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Elections régionales : décryptage sur la remontée du FN – 2/2

Publié le 13 avril 2010 par Delits

La technique du « siphonnage » de l’électorat frontiste mise en échec

Un autre élément d’analyse met en lumière le succès du FN à l’issue du second tour des élections régionales : les 17,8% obtenus dans les douze triangulaires lui assurent un score équivalent à celui mesuré dans ces mêmes régions en 2004. Certes le nombre de régions dans lesquelles siègeront des élus frontistes est en recul par rapport au précédent scrutin (et le FN est notamment absent dorénavant du conseil régional d’Ile-de-France), mais la dynamique électorale enregistrée entre les deux tours confirme le regain de forme observé le soir du premier. Après le score décevant de Jean-Marie Le Pen en 2007 (10,4% des suffrages), la déroute des législatives de 2007 (4,2%) et peu de temps après des élections européennes très moyennes (6,3% en juin 2009), le Front National signe à l’occasion de ces élections régionales son retour au premier plan de la scène politique française.

C’est évidemment la déception d’une partie de l’électorat « siphonné » en 2007 par Nicolas Sarkozy qui explique en premier lieu cette remontée du FN. De toute évidence, on observe à l’occasion de ces régionales le retour au bercail d’électeurs séduits par le discours du candidat Sarkozy lors de la campagne présidentielle. Avoir assumé d’être le leader d’une droite décomplexée, avoir proclamé sa détermination sur les thématiques sécuritaires et migratoires, avoir prôné la valeur travail et dénoncé l’assistanat ont été des stratégies payantes en 2007 mais ont aussi créé des attentes fortes aujourd’hui manifestement déçues chez une partie de l’électorat de la présidentielle. Comme le montre le tableau suivant présentant une analyse des données cantonales agrégées, c’est bien dans les zones où Jean-Marie Le Pen avait subi les plus fortes pertes en 2007 que les scores du FN aux régionales de 2010 traduisent les plus fortes progressions par rapport à la dernière élection présidentielle. Et inversement, c’est également dans ces cantons que le niveau de l’UMP est le plus en retrait par rapport aux résultats obtenus par Nicolas Sarkozy en 2007 et que l’abstention a également le plus augmenté. Une partie importante de ces électeurs frontistes séduits en 2007 sont donc retournés vers le FN soit directement au premier tour, soit au second après un passage par l’abstention.


