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Le Roi David

Publié le 13 avril 2010 par Porky

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Si vous avez la chance que cet oratorio de Honegger soit joué près de chez vous, surtout courez réserver vos places : il est tellement rarement monté qu'il ne faut pas manquer l'occasion d'écouter cette œuvre quasi inconnue du grand public et qui vaut pourtant son pesant d'or. 

Le Roi David est le résultat d'un très heureux concours de circonstances ; on a même dit de cette œuvre qu'elle était née sous une bonne étoile, car elle vint au moment propice dans la carrière de son créateur.

A l'origine, cet oratorio était destiné à la scène. S'il fut créé le 11 juin (jour de ma naissance, dites donc !) 1921 (mais l'année n'est pas la même, heureusement !), il faut cependant remonter en 1908 pour comprendre comment et pourquoi cet ouvrage vit le jour.

En 1908, donc, le poète vaudois René Morax crée un théâtre populaire en pleine campagne, à quelques kilomètres de Lausanne. Il y fait représenter diverses pièces de sa façon, d'inspiration populaire ou légendaire, voire patriotique, dont la musique était l'œuvre de compositeurs de la région, Alexandre Dénéréaz par exemple. Ces spectacles obtinrent un très vif succès auprès du public romand et durèrent jusqu'en 1914, date à laquelle la première guerre mondiale mit fin à toutes ces activités.

Trois ans après la fin de la guerre, soit en 1921, René Morax envisage la réouverture du théâtre. Il écrit pour cela un drame biblique racontant la vie de David qui, de petit berger devient roi d'Israël. Mais qui allait composer la musique ? Pressenti, Gustave Doret se récuse : le délai est trop court. On sollicite Jean Dupérier, musicien genevois, qui refuse à son tour ; René Morax consulte alors Ernest Ansermet, jeune chef du jeune Orchestre de la Suisse Romande, nouvellement fondé. La réponse d'Ansermet est nette et sans hésitation : seul Arthur Honegger est capable d'une part de tenir le délai, d'autre part, de composer une merveilleuse partition. Mais si Honegger est Suisse, il vit à Paris et il n'est encore pas très connu dans la patrie de ses aïeux. Aussi, Morax et son frère prennent-ils un autre avis : celui d'Igor Stravinsky. La réponse de Stravinsky est la même que celle d'Ansermet.  Quelques jours plus tard, Honegger reçoit une lettre de Morax lui demandant une partition dans les délais les plus courts. On est en février et la création est prévue le 11 juin de la même année ! Honegger accepte, avec un plaisir non dissimulé, mais sans, il l'avouera lui-même, réaliser l'importance du travail qui l'attend.

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Honegger a vingt-neuf ans lorsque lui est proposé de composer la musique du Roi David. S'il est d'origine protestante et alémanique, il est cependant pétri de culture française, étant né en France et ayant passé toute sa jeune existence dans ce pays. Sa double formation musicale le situe au carrefour de deux cultures : germanique (sa famille est originaire de Zürich) et latine : avant d'étudier au Conservatoire de Paris sous la direction de Vincent d'Indy, il fut pendant plusieurs années élève de Friedrich Hegar, ami de Brahms, à Zürich. Il voue un véritable culte à Bach et Beethoven ; Paris va lui permettre de découvrir Debussy et Fauré qu'il admire profondément. Dans le même temps, il fait la connaissance de Darius Milhaud et d'Erik Satie. Que du beau monde ! Et l'année 1920 verra la création du fameux « groupe des six » comprenant, outre Honegger, Milhaud, Cocteau, Germaine Taillefer, Francis Poulenc, Louis Durey. Ce groupe, dont les membres étaient bien davantage liés par une très solide amitié que par une communauté de vue artistique, ne dura guère plus de deux ans.

En 1921, la réputation d'Arthur Honegger est déjà assez solide dans les milieux musicaux parisiens. Lorsque lui parvient la commande de Morax, il est en train de composer une symphonie mimée Horace Victorieux. Il met aussitôt de côté cet ouvrage et s'attaque avec enthousiasme à la composition du Roi David. Il faut cependant préciser, pour bien comprendre à quel point Honegger était peut-être à l'époque le seul musicien capable d'écrire une partition pour un tel sujet, que déjà enfant, il se sentait attiré par les grandes oeuvres religieuses : à seize ans, n'avait-il pas rédigé un Oratorio du Calvaire ? Bach était nettement plus proche et familier au protestant qu'il était qu'à ses amis catholiques.

