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La candidature fromage-qui-pue

Publié le 13 avril 2010 par Variae

La sortie de Jean-Luc Mélenchon contre l’apprenti-journaliste de Sciences Po m’avait laissé perplexe. On sait le président du Parti de Gauche adepte du franc-parler. On le sait également prompt à fustiger la pensée unique et ceux qu’il identifie comme ses nervis – Arlette Chabot en avait fait l’expérience lors d’un piteux débat pour les européennes 2009. Mais chacun conviendra qu’entre ces saillies régulières (qui faisaient déjà de JLM un « bon client » audiovisuel chez Thierry Ardisson il y a quelques années), et la diatribe anti-journalistique aboyée sur la petite cervelle de l’école de journalisme de Sciences Po, il y a une différence de degré qui devient presque une différence de nature. Et puis il y a le fond. Certes, la mise en avant par un grand quotidien des problèmes de la prostitution peut sembler dérisoire, voire franchement cynique, au lendemain du choc démocratique silencieux qu’a été cette élection à 50% d’abstention que furent les dernières régionales. Mais quand même. Un intellectuel de gauche, philosophe de surcroît, peut-il être myope au point de dénoncer violemment prostitution et maisons closes comme un non-sujet, alors qu’elles touchent à toute une série de questions fondamentales pour notre société – propriété du corps humain, sexualité, précarité au travail ? Un homme de gauche peut-il assimiler grossièrement le problème des conditions de vie des prostituées à une frivole histoire de bagatelle, au point de renvoyer son interlocuteur à la « dignité » et à la « gravité » qui sont les vertus de la politique, et qui interdiraient donc d’en parler ?

La candidature fromage-qui-pue

Perplexité, donc. Mais une certitude, dès le début de ce buzz post-électoral : le coup était, si ce n’est prémédité, volontaire, quoi que puisse en dire le député européen. Trop malin et trop au fait du fonctionnement d’Internet pour croire que des insultes lâchées face à une caméra allaient rester à dormir sagement sur un disque dur. Alors dans quel but ? Créer un clash médiatique pour révéler, justement, les défauts actuels des médias ? Comme une sorte de suite au « lapin » de Vincent Peillon à Arlette Chabot (encore elle !) ?

Le parallèle est intéressant, d’autant plus que les deux responsables politiques ont en commun leur profession initiale de professeur de philosophie. Or on sait les philosophes prompts à utiliser le scandale pour briser les fausses évidences du quotidien. La tradition en a gardé certains exemples frappants, comme Diogène poussant à la réflexion ses contemporains par ses mœurs scandaleuses, ou Socrate et son art du questionnement. Mais il y a une différence de taille entre le député européen socialiste, qui par une action inattendue ébranle la machine médiatique bien huilée, et l’initiateur du Front de Gauche, qui certes s’abandonne à l’outrance verbale au-delà de la bienséance, mais se plie se faisant au moule ambiant. Si l’absence de Peillon (d)étonne, la sur-présence d’un Mélenchon vociférant, puis acceptant l’invitation à débattre de la plus grande école de journalistes française – pour aller agresser des professionnels ravis de cette séance de masochisme collectif – s’insère parfaitement dans une mécanique qui intègre goulûment ses trublions attitrés. La logique du bon client, toujours … Et quoi de mieux que donner la parole à un dénonciateur des médias pour prouver que les médias, justement, acceptent leur dénonciation ?

Jean-Luc Mélenchon, qui reprend grossièrement les critiques de la presse portées avant lui par Bourdieu et ses proches, est fort probablement conscient de tout cela. Conscient que son déchaînement verbal contre quelques victimes journalistiques expiatoires ne changera rien aux règles d’ensemble de la profession. Alors quel est son but ? Exister médiatiquement ?

C’est l’élu essonnien lui-même qui donne la clé de son comportement. Dans un entretien-déclaration de candidature accordé lundi à Libération, il définit ainsi son positionnement : « Dans la crise, c’est l’heure des personnes qui ont du caractère, pas des fromages pasteurisés ou des poissons lyophilisés ». Traduction : avec Jean-Luc, ça va sentir fort, ça va frétiller de la queue ! Pour reprendre l’expression popularisée par les Guignols : ça va faire dans le fromage-qui-pue. Ou une tradition bien française de gouaille, de populisme, d’agitation forte-en-gueule qui regarde plus vers les zincs (fantasmés) des bars PMU que du côté de Saint Germain et de « l’establishment ». Jouer le franc-parleur, l’anti-système, le résistant, le proche des gens, descendant direct de Gavroche sur sa barricade et d’Astérix en son village : d’autres l’ont tenté, Bernard Tapie dans une veine entrepreneuriale et self-made-man, ou José Bové à la sauce altermondialiste, pipe au bec. Crise oblige, le millésime 2012 façon Jean-Luc donnera dans la nostalgie Front Pop’ et aura les yeux de Chimène pour Chavez. En somme, un « Nanard sévèrement burné » made in ceinture rouge. On peut déjà prévoir d’autres épisodes semblables à celui de la caméra étudiante, qui seront autant de façons de renvoyer ses concurrents socialistes et écologistes à leur ornière « sociale-libérale », sage et fade, et autant d’occasions de dénoncer leur amour du status quo. Que cela soit vrai ou faux, peu importe : les idées crient beaucoup moins fort que les images.

Cette posture comporte son lot de risques. Comme de confondre « populaire » et « populiste », par exemple en balayant avec mépris tout ce qui est à la marge, comme la prostitution. Ou encore en assimilant une profession – le journalisme – ceux qui l’embrassent, ses donneurs d’ordre et les conditions économiques et sociales de son exercice, dans une même diatribe incendiaire. Certes, en plus petit comité au CFJ, Mélenchon a semble-t-il reconnu que les journalistes étaient plus victimes de leur contexte de travail que vendus à un « système » manipulateur et vicieux. Mais que restera-t-il dans l’opinion et dans l’espace public, si ce n’est les imprécations et la dénonciation globale ? Le blog du député européen est un bon résumé de cette impasse, avec des billets plus nuancés que leurs titres racoleurs.

L’invention d’une gauche de rupture et qui renoue avec « le peuple » est un vrai sujet, trop sérieux pour servir de créneau caricatural dans la course à l’échalote présidentielle.

Romain Pigenel


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