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Achille Talon et la surpronomilisation

Publié le 17 avril 2010 par Desiderio

En parcourant le tome 4 d'Achille Talon ... Mon fils à moi ! J'ai constaté un tic que je n'avais pas vu avant. Je connais assez bien les tics langagiers de Chichille : ses onomatopées (hop !), ses archaïsmes, ses néologismes, ses termes techniques. Le tout dans une syntaxe fort tarabiscotée. Mais je n'avais pas vu ce trait avant. Il s'agit de la surpronominalisation.

Planches 134. Achille : Eh bien, ici, pof, je sens que je vais me te faire des relations que ça ne va pas traîner.

Il n'y a rien ou presque à redire à cette forme même si elle semble un tantinet biscornue. Il s'agit d'un datif éthique, fort usité dans la langue familière, le pronom explétif de la deuxième personne sert à montrer l'intérêt du locuteur pour l'action ou la part qu'il prend à l'action (Grevisse, le Bon Usage, 14e éd., § 647, alinéa e). Les références sont sérieuses : Daudet, Courteline, Zola, André Thérive, Giraudoux.  Bon... en général, le pronom explétif se trouve devant les pronoms essentiels, mais on ne va pas chipoter en matière de langue populaire.

Grevisse nous dit que le pronom explétif est en général d'une autre personne que le locuteur et on le remarque surtout au fait qu'il y a passage à la personne de l'altérité, la deuxième, lorsque le discours est à la première personne. Mais ce n'est pas obligatoire, je me souviens de fables de La Fontaine à la troisième personne qui introduisaient ce datif éthique dans des tournures comme "il vous le lui prend". Mais si l'indication de la première personne permet de cerner le registre oral, La Fontaine est d'abord un auteur qui parle et qui se garde d'écrire : tout est familier chez lui, il est loin de la langue gourmée de son époque, et même dans un genre mineur (la fable) il ne se départit pas de son ton qui est la parole de son temps et non celui des courtisans.

Revenons à Achille Talon :

Alambic Talon : Je vais te me nous vous concocter une spécialité que ça va fumer dans les buissons. Planches 143.

Achille Talon : Je vais te me vous lui fignoler un petit emballage-cadeau qui suractivera l'impact de la chose. Planches 172.

Nous avons ici un double pronom explétif, mais il repose aussi sur une modification de nombre comme dans les exemples que donne Grevisse en citant Colette, Gary, Hugo. Je suis à peine surpris. Ce qui retient alors, c'est la forme de la première personne du singulier : je vais me. Et le sens du verbe, nous avons affaire à une sorte d'embrayeur du langage : on part de soi et on tente d'impliquer l'entourage dans ses actions, mais c'est d'abord un discours personnel et égocentré. Seulement, la syntaxe en prend un coup et on ne sait plus où placer les pronoms après. D'autant que le pronom de troisième personne dans la dernière phrase est lui aussi explétif. Nous sommes en pleine période d'expansion des pronoms qui ramènent tout à soi et ce tic langagier de Talon n'aura aucune suite à ma connaissance. Cela a été une tentative sans lendemain de changer la grammaire.


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