Evolution entre 2007 et 2010 des scores FN et de l’UMP

Evolution du score de JM Le Pen entre 2002 et 2007

Rappel : score de JM Le Pen en 2007

Score FN  1er tour  2010

Evol. FN 2010 / Le Pen 2007

Rappel : score de N Sarkozy en 2007 -1er tour

Score UMP– 1er tour  2010

Evol. UMP 2010 / Sarkozy 2007

Rappel : abstention  1er tour de 2007

Abstention 1er tour de 2010

Evol. Abstention 2007/2010

Recul de 15 points ou plus

14,2 %

19,6 %

+ 5,4

37,9 %

29%

-8,9

16,3 %

58 %

+41,7

-15 à – 12 points

13,4 %

16,8 %

+ 3,4

33,8 %

26 %

-7,8

15,4 %

56,7 %

+41,3

-12 à – 9 points

10,9 %

12,7 %

+ 1,8

31,8 %

25,9 %

-5,9

15,2 %

55,5%

+40,3

-9  à – 6 points

9,6 %

9,9 %

+ 0,3

30 %

26,8 %

-3,2

14,3 %

52,7%

+38,4

-6 points ou moins

9,5 %

8,9 %

- 0,6

28,3 %

25,1 %

-3,2

13,7 %

49,9 %

+36,2

Le débat sur l’identité nationale : un révélateur de la stratégie sarkozyste

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Quant au débat sur l’identité nationale, il est régulièrement convoqué pour expliquer le regain de forme du Front National. A ce sujet, la réalité semble un peu plus complexe que ce que les analyses  mettent la plupart du temps en avant et il est difficile de se contenter de l’explication de base reprise par de nombreux commentateurs selon laquelle, ayant mis au cœur du débat public des thématiques traditionnellement portées par le Front National, ayant créé en somme un « bruit de fond » sur l’immigration et les questions identitaires, le gouvernement aurait fait le jeu de ce dernier. Cette analyse est assez réductrice : n’oublions pas qu’en 2007 le candidat Sarkozy avait procédé exactement de la même manière pour récupérer une partie de l’électorat lepéniste et que cela lui avait été grandement favorable. Que le même phénomène n’ait pas produit les mêmes effets trouve une explication dans la perception qu’ont eue les Français du débat porté par Eric Besson. Un sondage de l’Ifop réalisé à la fin novembre 2009[1] révélait ainsi que pour 72% des personnes interrogées, ce débat avait un objectif purement électoraliste : c’est bien parce qu’il est apparu aux yeux de l’opinion comme une « stratégie », comme une tentative de capter une nouvelle fois le vote Front National, qu’il a rapidement été démonétisé et qu’il a fini par produire l’effet inverse de celui recherché. En particulier, il a donné au Front National une tribune sans précédent pour critiquer l’action de Nicolas Sarkozy en matière d’immigration et d’identité nationale et engager la discussion sur le bilan du gouvernement en la matière. Une enquête réalisée par l’Ifop en décembre 2009[2] a ainsi montré que le niveau de confiance des Français, et particulièrement des sympathisants du Front National, en la capacité du gouvernement à intégrer les personnes issues de l’immigration, n’avait jamais été aussi bas depuis l’élection de Nicolas Sarkozy (respectivement 34% et 30% lui faisaient confiance). De la même façon, l’insistance de l’UMP sur le problème de l’insécurité entre les deux tours des élections régionales a produit des effets similaires : loin de mobiliser l’électorat en faveur de la majorité présidentielle, cette initiative semble avoir elle aussi été perçue par l’électorat comme une opération de communication et a contribué à faire basculer une partie des abstentionnistes vers le vote FN au second tour. On peut également penser que la posture de déni des résultats des élections par les ténors de l’UMP au soir du premier tour a été perçue par ces électeurs comme une non prise en compte du message adressé, d’où une amplification du vote FN au second tour.

On relèvera enfin pour expliquer la remontée du Front National que la campagne portée par Marine Le Pen au niveau du Nord-Pas-de-Calais, mais aussi au plan national, a mis l’accent sur des thématiques nouvelles pour le Front National, susceptibles d’attirer un électorat élargi ou de rassembler les déçus du sarkozysme. Effets de la mondialisation sur l’emploi et le pouvoir d’achat, délocalisation des activités, aggravation des inégalités, menaces contre la laïcité, décalage entre les élites et le peuple ont été autant de sujets investis par celle qui aspire à prendre la tête du parti. La vice-présidente du FN a aussi beaucoup insisté sur ce qu’elle considère comme une collusion entre l’UMP et le PS dans la gestion des régions, souhaitant que son parti incarne aux yeux de l’opinion la véritable opposition aux pouvoirs en place. Anticipant la prochaine campagne présidentielle de 2012, elle travaille ainsi manifestement à faire du vote FN un vote d’adhésion et de confiance et non plus seulement un vote protestataire. D’une manière plus générale, et il s’agit là d’un élément très important dans l’explication de la dynamique retrouvée du FN en dépit du score élevé observé en PACA, c’est désormais Marine Le Pen qui incarne le parti[3], plus que son père. La séquence électorale des européennes et des municipales partielles à Hénin-Beaumont en juin 2009 puis l’affaire Frédéric Mitterrand à l’automne dernier ont constitué des étapes importantes pour la visibilité et la crédibilité de la vice-présidente du FN. Un passage de relais symbolique semble s’être ainsi d’ores et déjà effectué entre elle et son père, donnant du mouvement une image plus moderne, plus dynamique et moins extrémiste.

Pour 2012, la reconquête de l’électorat frontiste par Nicolas Sarkozy sera difficile. On peut en effet penser qu’il parviendra difficilement à réutiliser au sein de l’électorat populaire les leviers de 2007 : le débat sur l’identité nationale et la réactivation de la thématique sécuritaire entre les deux tours des régionales prouvent que cette stratégie n’est plus payante. Miser ainsi sur un « retour aux fondamentaux » tel qu’on semble l’envisager actuellement à l’Elysée pourrait s’avérer peu productif, même si une part non négligeable des électeurs de droite sont toujours prêts à troquer la radicalité du discours contre un début de mise en application concrète de mesures, notamment sur la sécurité et l’immigration. Plus que sur le discours, c’est désormais sur les résultats que Nicolas Sarkozy sera jugé lors de la prochaine élection présidentielle.

Par Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département opinion de l’Ifop, et
Damien Philippot, directeur de clientèle au département opinion de l’Ifop


[1] Sondage Ifop réalisé pour Le Journal du Dimanche, les 26 et 27 novembre 2009 auprès d’un échantillon national de 955 personnes, représentatif de l’ensemble de la population française âgée de 18 ans et plus.

[2] Sondage Ifop réalisé pour Dimanche Ouest France, les 17 et 18 décembre 2009 auprès d’un échantillon national de 974 personnes, représentatif de l’ensemble de la population française âgée de 18 ans et plus.

[3] Cf sondage TNS-Sofres réalisé pour Le Monde et France 2 (A vous de juger), les 4 et 5 janvier 2010 auprès d’un échantillon national de 1000 personnes, représentatif de l’ensemble de la population française âgée de 18 ans et plus.


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