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Qui sème le vent ?

Publié le 30 novembre 2007 par Argoul

Dans les banlieues, « qu’est-ce qui a changé ? » s’interrogent en chœur les policiers pris pour cibles au fusil, les sociologues, les belles-âmes et les journalistes pour une fois tabassés. C’est tout simple : ce qui a changé est que Nicolas Sarkozy est désormais au pouvoir. En chaque flic, en chaque pompier, en chaque « élu », les ‘gamins’ perdus de la banlieue voient un petit-Sarkozy.

On leur a tant seriné que c’était de sa faute. Il les avait « insultés », il les « méprisait », il leur promettait rigueur à l’école et répression dans la rue. De quoi attraper « la haine », non ? expliquaient en chœur les sociologues, les belles-âmes et les journalistes. Pas tous, mais la nette majorité, avouez-le. Cela crée une ambiance. Et chacun sait, face à des enfants, l’importance de l’ambiance. Plus que « les règles », l’exemple du milieu ambiant compte plus que tout. La haine est une réaction primaire, instinctive, que tout le processus de civilisation a pour objectif de maîtriser. « Comme on dit “faire l’amour”, il faudrait pouvoir dire “faire la haine”. C’est bon de faire la haine, ça repose, ça détend, » faisait dire François Mauriac à son Sagouin. C’est le rôle des adultes de montrer comment l’on parvient à dompter la bête en chacun.

Or, que font les adultes ? Il y a les répressifs, les « ils leur faudrait une bonne guerre », ceux pour qui de toutes façons tout ce qui vient de la banlieue est racaille et trafiquant. Il y a aussi les autres, le chœur des vierges, dans lequel on trouve pêle-mêle ceux des sociologues et des belles-âmes qui se répandent à l’envi dans les media. Pour ces derniers, de « l’explication » à l’excuse, il n’y a qu’un tout petit pas qu’ils ne prennent pas la peine d’éviter, ou alors du bout des lèvres, tout au début de la phrase, comme pour en évacuer mention gênante. Avec le même effet que la mention « fumer tue », écrite en gros sur les paquets de cigarettes que les accros froissent à longueur de journée sans plus y faire attention alors que leur cancer couve.

Nous ne sommes ni pour les uns, ni pour les autres.

• Non, ils n’ont pas « raison », ces jeunes « désespérés » des « ghettos », bien que « discriminés » et que leurs aînés connaissent plus que les autres le chômage.

• Mais non, ils n’ont pas « raison » non plus ces tranche-montagnes et rodomonts qui parlent « d’aller les buter jusque dans les chiottes » (je traduis en russe ce qui se dit en français officiel).

Ni la bonne vieille répression, ni les récitations rituelles des yakas d’hier et d’avant-hier ne vont conjurer la bavure suspendue au-dessus des têtes : yaka rénover les banlieues, yaka mettre des moyens à l’école, yaka embaucher des fonctionnaires, yaka transformer les méchants flics en gentils membres assistants sociaux « de proximité ». Ah, la proximité ! Quelle belle idée sans doute, mais que la gauche a ratée. Comme d’habitude en voulant faire « tout le monde pareil », avec le tropisme administratif, égalitariste et universaliste de la pensée-de-gauche. Donc ça n’a pas marché. Donc la droite a fait des économies en annulant le programme. Donc plus personne n’ose à droite dire que, peut-être, l’idée elle-même n’était pas si nulle mais que les idéologues qui l’avaient mise en œuvre à la cosaque - comme les 35 heures par exemple – étaient trop bureaucrates, trop parisiens, trop énarques. Peut-être.

