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Jean Echenoz, cinquième

Publié le 17 mars 2010 par Irigoyen
Jean Echenoz, cinquième

Jean Echenoz, cinquième

A en croire Christine Jérusalem – voir chronique « Jean Echenoz, quatrième » - cet opus marquerait donc la fin d'une trilogie composée de Cherokee et de L'équipée malaise. Après le polar et le roman d'aventures, Jean Echenoz rend hommage à la littérature d'espionnage.

Le roman s'ouvre sur un gros plan de Vito Piranese, homme à la jambe de bois – dans L'équipée malaise, un des SDF s'est fait voler une prothèse - qui est chargé de surveiller un certain Franck Chopin. Avouez qu'une histoire d'espions débutant avec un acteur entravé dans ses mouvements a son importance symbolique. Comme si, encore une fois, il s'agissait de signifier au lecteur qu'il va avoir affaire à une enquête au ralenti. Une enquête qui pourrait rester au point mort.

Jean Echenoz, cinquième

Dans son Étude de l'œuvre, Sjef Houpermans pointe l'existence chez Jean Echenoz d'antihéros en perte d'élan et d'espoir à la ténacité chaplinesque. Plus loin, Houpermans parle de prise de distance et d'observation par décalage. En voici un nouvel exemple :

(...) les sonneries sciaient l'espace en se chevauchant, reliés par leur écho en traits d'union – et lorsque vingt-cinq eurent défilé Vito avait compris d'où venait l'appel.

Franck Chopin enquête sur la disparition d'un certain Oswald qui travaille au ministère des Affaires étrangères. Cette enquête nous emmène dans un hôtel perdu près d'un lac et qui reste inconnu du grand public. Parmi les clients de l'établissement il y a également Vital Verber, secrétaire général au Plan, son chauffeur et ses deux gardes-du-corps, Perla Pommeck et Rodion Rathenau.

Il s'agit donc d'un huis-clos – univers particulièrement redondant dans la littérature d'espionnage – où se déroulent des scènes loufoques sans jamais être excessives. Loufoques soit parce qu'elles sont en soi insolites, soit parce que ce qui semble attirer le regard de l'auteur est souvent en décalage total avec l'ambiance générale.

(...) pour se toucher et s'embrasser il leur fallait sans cesse éviter ce chien, repousser ce chien, se frayer un chemin dans le non-chien.

Je partage assez l'avis de Sjef Houpermans lorsqu'il parle d'amalgame entre aventure des héros et aventure de la langue. Mais à plusieurs degrés. Il me semble que Jean Echenoz excelle dans ce maniement d'un humour à degrés variables.

Plus loin :

(...) sa coupe de cheveux devait constituer un poste à part dans son budget.

Une histoire d'espionnage serait incomplète si elle ne laissait pas la part belle – les différents épisodes de James Bond en sont une merveilleuse illustration – aux gadgets. Ici, vous le verrez, des mouches sont équipés de microphones.

Vous vous doutez bien que l'entreprise est vouée à l'échec. Les bestioles finiront par disparaître dans un parc après avoir été attiré par un bouquet de fleurs offertes à Verber.

Et comme pour enfoncer le clou, Jean Echenoz multiplie les comparaisons qui augmentent encore un peu plus la tonalité cocasse de certaines scènes :

(...) pas plus compliqué que le réglage du radar trente ans auparavant, le soir après l'école, sur un modèle réduit de Messerschmitt ou de Spitfire au 1/72e.

On notera que, dans cet opus, Jean Echenoz égratigne une nouvelle fois le petit écran dont la principale fonction serait de diffuser des bêtises. C'est aussi la preuve, pour citer une nouvelle fois Houpermans, que notre monde quotidien défile et se voit reflété dans ces miroirs du récit.

Ainsi donc se poursuit cette enquête qui s'achève sur un assaut mémorable à l'issue duquel il y aura un échange d'espions dont la scène rappelle les images en noir et blanc filmées de loin de la guerre froide. Mais pour atténuer le sentiment de sérieux qui pourrait naître dans l'esprit de certains lecteurs de ces lignes, signalons un nouveau clin d'œil de Jean Echenoz :

L'appartement semblait avoir été abandonné en catastrophe par une secte de cynophiles dix-septiémistes aux abois.

Une nouvelle preuve, en somme, que, chez Jean Echenoz, l'action mérite bien plus que l'épilogue. L'auteur multiplie peut-être les références au cinéma mais il ne saurait être assimilé à ces obsédés des happy-end hollywoodiens qui viennent couronner une œuvre sans aucune consistance.


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