D'emblée, Honegger est confronté à de redoutables problèmes dans la composition, ceux-là même qui avaient fait fuir les musiciens pressentis avant lui. En cinq mois environ, il fallait composer la musique de 27 numéros bien distincts, très brefs pour la plupart ; le danger qui l'attendait était bien évidemment le morcellement. Et il ne lui était pas possible de se relire, de prendre le recul nécessaire pour rectifier tel ou tel passage puisque les morceaux à peine achevés devaient partir pour la Suisse afin d'y être mis en répétition. Comment résoudre ce problème du « disparate » ? Comment concilier un langage fort moderne, donc exigent, avec les problèmes  posés par une chorale d'amateurs et un ensemble instrumental qui n'avait peut-être rien de professionnel ?

Honegger demande conseil à Stravinsky, lequel lui répond de faire comme si lui, Honegger, avait voulu cet ensemble et de composer pour cent chanteurs et dix-sept instrumentistes, nombres imposés par Morax. De cette réponse, Honegger tirera une leçon : « ne jamais considérer les données comme une tâche imposée, mais au contraire comme une tâche personnelle, comme une nécessité intérieure. »

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Et il se met au travail. Le 25 février 1921, il attaque la partition. En deux mois, tout est terminé. Les répétitions commencent. Pour les choristes, tous amateurs, gens simples du pays de Vaux, cette musique est si nouvelle, si différente de celle qu'ils ont l'habitude de chanter qu'ils sont d'abord désorientés ; puis l'enthousiasme prend le dessus. Le soir du 11 juin 1921, Le Roi David reçoit un accueil triomphal. Les articles fleurissent dans les journaux Suisses, révélant enfin outre Jura le talent de Honegger. Même le critique le plus redouté du journal genevois, La Suisse, admet que si l'interprétation, approximative et imparfaite avait parfois frôlé la catastrophe, la partition, elle, est remarquable, "presque toujours marquée d'un lyrisme personnel et ardent" ; il loue énergiquement les beautés de cette œuvre, exalte la grandeur monumentale de la Danse devant l'Arche, de l'apothéose finale, la prodigieuse intensité de l'incantation de la pythonisse. Les dix représentations qui suivirent obtinrent le même succès.

Mais, comme on l'a dit plus haut, Le Roi David était conçu pour la scène. Son passage en version concert demande un sérieux travail d'adaptation. Pendant tout l'été 1923, Honegger révise la partition : il amplifie l'orchestration pour grande formation symphonique. C'est Winterthur qui a la primeur de la nouvelle version en décembre 1923. Paris découvre Le Roi David en mars 1924. Et pendant un quart de siècle, c'est cette deuxième version qui sera représentée, au détriment de la version originale.

Mais qu'en est-il aujourd'hui du Roi David ? Et bien, à ma connaissance, ce n'est certes pas l'œuvre de Honegger la plus jouée ; son autre célèbre oratorio, Jeanne au bûcher, composé bien plus tard, lui ravira la vedette, bien que, lui aussi, soit assez peu monté. Mais de tous les ouvrages de Honegger, ce sont ces deux oratorios que la postérité semble avoir retenu. Avec peut-être un peu de mal...

Photos : Affiche pour la création du Roi David ; le "groupe des six" : Milhaud, Cocteau, Honegger, G. Taillefer, Poulenc et Louis Durey ; Honegger à son bureau.

ARGUMENT (si l'on peut dire) :

L'œuvre est divisée en trois parties ; elle comprend deux rôles parlés, dévolus le premier à un Récitant, le second à une actrice chargée du rôle de la pythonisse ; quatre solistes, une soprano, une alto, un ténor et un soliste enfant pour le rôle de David enfant ; un chœur très important.

PREMIERE PARTIE : David, berger, chef et conducteur d'armée. Numéros 1 à 14

1 - Introduction ; 2 - Cantique du berger David ; 3 - Psaume ; 3 bis - Fanfare ; 4 - Chant de victoire ;  5 -Cortège ; 6 - Psaume ; 7 - Psaume ; 8 - Cantique des prophètes ; 9 - Psaume ; 10 - Le camp de Saul ; 11 - Psaume ; 12- Incantation de la pythonisse ; 13 - Marche des Philistins ; 14 - Lamentations de Guilboa.

DEUXIEME PARTIE : David Roi. Numéro 15 et 16.

15 - Cantique de fête ; 16 - La danse devant l'Arche.

TROISIEME PÄRTIE : David, Roi et Prophète. Numéros 17 à 27.

17 - Cantique ; 18 - Chant de la servante ; 19 - Psaume de pénitence ; 20 - Psaume ; 21 - Psaume ; 22 - La chanson d'Ephraïm ; 23 - Marche des Hébreux ; 24 - Psaume ; 25 - Psaume ; 26 - Couronnement de Salomon ; 27 - La mort de David.

VIDEO 1 : Première partie, extrait, le début.

VIDEO 2 : Troisième partie, finale.


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