Magazine Politique

Retraites : le faux débat sur l’âge légal à 60 ans

Publié le 15 avril 2010 par Blanchemanche
Par Mathieu Magnaudeix
Article publié le mardi 13 avril 2010
Mediapart le journal
Comme si c’était déjà plié. A en croire Les Echos , la religion du gouvernement est déjà faite. Titre du journal économique du lundi 12 avril : «L’Elysée veut préparer les esprits, d’ici juin, au relèvement de l’âge légal de départ.» Alors que la «concertation» sur les retraites a juste débuté, ce lundi, l’exécutif souhaite augmenter «à 62 ou 63 ans» l’âge auquel il est possible de faire valoir ses droits à la retraite, que l’on ait ou non validé tous ses trimestres. Il est fixé à 60 ans depuis 1983.
Le Medef est depuis longtemps favorable à «sortir de ce tabou symbolique» , rappelait dimanche Laurence Parisot sur RTL. Selon le patronat, cette mesure serait la plus efficace pour «équilibrer les régimes». Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a calculé qu’un report à 62 ans en 2016 réduirait le déficit de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse de 6,6 milliards d’euros par an. Cela ne réduirait pas tous les besoins de financements futurs, mais tout de même presque le déficit de 2009 (7 milliards).
La CNAV estime que cette solution serait financièrement plus intéressante à court terme qu’un allongement de la durée de cotisation nécessaire, déjà relevée et fixée à 41 ans en 2012.
D’après Les Echos , le gouvernement s’est fixé deux objectifs :
1) faire une réforme simple et «lisible» ; 2) donner des gages à l’extérieur, le relèvement de l’âge légal étant «le mieux compris à l’étranger, un argument de poids alors que la France veut donner un signal fort sur ses finances publiques en réformant les retraites».
Problème : aborder le débat en mettant en avant l’augmentation de l’âge légal de départ revient à aborder l’affaire par le petit, le tout petit bout de la lorgnette : avec une calculette comme seule boussole, et tant pis si la question est bien plus complexe.
Hormis la CGC (qui y met du reste des conditions drastiques), les syndicats, ils l’ont encore répété ce lundi, sont contre un relèvement de l’âge légal. A coup sûr, ils en feront le sujet numéro un des cortèges du 1er mai.
Sous-emploi des seniors : un «problème majeur» selon l’OCDE La barrière des 60 ans n’est rien d’autre que l’âge auquel il est possible de faire valoir ses droits à la retraite, même s’il manque des trimestres de cotisation. C’est un droit, pas la garantie d’une retraite complète (c’est à 65 ans).
Dans le privé, les salariés partent à la retraite plus tard (61,5 ans en moyenne). Mais ils quittent réellement le marché du travail plus tôt : 58,7 ans pour les hommes et 59,5 ans pour les femmes, selon l’OCDE. Entre les deux ? Beaucoup sont au chômage, en inactivité, sans ressources, en invalidité, dans des dispositifs transitoires...
Dans le mensuel Alternatives économiques , l’économiste Thomas Piketty résume : «Repousser l’âge légal de départ à la retraite à taux plein au-delà de 60 ans, dans le contexte actuel, c’est d’abord un moyen de récupérer très vite un ou deux milliards sur le dos des plus fragiles. Plus de la moitié des personnes, à l’heure de valider leurs droits à la retraite, sont aujourd’hui hors l’emploi. [...] C’est injuste socialement et ça ne règle rien.»
En réalité, le sujet qui mériterait débat est moins l’âge légal de départ à la retraite que l’emploi des 55-64 ans, très faible en France (39%). Un «problème majeur» , selon Martine Durand, directrice de la statistique à l’OCDE, qui explique la «difficulté à réformer les retraites en France» .
«Tant que l’âge légal et l’emploi des seniors ne seront pas considérés ensemble, le problème restera entier» , déclarait-elle ce lundi devant l’Association des journalistes de l’association sociale. En cause, une sorte de consensus national dont les seniors sont les victimes.
Restructurations où ils font systématiquement partie des charrettes, préretraites d’entreprises... «Entreprises et syndicats sont d’accord pour faire partir les seniors parce que les conditions de travail pour eux ne sont pas bonnes et l’on ne souhaite plus travailler après un certain âge» , poursuit Martine Durand.
En 2008, une étude de la Cnav le montrait bien : la majorité de ceux qui décidaient de faire valoir leur droit à la retraite justifiaient leur décision par la «dégradation de leur condition de travail, la détérioration du climat professionnel (manque de recon-naissance et de considération, perte d’une ambiance sereine et conviviale engendrée par la course à la rentabilité et aux performances...) et de la pénibilité physique mais également psychologique du travail (stress, lassitude envers les tâches effectuées...)».
