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Blum et Mandel sont dans un bateau

Publié le 21 avril 2010 par Frontere

Blum et Mandel sont dans un bateauLéon Blum et Georges Mandel ont été faits prisonniers au printemps 1943 par le gouvernement de Vichy et ses séides, issus de la Milice de sinistre mémoire, et livrés aux Allemands : c’est un fait historique. Á partir de là, l’historien Jean-Noël Jeanneney¹ a imaginé un dialogue en trois actes entre ces hommes du Front Populaire ; l’un en fut le Chef de gouvernement, l’autre son ministre des Colonies² ; l’Empire français n’avait pas encore été disloqué aux vents (mauvais?) de la décolonisation.

Au nom du respect des règles classiques de l’unité de temps et de lieu, Jeanneney a voulu que leur conversation se déroulât l’espace de vingt-quatre heure - en l’occurrence entre le 27 et le 28 juin 1944 (le choix de la date n’est pas innocent) - dans la maison où ils furent détenus près de Weimar, mais surtout à proximité du camp de concentration de Buchenwald d’où leur arrivent les odeurs des corps brûlés des déportés assassinés.

L’historien a également eu l’idée géniale de faire planer sur ces deux grands personnages l’ombre tutélaire de Jean Jaurès, dont Blum fut l’héritier, et de Georges Clemenceau qui eut pour Chef de cabinet un certain… Georges Mandel. Et le résultat est savoureux! Les échanges incisifs. Pourtant tout relève de la fiction, mais nourrie de la vérité humaine, psychologique, historique, de Blum et Mandel. Dans une certaine mesure, ceux qui furent leurs continuateurs, que ce soit d’un point de vue idéologique ou en gestion directe des affaires, nous rejouent leurs joutes de 1906-1907 au Palais-Bourbon ; Clemenceau était alors le premier flic de France, Jaurès, le leader des socialistes nouvellement réunis, toutes chapelles confondues, au sein de la S.F.I.O., la Section française de l’internationale ouvrière, à laquelle mon grand-père paternel, qui se disait libre-penseur, adhéra en son temps.

En face le buste de Clemenceau, posé sur la cheminée telle la statue du Commandeur, Mandel rappelle à Blum la devise des radicaux avant 1914 : « Le parti des réalités tangibles et des espérances illimitées… », ce qui pourrait être une justification du pragmatisme en politique, Blum veut rester fidèle à l’idéal socialiste malgré l’avènement du communisme totalitaire : « Les dévoiements d’une idée par des passions égarées ne suffisent pas à la disqualifier », le reste est du même acabit, c’est-à-dire de haute volée : évocation de la guerre d’Espagne, statut des Juifs où passe le souvenir de Jean-Paul Sartre : « Il n’y a pas de communauté juiveC’est le regard des autres qui nous y assigne », etc.

Mais l’assassinat d’Henriot, ministre de l’information de Vichy, par la Résistance intérieure va précipiter l’Histoire… et justifier le titre : L’un de nous deux.

Oui, mais lequel sauvera sa peau?

(Jean-Noël Jeanneney, L’un de nous deux, Rome, Portaparole, 2010)

→ Jean-Noël Jeanneney sera l’invité de l’émission « La grande librairie », jeudi 15 avril sur France 5 à 20 heures 30

Notes

¹ l’auteur a dû recourir à sa propre expérience  : il a été membre de deux gouvernements de François Mitterrand
² Mandel a également été ministre des P.T.T. entre 1934 et 1936


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