sur un ton grave, Nicolas Sarkozy ne s'est pas retiré du monde pour habiter la fonction présidentielle : entre le Fouquet's, Falcon et palace flottant, il a oublié qu'il venait d'être élu président de la République. Il avait peut-être ses raisons que la raison ignore. Espérons cependant qu'il s'en souviendra, une fois de retour sur le plancher des vaches, et qu'il saura, comme il l'avait promis dans des discours de très haute tenue, incarner la France. Pendant trois jours, il nous a fait honte."
[2] Hormis Juppé, notons également cette phrase intéressante du sénateur UMP, Alain Lambert :
”Il (Nicolas Sarkozy) a été choisi par les Français grâce à l'énergie formidable dont il a fait preuve et qu'il a toujours en lui-même. Et au lendemain, ils ont découvert un président différent de celui qu'ils avaient choisi."


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