Les entreprises de plus de 50 salariés avaient jusqu’au 1er avril 2010 pour signer des plans favorisant l’emploi des seniors, sous peine de sanction financière. Mais rien ne dit qu’ils seront efficients, ou que certaines ne les ont pas bouclés à la hâte pour échapper aux pénalités. Et rien n’est prévu dans les autres entreprises... qui emploient un salarié sur deux !
Repousser l’âge légal : tout sauf une solution miracle
Depuis plusieurs semaines, le gouvernement esquisse l’argumentaire qui sera développé au cours des prochains mois pour justifier la hausse de l’âge légal. Avec des arguments massues, tirés des statistiques, qui à première vue semblent imparables (car extrêmement simples) dans la bataille médiatique qui s’annonce.
1. L’âge légal en France est plus bas que partout ailleurs en Europe. C’est vrai. La France est le seul pays de l’UE à 27 où l’on peut partir dès 60 ans. Dans quinze pays (Allemagne, Belgique, Espagne, Pays-Bas), il est de 65 ans ou plus.
2. Les Français sont ceux qui passent le plus de temps de leur vie à la retraite. Vrai, là encore : 24,5 ans pour les hommes et 28 ans pour les femmes ! C’est respectivement 18,3 ans et 23 ans en moyenne dans les 30 pays industrialisés de l’OCDE.
«C’est très bien pour les Français, mais cela pose le problème du financement» , soutient Monika Queisser, experte de l’OCDE.
Pour rappel, le gouvernement ne veut pas augmenter les prélèvements. Tout au plus Nicolas Sarkozy a-t-il évoqué une taxe qui pèserait sur «une catégorie de population» , encore imprécise.
3. Sans parler d’âge légal, la barrière des 60 ans comme horizon de la retraite n’a plus de sens. Presque une tautologie : la durée de cotisation nécessaire pour une retraite à taux plein sera de 41 ans en 2012, en relation avec l’allongement de l’espérance de vie. Pour ceux qui entrent aujourd’hui sur le marché du travail après plusieurs années d’études, la retraite autour de 60 ans a donc quelque chose de déjà délicieusement suranné...
Mais en insistant sur ces faits statistiques, on risque d’occulter d’autres réalités, tout aussi cruciales.
1. La comparaison entre pays n’a pas beaucoup de sens. «L’âge de départ minimal n’est pas la variable clef dans un système de retraite , explique dans Le Monde Philippe Askenazy, directeur de recherches au CNRS. Ce sont surtout le nombre d’années de cotisation, le rendement de ces dernières, les mécanismes de surcotes et sous-cotes, et les efforts des entreprises pour conserver les plus de 55 ans dans leurs effectifs, qui jouent sur l’équilibre du système et font office d’incitations à poursuivre une activité au-delà de 60 ans. Un Japonais touche ainsi 70% de sa pension de régime de base à 60 ans, mais 140% s’il part à 70 ans.»
2. Une augmentation de l’âge légal n’aurait aucun sens sans une prise en compte de la pénibilité du travail , question qui ne sera sans doute pas réglée en juin...
3. Si repousser l’âge légal est sans doute une condition nécessaire pour augmenter l’âge de départ effectif (et donc, in fine, améliorer mécaniquement les ressources financières du système de retraites), c’est loin d’être une solution-miracle.
Reculer l’âge légal de départ permet de reculer l’âge de départ effectif, comme l’ont montré en 2006 plusieurs économistes dans un rapport du Conseil d’analyse économique. «Quand l’âge légal est très bas, il s’agit de toute évidence d’une marque psychologique» , estime Monika Queisser : les salariés anticipent leur départ, les entreprises investissent moins sur leurs seniors.
Mais le lien n’est pas mécanique. Relever l’âge légal ne suffit pas.
L’exemple de la Finlande est à ce titre édifiant : le gouvernement a réussi à augmenter le taux d’emploi des 55-64 ans de 11% en quinze ans, et à augmenter l’âge médian de sortie du marché du travail. Comment ? Au prix d’une «politique de l’emploi ciblée sur les plus de 45 ans, avec un gros investissement public pour combler leurs déficits de formation, y compris les non-diplômés et dans les PME» , explique la sociologue de l’EHESS, Anne-Marie Guillemard, sur le site de la Vie des Idées.
Conclusion : la formation tout au long de la vie, la place faite aux salariés les moins jeunes, le sens même du travail, sont des facteurs aussi importants à prendre en compte pour mener une réforme équitable des retraites.
Voilà des sujets qui ne se règlent pas par des slogans, mais par de longues discussions entre partenaires sociaux, de plusieurs années parfois comme ce fut le cas dans les pays scandinaves. Une négociation de longue haleine dont la France semble, malheureusement, tout à fait incapable.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Blanchemanche 29324 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines