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Ma femme est stupide

Par Daddysoon

Ce titre n’est que pur provocation. Daddy Soon s’apprête à nourrir trois bouches donc, à défaut de faire les gros titres, il gonfle le sien.
Il est 9 h 45 quand j’estime avoir tout préparé pour son arrivée à la cuisine. 9 h 46, alors que son pain se dore verticalement la mie des deux côtés, Mamy Soon réorganise sans m’en vouloir les pièces de son petit-déjeuner comme Kasparov n’a jamais pu le faire sur son échiquier. Le couteau doit s’assurer un espace suffisant afin qu’il puisse ramper le long de l’assiette. Sans heurter la tasse. Deux sucres dans le café. Pas trop chaud le lait. «Elle est où la cuillère?» Le journal du jour épouse géométriquement le bord de la table pour qu’il ne fasse qu’effleurer le beurrier une fois déployé. Pas question de lire de biais. Au fil des nouvelles, seule la numérotation des pages échappe à sa vigilance. Elle digère jusqu’aux brèves que le journaliste lui-même n’a pas crû bon de lire avant de les dupliquer sous les petites frasques indigestes des grands de ce monde. A l’autre bout de la table, je tire sur ma cigarette et sur mon débardeur trop petit en maudissant les gouttes de pluie qui fouettent le bitume de l’autre côté de la vitre.

«Carrément. Eveline Widmer-Schlumpf soutient personnellement les sans-papiers lausannois. Ah, et tu as oublié le jambon.» En se levant pour réparer ma faute, récurrente, elle se cogne à mes sourcils en érection. Quand je la regarde se dandiner, avec cet équilibre fragile, en direction du réfrigérateur, je me dis soudain que Jésus n’a fait que la piétiner cette mer. Car Maddy Soon est heureuse. Un messie pour son piètre mari ne parvenant qu’à saloper la nappe de ses cendres beaucoup trop matinales. Son ventre lui sert de boussole. Un poids qui la penche peut-être en arrière, mais qui la tire vers l'avant.
Ma femme est heureuse.
Tous les matins, je la regarde dévorer son sandwich ridicule, car je sais qu’elle s’apprête à faire de même de la journée qui l’attend. Elle croque la vie comme un sportif une branche de céleri. En se moquant de ses tristes pairs médicamentés qui n’ont toujours pas digéré leur existence calorique. Son visage abrite le faciès d’un enfant de huit ans devant son premier jeu vidéo violent et le mien après l’amour. Une sérénité aujourd’hui hautement condamnable.
J’ai ouvert la fenêtre. Elle a refermé le journal et la barquette de fromage à tartiner.
«Chouette, regarde Daddy, il va faire beau aujourd’hui.»
– Oui, grâce à toi.
Ma femme n'est pas stupide et la grossesse ne rend pas bête, heureusement. Elle rend heureux. Bêtement.


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