C’est vrai qu’il faut des moyens, des services publics à proximité - et surtout des emplois. Mais combien de décennies a-t-on passé à dire la même chose et à « mettre des moyens » - pour en arriver au résultat d’aujourd’hui ? Car les moyens ne sont rien si on ne se préoccupe jamais de les mettre là où il faut et quand il faut – pas ailleurs, ni pareil pour tous. Rappelons-nous quand même que la Grande Donneuse de Leçons est restée au pouvoir durant 2×7 + 1×5 ans = 19 années, maths ‘modernes’ ou pas. Rappelons aussi que la présidence de François Mitterrand n’avait rien à voir avec les faiblardes présidences Chirac et qu’une cohabitation, sous Mitterrand, n’était pas une cohabitation sous Chirac. Lionel Jospin a bel et bien gouverné sans obstacle, durant les 5 ans qu’il fut à Matignon. C’était moins vrai de Chirac en 1986 ou de Balladur ensuite. Donc qu’a fait la gauche ? Elle a mis des moyens, mais les a saupoudrés en bureaucrate. Elle a pris des pincettes sur ces sujets « dangereux » qui touchent au racisme, à la sécurité, à la jeunesse – en bref à tous les tabous de la société française contemporaine. Elle n’a pas mieux réussi que la droite sur le sujet. Qu’elle ne la ramène donc pas avec tant de verve – cela pourrait lui retomber dessus.

Car la police et la gendarmerie ne sont pas des sarclones ou des robocolas. Ce ne sont pas des services composés de petits-Sarko à la botte de la droite, du Patronat et de la répression – tous ces mots qui fleurent son 1968 et l’infantilisme des comparaisons d’alors (CRS =SS, quelle bêtise ! demandez aux survivants d’Auschwitz). Police et gendarmerie sont les services d’ordre de la République. Ils obéissent au gouvernement élu, que celui-ci soit de droite ou de gauche. Et les flics qui « calment » les jeunes des banlieues seront les mêmes si Dame Royal ou autre Candidat de gauche devient Président dans moins de 5 ans. Les jeunes des banlieues comprennent-ils vraiment ça ? Qui leur explique, à gauche notamment, sensée plus que la droite s’intéresser aux « petites gens » ?

Au contraire, il y a presque une jubilation de gauche à accuser Sarkozy de tous les maux de la terre : libéral, fasciste, médiatique, copineur… en bref « Américain » - version texane grande gueule et idées courtes. René Girard décrirait-il bien la situation en parlant de rivalité mimétique et de bouc émissaire ? A ces gens-de-gauche qui confondent politique et activisme, il faut une guerre civile permanente. Seule une mobilisation idéologique de tous les instants permet de masquer les enjeux de pouvoir personnels des leaders. Seule la « désignation de l’ennemi » (merci M. Carl Schmidt, juriste éminent du nazisme) permet de souder le ‘parti’ en groupe-commando. Il faut pour cela traiter les opposants - non en adversaires, avec qui débattre d’arguments sur le forum démocratique - mais en animaux méprisables avec qui l’on ne saurait frayer sans se souiller (des « rats » selon le Normalien Alain Badiou). Précision qu’Alain Badiou a d’habitude une réflexion moins réduite. C’est surtout le fait de l’extrême gauche d’être grande gueule et idées courtes, en rivalité mimétique avec le clan Bush et renversant ce qu’on disait déjà en 68… de l’extrême droite.

Mais le Parti socialiste est loin d’en être exempt. C’est toute son ambiguïté archaïque que je ne cesse de dénoncer, son refus de choisir entre les institutions et la rue. Ce pourquoi il ne cesse de se déconsidérer dans l’opinion. Le tropisme de gauche est de crier au « fascisme » dès que le désir n’est pas comblé avec « tout, tout de suite ». Tel est probablement le fond de son ambiguïté sur les banlieues : on condamne « évidemment », mais en évacuant tout de suite ce « tirer tue » pour s’étendre complaisamment sur ce qu’il faudrait faire (et qu’on n’a pas fait), les grands principes et la caricature. A faire durant la campagne électorale de Sarkozy le diable, le Mal incarné, le risque était que les primaires voient en tout flic et en tout fonctionnaire un Sarkozy. C’est fait.

Et maintenant ?

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Sur l’indignation-de-gauche, automatique et de bon ton dès qu’il s’agit de mots prononcés par Nicolas Sarkozy, rappelons quand même les propos de Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux, ancien Président du Conseil Constitutionnel, Sénateur des Hauts-de-Seine, invité le 8 novembre 2005 dans « Les Matins » de France-Culture : « Il faut appeler les choses par leur nom : agresser un autobus, sortir par la violence le conducteur, les passagers, puis y mettre le feu en bande organisée, cela constitue un crime, passible de la cour d’assises. » J’en ai parlé en son temps ici.


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